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La pandémie de COVID-19 a mis en évidence les failles du système de santé et a placé l’enjeu en tête des préoccupations des Canadiens. L’an dernier, une analyse de l’enquête annuelle de la Confédération de demain avait montré la perception selon laquelle le système est en crise avait atteint des niveaux jamais vus. C’est encore pire cette année.

Le principal facteur derrière cette mauvaise évaluation des performances de l’ensemble du système de santé est le manque d’accès aux soins, et dont les symptômes les plus courants sont des longs délais d’attente pour des soins essentiels et des urgences débordées.

Les plus grands utilisateurs du système sont souvent les plus critiques. Cela inclut notamment les personnes les plus vulnérables – les femmes, les personnes âgées et les ménages à faible revenu. Ces groupes sont presque deux fois plus nombreux que les autres Canadiens à considérer que le système de santé est en crise.

Ces évaluations d’une situation de crise doivent être prises au sérieux car elles menacent la viabilité à long terme du système. Si les gouvernements ne font rien pour améliorer l’accès aux soins, cela pourrait entraîner un cercle vicieux : le doute sur l’accès aux soins en temps utile pourrait entrainer une plus grande baisse de satisfaction à l’égard du système de santé, et rendre les contribuables moins enclins à le financer.

Une insatisfaction croissante

Le mécontentement à l’égard du système de santé n’a cessé d’augmenter. Selon l’enquête 2024 de la Confédération de demain, qui porte sur la confiance envers les décisions des gouvernements fédéral et provinciaux sur des enjeux clés, la proportion de personnes ayant répondu positivement au sujet du système de santé n’a cessé de se détériorer depuis 2019.

En 2023, 28 % des Canadiens considéraient que le système de santé était en crise. Un an plus tard, cette proportion est de 32 %. En 1988, elle n’était que de 5 %.

La figure 1 montre l’évolution de l’opinion des Canadiens sur le système de santé. Les réponses possibles étaient les suivantes :

1) Le système fonctionne assez bien, et seulement de petits changements sont nécessaires;

2) Il y a de bonnes choses dans notre système de soins de santé, mais des changements fondamentaux sont nécessaires;

3) Notre système de soins de santé va si mal que nous devrions le repenser dans son intégralité;

La dernière option suggère que les répondants pensent que le système est en crise.

L’enquête de la Confédération de demain posait aussi la question suivante :

« Si vous ou un membre de votre famille tombiez malade et deviez consulter un médecin, dans quelle mesure avez-vous confiance que le système de santé arriverait à vous traiter dans un délai raisonnable ? »

La proportion de personnes interrogées très confiantes ou assez confiantes dans leur capacité à obtenir des soins en temps voulu a diminué, passant de 58 % à 53 % en un an, comme le montre la figure 2.

Cette perception de crise n’est pas ressentie de la même manière par tous. Les personnes qui ont des contacts fréquents avec le système de santé peuvent avoir des expériences généralement positives, mais leur évaluation tend à être moins bonne que celle des personnes qui ont moins de contacts avec le système, en particulier en ce qui concerne sa capacité à répondre aux demandes futures.

Seulement 9 % des personnes âgées de plus de 55 ans et 10 % des femmes ont répondu que le système de santé « fonctionne bien » dans l’enquête 2024 de la Confédération de demain. En comparaison, presque deux fois plus d’hommes (18 %) et de Canadiens de moins de 55 ans (17 %) ont une opinion positive du système de santé.

Cela s’explique probablement par le fait que les femmes, les personnes âgées et les ménages à faible revenu utilisent plus souvent le système de santé public que les autres Canadiens, et qu’ils sont directement confrontés à ses problèmes. En outre, ils sont généralement moins en mesure de s’offrir des soins dans le privé.

Autrement dit, ces perceptions reflètent les inégalités sociales et sanitaires.

Les provinces dont la population est plus âgée et plus pauvre, comme les provinces atlantiques, demeurent celles où l’évaluation du système est la plus sévère. Même si les dépenses en santé tendent à être plus élevées qu’ailleurs au pays, il est plus coûteux de fournir des soins de santé de qualité à une population plus âgée, et la région a traditionnellement été freinée par une faible croissance économique.

Une mince consolation pour les provinces de l’Atlantique est que les perceptions se sont légèrement améliorées depuis 2023, alors qu’elles se sont détériorées dans presque toutes les autres provinces (voir la figure 3).

L’influence de l’idéologie politique

À bien des égards, l’évaluation de la performance est également idéologique. Le clivage gauche-droite détermine en partie la perception de l’état de crise. Lorsque l’on tient compte des préférences politiques, on constate que les personnes s’identifiant à la gauche sont plus susceptibles de penser que le système de santé est en crise que celles s’identifiant à la droite.

Il y a deux explications possibles. D’une part, l’idéologie politique peut servir de marqueur pour les valeurs et les croyances liées à la santé, comme, par exemple, la religiosité, qui est associée à une meilleure autoévaluation de la santé et à l’électorat de droite.

D’autre part, les personnes qui se situent à gauche de l’échiquier politique attendent souvent davantage du système de santé, et plus susceptibles de lui attribuer une note inférieure lorsque celui-ci ne s’améliore pas. En revanche, les personnes qui penchent à droite sont probablement plus satisfaites du statu quo.

Les causes profondes

Plusieurs explications peuvent être avancées pour expliquer la médiocrité de l’évaluation des performances.

Tout d’abord, l’insuffisance des transferts fédéraux en santé a exercé des pressions financières sur les systèmes de santé provinciaux. La part fédérale du financement des soins de santé a diminué jusqu’à l’accord fédéral-provincial de 2023 sur les transferts en matière de soins de santé (qui a eu lieu après l’enquête de 2023).

Cet accord a haussé le financement fédéral afin qu’il demeure constant au fil du temps. Toutefois, la majeure partie des nouveaux fonds est issue d’accords bilatéraux entre le fédéral et les provinces dont la négociation a pris du temps. L’impact du nouveau financement fédéral ne peut pas être ressenti immédiatement.

Deuxièmement, l’enquête de 2023 a été réalisée pendant une période de morosité économique faisant suite à une période d’inflation élevée. Les citoyens qui se sentent économiquement vulnérables ont tendance à être moins satisfaits des services publics et à faire moins confiance au gouvernement.

L’enquête de 2024 montre que la proportion de Canadiens qui ne font confiance ni au fédéral, ni à leur gouvernement provincial pour prendre les bonnes décisions sur des enjeux importants comme la santé, l’environnement ou l’économie est en hausse constante. Les institutions publiques jouent un rôle essentiel dans le bien-être des Canadiens. Lorsque la confiance envers les institutions est faible, cela peut entraîner des conséquences pour le système de santé.

Une troisième hypothèse est l’impopularité de Justin Trudeau. L’enquête de 2024 montre clairement un effet lié au premier ministre sortant. Ceux qui ont voté pour le Parti libéral du Canada sont plus enclins à penser que le système de santé fonctionne bien, et moins enclins à croire qu’il « doit être entièrement repensé », comme le montre la figure 4.

Toutefois, cette relation joue dans les deux sens. Le mécontentement suscité par la gestion du système de santé par les libéraux peut contribuer à une baisse de leur popularité. Cet effet s’est reflété dans le niveau de satisfaction à l’égard des services publics.

Cette évaluation d’une perception de crise dans le système de santé est importante pour la légitimité et la durabilité de l’État-providence canadien. Elle ouvre également la voie à des appels en faveur d’une privatisation accrue du système.

Un autre cercle vicieux est possible : les soins de santé privés pourrait drainer les ressources du système public sans réduire les coûts totaux des soins, tandis que l’expansion d’un système privé parallèle pourrait réduire l’appui de la population envers le système public.

Accroître l’accès aux soins pour améliorer l’évaluation des performances du système devrait être une priorité absolue pour les gouvernements du pays.

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Ally Hays-Alberstat
Ally Hays-Alberstat est étudiante au doctorat en sciences politiques à l’Université McGill. Elle est également assistante de recherche au département de science politique et au département d’équité, d’éthique et de politique.
Olivier Jacques
Olivier Jacques est professeur adjoint au Département de gestion, d’évaluation et de politique de santé de l’École de santé publique de l’Université de Montréal et chercheur au CIRANO. Ses recherches portent sur les finances publiques, l’État-providence et les politiques de santé. On peut le joindre sur LinkedIn et Twitter @Olijacques89.

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