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La pandémie de COVID-19 a frappé des systèmes de santé canadiens déjà sous pression, causant d’importantes souffrances et pertes humaines, ainsi que de graves répercussions économiques. Les systèmes eux-mêmes ont-ils été affectés? Les Canadiens croient que oui, et considèrent que le système de santé canadien est en difficulté.

Seulement 18 % des Canadiens sont d’avis que leur système de santé « fonctionne bien », la plus petite proportion depuis 35 ans. Quelque 54 % croient que des changements « sont nécessaires ». Et 28 % pensent carrément que le système est « en crise », un sommet.

C’est ce que montrent les données du sondage de la Confédération de demain de 2023, réalisé en 2023 par l’Institut Environics en partenariat avec la Canada West Foundation, le Centre d’Analyse Politique – Constitution Fédéralisme, le Centre d’excellence sur la fédération canadienne de l’IRPP, le Brian Mulroney Institute of Government et le Conseil de gestion financière des Premières Nations, qui révèlent une augmentation de la perception que le système de santé canadien est en difficulté.

La figure 1 compile tous les sondages disponibles posant la même question depuis 1988 sur le fonctionnement du système de santé. Il était possible de répondre que 1) le système fonctionne assez bien et que seuls de petits changements sont requis, 2) qu’il y a de bonnes choses dans le système de santé mais que des changements fondamentaux sont nécessaires ou 3) que notre système de soins de santé va si mal que nous devrions le repenser dans son intégralité. Cette dernière option suggère que les répondants pensent que le système est en crise.

En 2023, trois fois plus de Canadiens estiment que leur système de santé traverse une crise que pendant les trois sondages des années 2010 (28% en 2023, contre 9 à10% de 2010-2016). Il s’agit du plus haut pourcentage relevé, dépassant celui de la fin des années 1990.

Pourtant, cette période était définie comme un point de tension culminant dans le système de santé suite aux compressions fédérales dans les transferts en santé et à l’austérité provinciale dans les réseaux qui s’en est suivie. Nos analyses préliminaires des données suggèrent que les répondants de gauche et ceux qui sont plus à risque d’utiliser le système de santé sont plus susceptibles de penser qu’il est en crise.

Cette perception que le système doit être repensé entièrement varie considérablement entre les provinces, comme le démontre la figure 2. Les répondants des provinces plus riches et plus jeunes ont moins tendance à décrire le système de santé comme étant en crise. À l’opposé, ceux des provinces moins fortunées et vieillissantes sont plus pessimistes. Dans les deux cas, la corrélation est très forte. Ceci explique pourquoi les habitants des provinces de l’Atlantique, qui subissent de plein fouet les impacts d’une population vieillissante et d’une économie moins dynamique, sont les plus nombreux à croire que le système doit être repensé dans son intégralité.

Des dépenses de santé plus élevées réduisent-elles la perception de crise? Les données suggèrent que non. La figure 3 montre le faible degré de corrélation entre le niveau de dépenses et la perception ou non de l’état de crise. En fait, les trois provinces dont les habitants pensent le plus que leur système est en crise, le Nouveau-Brunswick, Terre-Neuve et la Nouvelle Écosse, maintiennent des niveaux de dépenses de santé par habitant très différents. De leur côté, les répondants de l’Alberta, de la Colombie-Britannique et de l’Ontario sont plus susceptibles de penser que leur système fonctionne bien, alors que ces provinces maintiennent des dépenses un peu plus faibles, mais bénéficient d’une population plus jeune et plus riche.

La faute du fédéral ou des provinces ?

Nous avons aussi demandé aux répondants si les problèmes de leur système de santé étaient causés par un financement insuffisant ou par une gestion inefficace. On peut certainement relier ces considérations au fédéralisme canadien, puisque la gestion est nécessairement provinciale, alors que les provinces ont tendance à blâmer le gouvernement fédéral pour un financement insuffisant.

Ainsi, nous avons demandé à la moitié des répondants de prendre position et de choisir si la principale cause de la crise du système de santé était due au manque de financement fédéral ou à la gestion provinciale. Les données recueillies ont été ensuite comparées avec celles de précédents sondages réalisés chaque année entre 2002 et 2012.

Comme le montre la figure 4, le pourcentage de répondants indiquant que les problèmes sont d’abord dus au financement inadéquat a presque doublé entre 2012 et 2023, passant de 26 à 40 % et rejoignant le niveau le plus élevé de 2002. Ainsi, alors que la perception d’un système de santé en crise est à son plus haut niveau, plus de citoyens qu’auparavant estiment que le manque de financement est la principale cause du problème. La gestion inefficace a suivi le chemin inverse, glissant de 62 à 42 % entre 2012 et 2023.

Il est à noter que pour les sondages réalisés entre 2002 et 2021, les répondants pouvaient également opter pour les deux options (le financement et la gestion), une réponse choisie toutefois seulement par 1 à 12 % des répondants. Attribuer les problèmes de financement au gouvernement fédéral et de gestion aux provinces (voir 2023 – Expérience de formulation dans la figure) plutôt que de simplement évoquer la gestion et le financement ne semble pas modifier les réponses au niveau agrégé, bien que nos analyses préliminaires suggèrent que certains individus sont plus influencés par l’attribution des problèmes à un niveau de gouvernement particulier.

Lorsque l’on porte attention à la distribution des réponses selon les provinces des répondants pour le sondage de 2023, la plupart oscillent autour de 50-50. Le Québec fait exception : 60 % des répondants québécois pensent que la gestion est la cause du problème, contre 40 % qui blâment le financement. Les habitants de l’Alberta et du Nouveau-Brunswick ont également plus tendance à blâmer la gestion déficiente (56 % et 57 % respectivement). Ceci contraste avec la Saskatchewan, où 56 % des répondants considèrent que le financement est la principale cause des problèmes.

Les répondants qui pensent que le système est en crise sont plus susceptibles de blâmer sa gestion. C’est le cas pour 59 % des répondants qui considèrent que le système est en crise, contre 41 % qui pointent du doigt son financement, comme le montre la figure 5. Les répondants qui estiment que le système n’est pas en crise n’ont, quant à eux, pas de préférence notable : la distribution entre la faute au financement et à la gestion est pratiquement égale (49 et 51 %).

Enfin, nos analyses préliminaires et la figure 6 suggèrent que les individus qui estiment que le système est en crise et qui blâment sa gestion (provinciale) ont tendance à souhaiter que le gouvernement fédéral impose des conditions aux transferts en santé. Ainsi, la perception de l’état du système de santé est inévitablement liée aux grands enjeux du fédéralisme canadien.

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Olivier Jacques
Olivier Jacques est professeur adjoint au Département de gestion, d’évaluation et de politique de santé de l’École de santé publique de l’Université de Montréal et chercheur au CIRANO. Ses recherches portent sur les finances publiques, l’État-providence et les politiques de santé. On peut le joindre sur LinkedIn et Twitter @Olijacques89.
Marion Perrot
Marion Perrot est étudiante au doctorat à l’École de santé publique de l’Université de Montréal, option Systèmes, organisations et politiques de santé. Elle s’intéresse aux politiques de santé et à l’évaluation en santé mondiale. On peut la joindre sur LinkedIn.

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