(Cet article a été traduit de l’anglais.)

De la nomination de Mary Simon, qui parle l’anglais et l’inuktitut mais pas le français, au poste de gouverneure générale du Canada, il ne découle pas que le premier ministre peut, devrait (ou doit) nommer des juges à la Cour suprême qui ne maîtrisent pas les deux langues officielles. Ne confondons pas les pommes et les oranges, autrement dit, les questions de représentation avec les questions d’égalité.

Les Canadiens ont le droit constitutionnel d’être entendus par les tribunaux fédéraux dans la langue officielle de leur choix, sans l’aide d’un interprète. Que la Cour suprême soit une exception à cette règle est inconstitutionnel. Même si les jugements MacDonald c. Ville de Montréal (1986) et Société des Acadiens c. Association of Parents (1986) ― vieux précédents de la Cour suprême ― suggèrent que ce n’est peut-être pas le cas, les principes qui sous-tendent ces décisions ont été renversés il y a plus de 20 ans. En revanche, il n’existe aucun droit constitutionnel d’être entendu dans les deux langues officielles par le gouverneur général, quoi que cela puisse signifier. La Cour suprême interprète et applique les lois fédérales, qui sont rédigées et adoptées en anglais et en français. Les deux versions ont la même force et le même statut. Un juriste qui ne comprend que la moitié de l’intention du législateur n’est pas qualifié pour siéger à la Cour suprême.

Les auxiliaires juridiques bilingues n’offrent pas la solution. J’ai été auxiliaire juridique à la Cour suprême. Il serait carrément dangereux de nous laisser, à peine sortis de la faculté de droit, pallier les lacunes linguistiques de nos patrons. Seuls les juges doivent trancher. Heureusement, seuls les juges tranchent, en effet.

L’interprétation et la traduction ne constituent pas non plus la réponse. Non pas parce que les interprètes et les traducteurs ne sont pas des professionnels hautement qualifiés, mais parce que leur travail ne garantit pas l’égalité. Or la garantie constitutionnelle en matière de langues officielles en est une d’égalité, justement. Tous les avocats craignent que les subtilités de leurs plaidoiries ne soient pas comprises par les juges. Les avocats francophones ont le souci supplémentaire que ces subtilités se perdent également dans la traduction. Quant aux soumissions écrites, elles ne sont tout simplement pas traduites pour les juges anglophones. Ceux-ci comptent sur leurs auxiliaires juridiques pour comprendre les soumissions écrites en français, ce qui, encore une fois, n’est pas une solution viable.

 On ne peut pas non plus affirmer que les effets de la nomination d’un juge unilingue anglais seraient dilués puisqu’il serait un parmi neuf à la Cour suprême. Et si le juge unilingue anglophone était le seul expert de la Cour en droit pénal, comme c’est le cas actuellement ? Il peut être crucial pour un avocat de la défense, ou de la Couronne, de faire appel à cette expertise pour que l’affaire soit jugée correctement. Les avocats francophones n’ont pas libre accès à cette expertise s’ils doivent plaider avec l’aide d’un interprète.

La nomination d’une gouverneure générale ou de juges à la Cour suprême qui ne maîtrisent pas le français, ou qui ne sont pas autochtones, soulève des enjeux de représentativité et d’égalité, mais pas de la même manière.

L’absence de juge autochtone à la Cour suprême est un problème de représentativité. Collectivement, la Cour suprême devrait représenter tous les Canadiens et inclure des juges qui représentent les peuples autochtones et les Canadiens de couleur. L’exigence de bilinguisme n’est pas un éternel obstacle à la représentativité, au contraire, ce qu’a démontré la récente nomination du juge Mahmud Jamal comme première personne de couleur à la Cour suprême.

La nomination d’un juge à la Cour suprême qui ne maîtrise pas le français n’est pas un problème de représentativité si un nombre important d’autres juges sont bilingues. Il s’agit plutôt d’un problème d’égalité.

Voici donc la différence entre un problème de représentativité et un problème d’égalité : il n’y a pas de droit constitutionnel à la représentation de la diversité du Canada à la Cour suprême. Il existe en revanche un impératif constitutionnel que les deux langues soient égales devant les tribunaux. La nomination d’un juge unilingue anglais à la Cour suprême crée de graves problèmes pratiques qui minent directement l’égalité des deux langues officielles.

La nomination d’une gouverneure générale qui ne maîtrise pas le français constitue aussi un problème de représentativité. Idéalement, la gouverneure générale devrait représenter tous les Canadiens, mais il est impossible que chaque nomination satisfasse à cette exigence.

Il est plus raisonnable de considérer que la fonction de gouverneur général devrait être représentative d’un point de vue historique. À cet égard, la nomination d’une gouverneure générale autochtone était attendue depuis longtemps, que la personne maîtrise le français et l’anglais ou non. Tant que la gouverneure générale reconnaît le statut du français par ses efforts personnels d’apprendre la langue et de la parler dans l’exercice de ses fonctions, le problème de la représentativité peut être atténué dans une certaine mesure.

La nomination d’une gouverneure générale qui ne parle pas français est possiblement aussi une question d’égalité des langues officielles, mais qui n’a pas les mêmes conséquences pratiques que la nomination d’un juge unilingue anglais à la Cour suprême. En résumé : dans un monde où personne ne peut tout avoir, je suis heureux que le juge Jamal ait été nommé à la Cour suprême et Mary Simon au poste de gouverneure générale, plutôt que l’inverse.

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Gabriel Poliquin
Gabriel Poliquin pratique le droit public, notamment en matière de droits linguistiques. Il détient un doctorat en linguistique de l'Université Harvard et une licence en droit de l'Université d'Ottawa.

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