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Les deux tiers des aliments transformés achetés au Québec ont des teneurs élevées en gras saturés, en sucre ou en sodium. C’est ce qu’a démontré une étude de l’Observatoire de la qualité de l’offre alimentaire de l’INAF de l’Université Laval après avoir analysé 15 catégories d’aliments transformés fréquemment consommés par les Québécois entre 2016 et 2022. Ce constat est particulièrement préoccupant, considérant le lien entre la consommation en trop grande quantité de ces nutriments et le développement de maladies chroniques.
Le rôle central de l’offre alimentaire
L’offre alimentaire est la pierre angulaire de notre environnement alimentaire. Elle joue un rôle central dans la manière dont les populations accèdent à une alimentation saine et diversifiée. Depuis les dernières années, on remarque que les aliments emballés représentent la plus grande part de l’alimentation des Canadiens. L’amélioration de la valeur nutritive des aliments offerts au Québec et dans le reste du pays est donc une étape clé pour aider la population canadienne à adopter des habitudes alimentaires plus saines et réduire le risque de maladies telles que les maladies cardiaques, les accidents vasculaires cérébraux, le diabète, l’obésité et même certains types de cancer.
Plusieurs aliments qui se retrouvent fréquemment dans notre panier d’épicerie ont des teneurs élevées en gras saturés, en sucre ou en sodium, et mériteraient d’avoir une meilleure valeur nutritive. Par exemple, les soupes prêtes à servir et les pizzas sont les catégories avec la plus grande proportion de produits ayant une teneur élevée en sodium, tandis que les biscuits et les barres granola arrivent en tête pour le sucre.
L’étude de l’Observatoire a également mis en lumière la grande variabilité des teneurs en gras saturés, en sucre et en sodium au sein d’un même groupe d’aliments. Par exemple, la teneur en sodium d’une soupe peut varier de 45 à 1940 mg – soit quarante fois plus! – par tasse tandis que la teneur en sucre des biscuits peut varier de 2 à 27 g pour une portion de 30 g. Cela montre qu’il est possible pour les transformateurs alimentaires d’améliorer la qualité nutritionnelle de plusieurs produits.
Des efforts louables, mais encore loin du compte
Plusieurs politiques publiques ont été mises en place au cours des dernières années pour améliorer la valeur nutritive des aliments, tant au niveau national que provincial. Toutefois, elles ne semblent pas suffisantes pour exposer les Québécois à des environnements plus favorables à une saine alimentation.
Au Canada, bien que des cibles volontaires de réduction du sodium soient proposées à l’industrie bioalimentaire depuis 2012, peu d’améliorations significatives ont été observées. Les changements dans l’offre alimentaire sont beaucoup plus importants lorsque les politiques exigent des cibles obligatoires. Ce fut par exemple le cas en 2018 avec l’interdiction formelle d’utiliser des huiles partiellement hydrogénées au Canada, afin de réduire les risques de maladies cardiovasculaires. Deux ans après la réglementation, aucun aliment contenant ces huiles n’était vendu au pays.
C’est dans une visée similaire qu’une nouvelle politique a été lancée par Santé Canada en 2022, obligeant l’apposition d’un symbole nutritionnel sur le devant de l’emballage des produits ayant des teneurs élevées en gras saturés, en sucre ou en sodium, à compter du 1er janvier 2026. En plus de permettre de repérer facilement les produits qui contiennent une trop grande quantité de ces nutriments, cela pourrait inciter l’industrie bioalimentaire à changer ses recettes afin d’éviter la mention sur l’emballage. En effet, plusieurs pays ayant adopté cette mesure, tel que le Chili, ont observé une diminution des teneurs en gras saturés, en sucre ou en sodium dans les aliments transformés.
En termes de politiques provinciales, le Québec se démarque par sa Politique gouvernementale de prévention en santé (PGPS) mise en place en 2017, qui offre une vision globale. Les orientations proposées touchent différentes facettes de l’environnement alimentaire, dont plusieurs sont susceptibles d’influencer directement la qualité de l’offre. Par exemple, des stratégies telles que des cibles pour les teneurs en gras saturés, en sucre, en sodium et en fibres des aliments transformés et une taxe sur les boissons sucrées sont envisagées. D’un autre côté, la Politique bioalimentaire 2018-2025 – Alimenter notre monde vise à favoriser l’accès à une offre d’aliments nutritifs selon une approche reposant sur la collaboration volontaire. Les acteurs de la filière bioalimentaire sont donc invités à améliorer la valeur nutritive des aliments transformés au Québec et à les mettre de l’avant.
Malgré l’existence de ces politiques, les experts canadiens spécialisés dans les environnements alimentaires, qui ont évalué les mesures adoptées, notamment au Québec, estiment que beaucoup de travail reste à faire. Ils ont conclu que les politiques susceptibles d’améliorer la composition nutritionnelle de l’offre alimentaire étaient soit inexistantes, soit limitées lorsqu’on les compare aux bonnes pratiques internationales.
Une occasion d’améliorer nos politiques
Parmi les actions prioritaires à entreprendre pour créer des environnements alimentaires favorables, deux politiques présentent un potentiel considérable. La première consisterait à définir des cibles, idéalement obligatoires, de composition nutritionnelle pour les gras saturés et le sucre (en plus du sodium) et mettre en place des mécanismes de surveillance visant à améliorer l’offre alimentaire. La seconde serait d’aller de l’avant avec l’implantation de mesures comme la taxation des boissons sucrées. Cette dernière mesure aurait toutefois plus d’impact si elle était mise en œuvre à l’échelle nationale.
Les deux grandes politiques québécoises, soit la PGPS et la Politique bioalimentaire, prennent fin en 2025 et devront être renouvelées dans les prochains mois. Il s’agit d’une excellente occasion pour nos décideurs de renforcer nos politiques, afin de générer des changements concrets dans la qualité des aliments offerts sur nos tablettes d’épicerie. Notre environnement alimentaire présente un grand potentiel d’amélioration, et des politiques publiques plus fortes aideront à y arriver.