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Aux premières loges de plusieurs crises politiques allant de la menace de séparation du Québec au 11 septembre 2001, en passant par l’effondrement financier mondial de 2008 et la pandémie, Graham Flack, un haut fonctionnaire fédéral ayant occupé des postes-clés, quitte la fonction publique après une carrière de trois décennies qui s’est terminée à la tête du Conseil du Trésor.

Flack a annoncé mardi à ses collègues sous-ministres et aux employés du Conseil du Trésor son intention de prendre sa retraite en tant que secrétaire du Conseil du Trésor. Cela laisse un grand vide qu’il faudra combler rapidement dans les rangs de la haute fonction publique. Cette démission intervient quelques jours seulement après que le gouvernement Trudeau a déplacé ou promu dix hauts fonctionnaires dans le cadre d’un remaniement ministériel.

M. Flack quitte la fonction publique après avoir servi 31 ministres pendant près de trente ans, dont la moitié en tant que sous-ministre.

Le Conseil du Trésor est l’employeur des fonctionnaires et le directeur général du gouvernement. Le poste de secrétaire du Conseil qu’il a occupé est l’un des postes les plus importants de la fonction publique. Il rédige et supervise les règles et les politiques de gestion des employés et des dépenses, et approuve les débours. Cette fonction névralgique est également responsable du contrôleur général, de la direction de l’information et de la direction des ressources humaines.

M. Flack est entré en fonction il y a deux ans, alors que le gouvernement sortait de la pandémie. Il s’est retrouvé au cœur de questions brûlantes : la croissance explosive de la fonction publique, la mise en œuvre du retour au travail en présentiel des employés du gouvernement et la première grève nationale depuis des années. Ensuite, il a dû gérer une révision des dépenses fédérale visant à dégager des économies de 15,4 milliards $. Avec le budget qui se profile à l’horizon, les fonctionnaires s’attendent à de nouvelles réductions de coûts.

Avocat et boursier de la fondation Rhodes, M. Flack a été considéré dès le départ comme une étoile montante à surveiller. Au fur et à mesure qu’il gravissait les échelons, il était souvent cité parmi les candidats au poste de greffier.

Le statisticien en chef du Canada, Anil Arora, a déclaré que le départ d’un sous-ministre du « calibre de M. Flack constitue une grande perte » pour la fonction publique.

M. Flack était sous-ministre à Emploi et Développement social Canada lorsque la pandémie a frappé. Il a dirigé le ministère dans la création et la mise en œuvre de la prestation canadienne d’urgence du Canada (PCU) en moins de deux semaines. Celle-ci a été suivie d’une demi-douzaine d’autres prestations liées à la pandémie, telles que celles destinées aux étudiants et aux personnes handicapées.

« Je dirais qu’il était la bonne personne, au bon endroit et au bon moment, et que nous nous en portons tous mieux », a déclaré M. Arora. « En mettant en place des programmes, littéralement du jour au lendemain, et en le faisant au service des Canadiens, je pense qu’il mérite d’être félicité. »

Qui pourrait prendre sa place?

La modernisation des systèmes informatiques, le passage à la technologie numérique, l’amélioration de la prestation de services, le plafonnement des dépenses et l’avenir du travail avec l’intelligence artificielle sont des enjeux importants pour le Conseil du Trésor.

La Direction principale de l’information du Canada est vacante depuis le départ de Catherine Luelo, le mois dernier. Il s’agit d’un autre poste qui ne peut pas rester inoccupé très longtemps, selon plusieurs. Mme Luelo a récemment été nommée haute fonctionnaire au Bureau du Conseil privé pour conseiller le greffier John Hannaford en matière de technologie sur la transformation numérique, la technologie et la gestion des talents technologiques.

Le Conseil du Trésor a été le cinquième poste de sous-ministre de M. Flack. Les spéculations ont déjà commencé sur la personne qui connaît le mieux les rouages du gouvernement pour occuper ce poste. Certains pensent que Bill Matthews, sous-ministre de la Défense, est le meilleur candidat. Il a de l’expérience au Conseil du Trésor, notamment en tant que contrôleur général, mais son départ laisserait un grand vide à la Défense, qui doit composer avec ses propres défis, ces temps-ci.

Un autre candidat réside dans la personne d’Erin O’Gorman, ancienne secrétaire associée du Conseil du Trésor devenue présidente de l’Agence des services frontaliers du Canada en juillet 2022.

Le gouvernement pourrait aussi faire appel à des personnes extérieures à la fonction publique, comme il l’avait fait en recrutant Peter Wallace, un ancien directeur municipal de Toronto et haut fonctionnaire de la fonction publique de l’Ontario. Une nomination à l’externe est inhabituelle, mais ce ne serait pas du jamais-vu pour les libéraux.

Le départ de M. Flack soulève également la question de savoir combien d’autres sous-ministres ayant une expérience similaire pourraient partir avant les élections, qui auront lieu au plus tard en 2025.

Certains pourraient ne pas vouloir gérer la transition vers un nouveau gouvernement, qui, selon les sondages, pourrait être conservateur. Si d’autres partent, la fonction publique pourrait se retrouver dans une situation où il n’y aurait que peu, voire pas du tout, de sous-ministres présents lorsque les libéraux ont été élus en 2015 pour faciliter cette transition.

Un parcours aux nombreux jalons

M. Flack a rejoint le gouvernement en tant qu’étudiant à l’été 1987. Il s’agit là du point de départ d’une carrière l’ayant propulsé aux premières lignes lors de certaines des plus grandes crises du pays.

Il a travaillé comme greffier à la Cour suprême en 1993 avant de passer au Bureau du Conseil privé pour travailler sur la campagne référendaire sur l’indépendance du Québec.

Sa thèse à l’Université de Harvard portait sur l’idée d’un cas de référence à la Cour suprême sur le droit de sécession, ce qui l’a préparé à travailler plus tard sur la question de l’autodétermination du Québec à vouloir se séparer du Canada. Il a ensuite travaillé sur la Loi sur la clarté référendaire.

Après le 11 septembre 2001, M. Flack est devenu directeur des opérations et a dirigé les travaux sur la déclaration de frontière intelligente entre le Canada et les États-Unis, ainsi que sur la première politique de sécurité nationale du Canada.

Il a ensuite occupé des postes de direction aux Ressources naturelles et aux Finances, où il a travaillé sur la réponse du G7 et du G20 à la crise financière mondiale de 2008. Il est ensuite passé à la Sécurité publique en tant que sous-ministre adjoint, puis sous-ministre par intérim. Il est ensuite devenu sous-ministre du Patrimoine canadien et pour Emploi et Développement social Canada.

Dans sa lettre de départ, M. Flack a fait des allusions fugaces à des enjeux qui préoccupent actuellement la fonction publique, qu’il s’agisse de la culture ambiante d’aversion au risque ou de l’importance d’une relation solide entre les bureaucrates et leurs ministres. Cette relation est tendue et beaucoup craignent que leurs conseils ne soient pas sollicités ou entendus.

« Les ministres à l’écoute sont la pierre angulaire de notre système de Westminster et je leur suis reconnaissant d’avoir été ouverts aux conseils courageux que j’ai donnés », a écrit M. Flack.

Il a ajouté que « le travail est difficile et que le contexte opérationnel est devenu de plus en plus complexe », ce qui « peut parfois entraîner une grande solitude », avant de remercier ses collègues pour leur « camaraderie et leur leadership ».

« J’ai vu à quel point nous pouvons être dynamiques en cas de crise et à quel point il est essentiel d’exploiter ce potentiel d’innovation dans notre travail quotidien. Je crois que l’un des rôles les plus importants qu’un dirigeant puisse jouer est de soutenir la prise de risque dans une organisation », a-t-il également écrit.

Anglophone ayant travaillé dans les deux langues officielles, M. Flack a écrit que le bilinguisme est au cœur de l’identité canadienne et que cela « ne se reflétera dans la fonction publique que si les anglophones qui y occupent des postes-clés dirigent régulièrement en français ».

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Kathryn May
Kathryn May est journaliste et la boursière Accenture en journalisme sur l'avenir de la fonction publique. Dans les pages d'Options politiques, elle examine les défis complexes auxquels font face les fonctionnaires canadiens. Elle a couvert la fonction publique fédérale pendant 25 ans pour le Ottawa Citizen, Postmedia et iPolitics. Gagnante d'un prix du Concours canadien de journalisme.

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