(Cet article a été traduit en anglais.)
Pour la première fois en plus de trente ans, trois politiques linguistiques majeures occupent le devant de la scène politique du pays : la Loi sur les langues officielles au fédéral, la Charte de la langue française du Québec (couramment nommée loi 101) et la Loi sur les services en français de l’Ontario. Le gouvernement ontarien a adopté les modifications à sa loi en décembre 2021, tandis qu’en 2022 les nouvelles lois québécoise et canadienne seront promulguées. Une quatrième loi devrait être révisée en 2022, la Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick.
Il faut remonter aux années 1970 et 1980 pour constater une telle convergence d’action dans le domaine des politiques linguistiques au pays. En 1977, le gouvernement du Québec promulgue la Charte de langue française. En 1981, le gouvernement du Nouveau-Brunswick reconnaît l’égalité de ses deux communautés linguistiques officielles (anglophone et francophone). En 1986, l’Ontario adopte sa première Loi sur les services en français, alors que le gouvernement canadien procède à une refonte complète de sa Loi sur les langues officielles en 1988.
Le contexte des débats constitutionnels permet de comprendre l’empressement des provinces et du fédéral à l’époque. En 2022, il n’y a aucune crise constitutionnelle, mais nombreux sont ceux et celles qui s’interrogent sur l’avenir du français au pays. Le gouvernement canadien a reconnu dans le discours du Trône de 2020 que le français est en situation de faiblesse au pays et en Amérique du Nord. Par surcroît, la pandémie contribue à mettre au jour les inégalités de traitement du français et de l’anglais au pays, en particulier au sein de la fonction publique fédérale.
Une nouvelle approche : l’égalité réelle
Le 1er mars 2022, la nouvelle ministre des Langues officielles, Ginette Petitpas Taylor, a déposé le projet de loi C-13, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles, édictant la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale et apportant des modifications connexes à d’autres lois. Ce projet de loi repose sur trois principes clés pour guider l’interprétation des droits linguistiques et l’action gouvernementale en matière de langues officielles, soit :
- l’interprétation large et généreuse des droits linguistiques;
- la reconnaissance de leur caractère réparateur; et
- l’égalité réelle.
Le projet C-13 précise que le gouvernement canadien doit adopter des « mesures positives […] concrètes et prises avec l’intention d’avoir un effet favorable » sur l’épanouissement et le développement des minorités de langues officielles. Il comprend aussi une loi distincte sur les responsabilités du gouvernement canadien en vue d’encourager l’usage du français (en tant que langue de service et de travail) dans les entreprises privées de compétences fédérales qui sont situées au Québec et dans les régions à fortes présences francophones dans le reste du pays. Enfin, le commissaire aux langues officielles se voit conférer le pouvoir de sanctions pécuniaires dans le secteur des transports. L’exigence du bilinguisme officiel à la Cour suprême du Canada est également confirmée.
La référence au principe de l’égalité réelle dans le projet de loi C-13 constitue un changement majeur dans la représentation des deux langues officielles au pays. Elle confirme que la progression de l’égalité du français et de l’anglais au Canada comprend l’utilisation de moyens différenciés, notamment pour répondre aux besoins des minorités francophones. Le projet de loi est plus timide pour tout ce qui a trait à la mise en place de mesures pour favoriser la capacité des fonctionnaires de travailler en français et pour faire du français une langue d’intégration au pays. Il réaffirme néanmoins l’égalité des deux langues officielles en matière de bilinguisme institutionnel.
Une approche pour faire du français la langue publique commune du Québec
Au Québec, le projet de loi no 96 (PL 96), Loi sur la langue officielle et commune du Québec, le français, veut aussi agir pour freiner le déclin du français. La loi 101 visait à faire du français « une langue utile et nécessaire », alors que le PL 96 veut en faire une véritable langue commune, soit « la langue d’accueil et d’intégration des personnes immigrantes ».
Le PL 96 prévoit renforcer l’utilisation du français comme langue de l’État et des relations avec les citoyens, en plus d’y assujettir les institutions parlementaires. Il crée le poste de commissaire à la langue française et renforce l’Office québécois de la langue française. Il reconnaît de nouveaux droits linguistiques aux employés sur le marché du travail et ajoute des obligations de francisation destinées aux entreprises situées au Québec, incluant les entreprises privées de compétence fédérale. Enfin, le PL 96 s’ouvre à la réalité de la francophonie canadienne et prévoit des mesures pour favoriser la mobilité étudiante et l’enseignement supérieur en français, une dimension complètement ignorée par la loi 101.
Le PL 96 approfondit l’action du Québec en matière de promotion du français, mais sans rompre avec certains compromis, en particulier eu égard à l’article 133 de la loi 101, qui permet de soustraire un organisme ou une entreprise à l’application de la loi pour une durée allant jusqu’à un an. De plus, le libre choix en matière linguistique dans le domaine de l’enseignement supérieur est maintenu. Par ailleurs, il n’est fait aucun cas des langues autochtones, alors qu’elles étaient mentionnées dans la loi 101.
Pour une reconnaissance de la diversité de la franco-ontarienne
La Loi sur les services en français de l’Ontario comprend deux modifications. Elle reconnaît la diversité de la francophonie ontarienne dans son préambule. Elle est guidée par le principe de l’offre active, c’est-à-dire l’idée selon laquelle les services en français devront être offerts de façon proactive. En d’autres mots, le gouvernement ontarien devra se donner les moyens d’offrir ces services aux Franco-Ontariens de façon automatique, au lieu d’atttendre que ces derniers lui en fassent la demande.
À ce jour, le gouvernement ontarien offre des services en français dans des établissements désignés au sein de régions désignées bilingues. Il existe 26 telles régions en Ontario, regroupant environ 80 % de la population francophone de la province. Le gouvernement a aussi élargi les pouvoirs de la ministre des Affaires francophones en lui donnant l’autorité d’offrir de nouveaux services en français à l’extérieur des régions bilingues.
Toutefois, la modernisation de la loi ontarienne ne rompt pas avec l’étapisme qui caractérise l’approche de la province en matière de services en français. Cette approche administrative reste peu contraignante, malgré la nouvelle exigence d’imputabilité qui sera imposée aux différents ministères. Le gouvernement ontarien privilégie une « approche des petits pas », qui convient qu’offrir des services en français doit se faire de façon graduelle, pratique et raisonnable. L’Ontario n’a aucune intention de devenir une province officiellement bilingue, et les nouvelles modifications à sa loi ne changeront rien à la situation.
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La volonté de renforcer le français par rapport à l’usage prédominant de l’anglais en Amérique du Nord et au Canada guide en partie les projets de loi fédéral, québécois et ontarien. Ceux-ci rappellent le rôle clé des gouvernements en matière de politique linguistique afin de favoriser la diversité des langues. Le principe de l’égalité réelle au fédéral, la reconnaissance du français comme langue publique commune au Québec, et l’exigence d’offre active de services en Ontario constituent des avancées majeures au pays sur le plan de la représentation du français. Pour favoriser la progression de l’égalité réelle du français, les nouvelles lois devront toutefois prendre appui sur des mécanismes de mise en œuvre et des outils de mesure afin de permettre un suivi constant en vue de leur prochaine révision, dans dix ans.