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Le gouvernement québécois a récemment présenté ses nouvelles orientations en matière d’immigration. Le message est clair : la langue devient une condition sine qua non pour s’installer de façon permanente au Québec.

Ce resserrement des règles aura des impacts importants sur les futurs immigrants, mais aussi sur ceux vivant déjà au Québec. Il marque aussi la consolidation de l’approche prônée par la CAQ en matière d’immigration permanente : d’abord assurer la protection du français, avant la croissance démographique ou économique liée à l’immigration. D’ailleurs, si le Québec devait accueillir plus d’immigrants, ce sera uniquement en raison de la croissance du nombre d’immigrants économiques francophones.

La nouvelle approche inclut une réforme du programme de sélection des travailleurs qualifiés, une refonte du Programme de l’expérience Québécoise (PEQ), des changements aux conditions du programme de regroupement familial, à celui des investisseurs et à celui des travailleurs autonomes.

De plus grandes exigences pour les immigrants économiques

Bien que la connaissance de la langue ait toujours été centrale dans les orientations du Québec en matière d’immigration (qui furent mises en œuvre par le biais des pouvoirs dévolus à la province dans le cadre de l’Accord Canada-Québec de 1991), l’approche prônée par la CAQ augmente les exigences linguistiques pour tous les programmes d’immigration économique.

Un nouveau Programme de sélection des travailleurs qualifiés (PSTQ) sera mis en place. Alors que dans le programme actuel, la connaissance du français pouvait augmenter les scores globaux des candidats à l’immigration dans grille de sélection, le PSTQ fait de la connaissance du français une condition nécessaire à l’immigration.

Pour les volets 1 à 3 du programme, la connaissance minimale exigée sera modulée en fonction du niveau de qualification requise. Les travailleurs visant un poste de gestion ou qui demande généralement une formation postsecondaire devront posséder une compétence en français de niveau 7 (intermédiaire avancé) à l’oral et 5 à l’écrit, sur une échelle qui en compte 12. Les autres emplois seront soumis à un niveau 5 à l’oral, soit le début de l’échelle intermédiaire. Le gouvernement s’est donné une petite marge de manœuvre pour le volet 4 « talents d’exception ». Pour cette petite partie du programme qui vise des compétences « exceptionnelles », aucune connaissance du français n’est exigée pour l’instant.

Le PSTQ crée aussi une obligation linguistique pour les conjoints des demandeurs principaux à l’immigration au Québec, soit un niveau minimum de 4 à l’oral, le dernier échelon pour une compétence de base. La vaste majorité des candidats à l’immigration permanente devront donc avoir une connaissance intermédiaire du français.

Un nouveau PEQ

En parallèle, le PEQ (Programme de l’expérience québécoise) renaît de ses cendres. Le PEQ est une passerelle vers la résidence permanente pour les immigrants temporaires, à travers deux volets : les diplômés du Québec et les travailleurs étrangers temporaires. En 2020, le gouvernement de la CAQ avait limité dans la controverse l’accès à ce programme très populaire auprès des étudiants internationaux ayant acquis un diplôme d’une institution québécoise et une expérience de travail conséquente dans la province.

Dans la nouvelle mouture du PEQ, l’exigence d’emploi disparaît du volet des diplômés, mais la langue devient centrale : seuls les programmes d’études en français seront admissibles. Le programme reste ouvert aux travailleurs temporaires et devient accessible à de nouvelles professions, autrefois exclues du PEQ, par exemple les camionneurs ou les préposés aux bénéficiaires. Pour les deux volets (diplômés et travailleurs temporaires), un niveau 7 ou plus est exigé à l’oral. Les conjoints, eux, devront encore avoir un français oral de niveau 4, comme c’était le cas depuis juillet 2021.

La version 2023 du PEQ est donc, dans les faits, limitée aux personnes avec des connaissances avancées du français et ayant interagi fortement avec des institutions francophones dans le cadre de leur expérience préalable au Québec.

Les gens d’affaires et les regroupements familiaux

Une même tendance est annoncée pour les gens d’affaires : les programmes dédiés aux investisseurs et aux travailleurs autonomes exigeront dorénavant un français oral de niveau 7.

Les nouvelles orientations affectent aussi le parrainage dans le cadre des regroupements familiaux. Cela reflète les revendications du gouvernement actuel, qui a exigé le transfert de pouvoirs d’Ottawa afin de pouvoir soumettre les réunifications familiales à des critères linguistiques. À défaut de ces pouvoirs supplémentaires, la réforme ajoute une composante linguistique aux exigences des personnes garantes – les parrains –, en plus des conditions financières. Le gouvernement souhaite maintenant qu’un plan d’accueil et d’intégration soit soumis au ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration par la personne garante, dans lequel elle « s’engagera notamment à soutenir l’apprentissage du français par les personnes parrainées ».

Vers une nouvelle ère en immigration au Québec ?

Bien que ces changements restent encore à être mis en œuvre, le message envoyé par la CAQ, alors que Québec s’apprête à revoir ses seuils d’immigration, est clair : il faut parler français pour immigrer de façon permanente au Québec. À cet égard, il convient d’apporter une nuance importante. Depuis 1991, la province met en place des programmes d’immigration visant à s’assurer qu’une part importante des immigrants connaissent et utilisent le français au moment d’être reçus. À titre indicatif, la proportion de personnes immigrantes déclarant connaître le français au moment de leur admission se situait à près de 70 % en 2021.

Les nouvelles orientations intensifient donc l’approche historique du Québec en plus de renforcer les privilèges accordés aux francophones et francotropes dans la sélection. Elles créent aussi des exigences administratives supplémentaires pour les candidats à l’immigration et ceux qui les soutiennent.

Ces changements auront des conséquences marquées sur l’origine des immigrants que le Québec va accueillir, en donnant des avantages encore plus importants aux bassins de la francophonie, tels que la France, la Belgique, le Maroc, la Tunisie, le Sénégal ou le Bénin. Pour les personnes déjà installées au Québec dans le cadre d’un processus d’immigration temporaire pour des études ou pour le travail – et souvent issus de pays non-francophones, comme la Chine, l’Inde, les Philippines, ou l’Iran – la réforme envoie aussi le signal que l’accès à la résidence permanente ne pourra se faire que par un apprentissage soutenu du français.

Ces nouvelles réalités pourraient donc non seulement changer le visage de l’immigration permanente, mais aussi celui de l’immigration temporaire.

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Catherine Xhardez
Catherine Xhardez est professeure adjointe au département de science politique de l'Université de Montréal. Twitter @CathXhardez
Mireille Paquet
Mireille Paquet est professeure agrégée au Département de science politique de l’Université Concordia, titulaire de la Chaire de recherche sur la politique d’immigration.

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