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Il n’y a pas si longtemps, j’étais un étudiant hors Québec venu étudier à McGill. 

J’ai saisi l’occasion d’améliorer mon français, puis j’ai développé l’intention de rester au Québec. Après des études de doctorat en Ontario, ce fut pour moi une décision facile de revenir en 2021 pour un poste à Bishop’s. En tant qu’ex-étudiant de McGill, j’ai constaté que nous demeurions parfois dans une bulle anglophone au centre-ville de Montréal.  

À Bishop’s, les étudiants qui viennent d’ailleurs au pays font souvent le contraire : ils explorent et découvrent la région, ils travaillent dans des commerces locaux et ils forgent des amitiés et des relations à vie avec leurs collègues francophones. D’ailleurs, environ le tiers de nos étudiants sont des francophones, et les deux langues officielles font partie de notre campus.   

J’aimerais bien citer des douzaines d’exemples de mes étudiants canadiens hors Québec pour illustrer à qui le gouvernement va fermer la porte, mais je manquerais d’espace. Il suffit de dire que ce sont des étudiants qui aiment leur milieu de vie au Québec, qui travaillent souvent à temps partiel en français, et qui veulent perfectionner leur français et contribuer à la société québécoise. Plusieurs de ces étudiants ont choisi Bishop’s précisément dans le but d’apprendre ou améliorer leur français.  

Pourquoi donc ne pas simplement étudier dans un établissement francophone? Malheureusement, la qualité de l’enseignement du français au Canada anglais est lamentable, comme des études l’ont montré. L’accès aux programmes d’immersion française est aussi un problème. J’offre ma propre expérience comme explication : bien que j’aie complété un programme d’immersion française en Ontario, je n’aurais jamais qualifié la qualité de mon français comme étant adéquate pour réussir dans une école francophone. Pour sa part, Bishop’s offre des cours principalement en anglais dans un environnement intensément francophone.  

Pour justifier sa décision de hausser les droits de scolarité des étudiants provenant de l’extérieur de la province, le gouvernement cite deux objectifs parfaitement raisonnables : rediriger les ressources financières vers les universités francophones moins nanties et aider à renverser le déclin du français à Montréal. Mais quel est le lien avec l’Université Bishop’s?   

L’erreur de la ministre 

Le gouvernement prétend que les étudiants hors Québec sont des privilégiés qui viennent ici pour profiter des frais de scolarité plus bas que dans leur province d’origine. 

Je cite la ministre Déry lors d’un entretien avec Mario Dumont : « on veut arrêter de financer des étudiants qui viennent ici pour la plupart à des tarifs très privilégiés (…) la majorité des programmes coûtent beaucoup plus cher [au Canada] ». 

C’est inexact. Nos étudiants qui viennent d’autres provinces payent actuellement des droits de 9000 $ par année, au lieu de 5843 $ pour étudier en Colombie-Britannique (UBC), 6100 $ en Ontario (U Toronto), ou 6500 $ en Alberta (U Alberta). Dans les faits, le coût moyen pour un programme de premier cycle au Canada en 2022-2023 était de 6834 $, ce qui est assez loin des 17 000 $ que le gouvernement du Québec avance. 

La ministre Déry maintient que son gouvernement ne ferme pas la porte aux étudiants hors Québec, que ceux-ci vont continuer à venir chez nous et qu’« on a encore un tarif plancher qui va être attractif dans plusieurs programmes ». Mais elle ne semble pas saisir que les droits de scolarité plus élevés qu’elle évoque sont ceux d’une poignée de programmes plus dispendieux (comme le droit), qui ne touchent qu’une petite minorité d’étudiants.  

De toute évidence, on ne devrait pas traiter des étudiants hors Québec comme des opportunistes qui viennent au Québec parce que c’est moins cher, et qui ne sont pas intéressés par le français et la province. En réalité, il en coûte déjà plus cher actuellement à ces étudiants de terminer leurs études au Québec que dans n’importe quelle autre province. Ceux qui viennent à Bishop’s ont manifestement un fort intérêt pour le Québec et la langue française. 

Objectifs légitimes, moyens ineffectifs 

Ce qui est encore plus frustrant est que le gouvernement envisage des objectifs complémentaires légitimes, soit la protection du français et un meilleur financement pour le réseau francophone. Malheureusement, les moyens choisis sont peu appropriés pour les atteindre. 

Certes, les institutions anglophones pourraient être de meilleurs partenaires si on avait les moyens d’assurer la maitrise du français pour les étudiants hors Québec, de même que leur intégration au marché du travail. Pour sa part, Bishop’s est préoccupée par l’enjeu de la rétention du talent en région. Mais au lieu d’envoyer le message que toute personne talentueuse qui accepte notre langue commune est la bienvenue chez nous, le gouvernement fait le contraire avec la réforme proposée. 

D’un point de vue personnel, pour la première fois, je commence à ne pas me sentir le bienvenu ici, étant donné que je n’aurais jamais pu m’établir au Québec si cette mesure avait été en vigueur. 

Quant aux étudiants qui quittent le Québec après leur diplomation, pourquoi financer une partie de la formation? La première partie de la réponse est qu’il y a des bénéfices pour le Québec, ou que les autres provinces font la même chose pour les étudiants québécois et d’ailleurs au pays. Ensuite, le phénomène des étudiants qui retournent dans leur province d’origine après leurs études n’est pas propre au Québec. Il n’est pas facile de s’installer dans une nouvelle province quand notre famille, la plupart de nos amis, nos réseaux professionnels, ou même les opportunités de carrière sont ailleurs. Mais au final, ces échanges, même temporaires, demeurent profitables. Malheureusement, si la réforme du financement est adoptée dans sa forme actuelle, l’Université Bishop’s ne pourra probablement pas survivre. Bishop’s ne mérite pas de subir ces effets collatéraux. Cette université enracinée en Estrie depuis 1843, qui contribue le moins aux problèmes légitimes identifiés par le gouvernement – le déséquilibre financier et l’anglicisation –, est celle qui souffrirait le plus de la réforme.  

Enfin, pour un « gouvernement des régions » autoproclamé, il est curieux de constater à quel point son attention est actuellement fixée sur la métropole, au détriment d’une région pittoresque du sud-est de la province. Pourtant, la proposition aura un impact dévastateur sur l’Université Bishop’s, la ville de Sherbrooke et même l’ensemble de l’Estrie, dont l’économie est plus modeste et moins diversifiée que celle de Montréal

La fin d’un modèle québécois? 

Cela prendra possiblement des années avant que le Québec ne prenne toute la mesure des effets néfastes de cette décision. La musicienne Joni Mitchell chante « you don’t know what you’ve got till it’s gone » (on n’apprécie vraiment ce qu’on avait que lorsqu’on l’a perdu). Avant de prendre une décision aussi lourde de conséquences, il faudrait en étudier les répercussions plus en profondeur, consulter tous les secteurs et acteurs pertinents dans de multiples régions et, surtout, avoir une bonne compréhension du financement de l’enseignement supérieur. 

Le modèle québécois actuel est basé sur le principe d’une éducation supérieure accessible à tous, et il est ancré dans les valeurs de l’engagement au développement national et de la solidarité sociale. Le Québec abandonnera cet héritage et optera à la place pour la création de nouvelles inégalités profondes et sans précédent dans notre système d’éducation supérieure.  

Heureusement, il reste du temps pour corriger le tir. Espérons que le gouvernement retrouvera la raison. 

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Jacob  Robbins-Kanter
Jacob Robbins-Kanter est professeur adjoint du Département de politique et détudes internationales de l’Université Bishop’s. X : @jrobkan 

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