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En tant que Franco-Ontarien égaré, je suis peut-être un exemple parfait des succès et des échecs de nos systèmes d’éducation francophones.

Je viens de redécouvrir mes compétences linguistiques françaises, après deux décennies. Le français est la langue maternelle de mon père. À ce jour, ma grand-mère habite toujours dans une petite ville francophone. Sauf pour quelques années, j’ai toujours habité dans des communautés au sein desquelles le français était fortement présent. Quand j’étais jeune adolescent, la moitié de mes amis parlaient français à la maison. Et je suis allé à l’école d’immersion française juste qu’en dixième année (secondaire 4, au Québec), quand j’ai déménagé en Alberta. C’est là que mon éducation en français s’est terminée.

Il y a des communautés francophones tout autour d’Edmonton, et mon école offrait une classe de français. Le problème n’était pas que l’éducation en français n’était pas accessible, mais qu’il n’y avait qu’un ou deux élèves à mon niveau. Et, bien honnêtement, je n’étais pas intéressé de discuter dans un coin avec les deux francophones pendant que les autres élèves devaient apprendre les aspects fondamentaux du français. C’était ennuyant, et peut-être un peu gênant. Alors j’ai quitté la classe.

En plus de n’avoir accès qu’à une poignée de pairs à mon niveau, je n’avais pas d’encouragement hors de la maison à poursuivre l’apprentissage du français. Après tout, il n’y avait pas beaucoup d’occasions de parler français, et hors du Québec, le français semblait dépassé. En somme, c’était plus un loisir qu’une compétence utile. Les gens déménageaient dans l’Ouest du pays par vagues. Pourquoi s’embêter avec la langue ancestrale?

Retour aux sources

Au cours des deux décennies suivantes, j’ai vécu et voyagé partout en Amérique du Nord. Même si j’ai demeuré dans des villes comme Winnipeg (où résident d’importantes communautés francophones), je n’ai pas fait l’effort de maintenir mes compétences linguistiques. Je tenais pour acquis que je pouvais simplement décider un jour de me rattraper. En plus, le français, c’est facile, n’est-ce pas ?

Il va sans dire que j’ai changé d’avis. Comme adulte, je suis entré dans le monde des affaires publiques. Dans un pays officiellement bilingue, c’est un grand désavantage de ne pas être parfaitement bilingue. Je suis aussi tombé amoureux du Québec. Un jour, j’aimerais vivre à Québec ou (plus pratique) à Montréal. J’ai donc corrigé mes erreurs de jeunesse.

Au début de la pandémie, j’ai décidé de renouer avec la langue française. J’avais une bonne base. Mais il y a une grande différence entre être capable de lire Le Petit Prince et avoir la capacité d’écrire sur des sujets techniques en français. J’avais beaucoup de rattrapage à faire. Un des rares aspects positifs de la distanciation sociale due à la COVID-19 est que beaucoup de ressources pédagogiques ont été mises en ligne. Je pouvais donc suivre des cours de français avec d’autres gens à mon niveau, peu importe où ils habitaient. La plupart des étudiants de l’Alliance française étaient aussi très motivés. Ce n’était donc pas comme s’asseoir dans le coin en attendant que les autres élèves nous rattrapent.

Les émissions en français sur ICI TOU.TV, une application de Radio-Canada, sont une autre ressource éducative qui m’a beaucoup aidé. J’ai découvert que regarder des émissions avec les sous-titres français m’aidait à suivre le dialogue quand les personnages parlaient très vite ou qu’ils s’exprimaient moins clairement. Lire en français est très important – et particulièrement utile quand ce sont des auteurs comme Albert Camus qui écrivait très clairement –, mais la télévision (ou la radio) est particulièrement utile parce qu’elle montre comment les gens s’expriment dans le monde réel. Le ton de la voix, le rythme, les abréviations, le joual. Après tout, tu veux ressembler à un humain quand tu parles!

En avril 2022, j’ai décidé que je profiterais d’une expérience plus immersive. Je suis donc retourné à Québec, non pas comme touriste, mais comme étudiant. J’ai suivi des cours de français intensifs dans une école de langue. Ça m’a donné la confiance pour progresser au point où je peux maintenant écrire en français (avec un peu d’aide à la révision!). Malheureusement, tout le monde n’a pas le temps ou l’argent pour faire une chose semblable. Il reste que ça a été extrêmement utile pour moi.

Finalement, j’ai commencé à participer à des soirées francophones dans un pub de Toronto. Étudier une langue n’a pas à être ennuyeux. Avoir une bonne raison de parler français régulièrement m’aide beaucoup. Ou peut-être que c’est juste amusant.

Les politiques doivent changer…

Mon objectif était d’abord de me servir de mes expériences personnelles pour renforcer les points que j’avais abordés dans un article précédent, sur les bénéfices économiques, sociaux et géopolitiques de l’apprentissage du français. Après tout, les solutions demeurent politiques.

Avoir la possibilité d’inscrire des enfants en immersion française est essentiel. Malgré les défis que représentent les règles d’accès quant à ceux qui peuvent – ou doivent, dans le cas du Québec – inscrire leurs enfants à l’école française, c’est possible dans une grande partie de l’Ontario. Mais à bien des endroits dans l’Ouest, c’est plus difficile. Améliorer l’accès devrait être une priorité.

On doit aussi s’assurer qu’il y ait suffisamment d’endroits où les gens peuvent parler français régulièrement. Cela présente des opportunités pour bien des communautés francophones au pays. Présentement, des gens de partout au Canada et du monde entier vont à Québec pour apprendre et pratiquer leur français. Il n’y a aucune raison que les villes comme Moncton ou Winnipeg, où l’on trouve non seulement des communautés, mais des institutions francophones, ne puissent profiter de ce genre de tourisme (à plus petite échelle). Développer une stratégie pour mettre à profit ces fondations francophones ne demanderait pas d’approche révolutionnaire. En fait, c’est peut-être surtout une question de marketing.

Ottawa pourrait également s’assurer que des ressources comme ICI TOU.TV sont entièrement gratuites, au lieu de réserver une grande partie du contenu aux abonnés, comme c’est le cas présentement.  Rendre accessibles toutes les émissions à tout le monde ne devrait pas coûter trop cher. (Ça serait d’ailleurs la moindre des choses pour un diffuseur public comme Radio-Canada.)

Pour l’année 2021-2022, le revenu total d’abonnements pour les services français de Radio-Canada/CBC était d’un peu plus de 60 millions $ (en incluant ICI RDI et ICI ARTV). Ça peut semble cher, mais c’est semblable au budget annuel du zoo de Toronto (59 millions $ en 2023) ou au réseau de bibliothèques publiques de la ville d’Ottawa (60 millions $ en 2023). Le gouvernement fédéral pourrait renoncer à ces sommes, sans conséquence.

Enfin, les gouvernements pourraient consulter les institutions éducationnelles francophones comme les universités et les Alliances françaises pour déterminer s’il existe des opportunités pour augmenter les ressources en ligne, et offrir des incitations en ce sens. Du point de vue de ces organisations, le retour en présentiel après les perturbations de la pandémie a certainement du sens. Mais tout le monde n’a pas la chance de vivre près d’une communauté francophone, ou le luxe de pouvoir se déplacer.

Et les attitudes aussi!

Toutes les solutions ne peuvent pas venir du gouvernement. Nous devons valoriser le bilinguisme pour que le français puisse prospérer partout au Canada. Ma propre histoire montre que j’ai eu la plupart des occasions dont j’avais besoin pour atteindre l’âge adulte complètement bilingue, mais que j’ai laissé tomber. Plus de ressources éducationnelles et sociales, et d’options de divertissement auraient aidé, mais ce n’aurait peut-être pas été suffisant. Nos attitudes doivent changer. Si nous considérons le français comme une extravagance, nos gouvernements vont le traiter comme un luxe. Si nous n’encourageons pas les gens à apprendre et pratiquer le français, ils ne le feront pas. Si nous voulons rester un pays bilingue, nous devons valoriser le français.

Une grande partie de la conversation concernant la place de la langue française dans le Canada est défaitiste. Mais je crois qu’avec des petits changements de politiques et d’attitude, nous pouvons renforcer le français partout au pays.

Du même auteur :

Ottawa doit miser sur un « bilinguisme de l’offre » dans le ROC

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Steve Lafleur
Steve Lafleur est directeur de recherche à l’Institut de recherche en politiques publiques (IRPP), où il dirige le programme de recherche Refonder la croissance économique sur de nouvelles bases. Il dirige également l’initiative de l’IRPP qui explore le rôle de la politique industrielle dans la prochaine transformation économique du Canada.

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