Le Canada est un pays officiellement bilingue, mais dans les faits, il y a peu de places hors du Québec où les gens peuvent vivre d’abord en français. Et ça ne risque pas de changer. Mais le Canada peut et doit essayer d’être un pays fonctionnellement bilingue sans que ça ne demande nécessairement de grands changements controversés. Pour revigorer l’usage du français dans le reste du Canada, il suffirait de changer d’attitude et de servir de la carotte plutôt que du bâton. 

Un rapport récent de Statistique Canada montre que la proportion de Canadiens qui parlent principalement français a baissé de presque un point de pourcentage en seulement cinq ans, passant de 21,4 % en 2021, contre 22,2 % en 2016. Environ 18 % des Canadiens sont bilingues (français-anglais). Hors du Québec, cette proportion tombe à 9,5 %, alors qu’elle était de 10,3 % en 2001.  

La proportion de personnes bilingues varie beaucoup entre d’une province à l’autre. On trouve 34 % de personnes bilingues au Nouveau-Brunswick et 4,7 % en Saskatchewan. En suivant spécifiquement les régions métropolitaines de recensement (RMR) on trouve d’importantes communautés francophones dans des villes comme Moncton (32,6 %), le Grand Sudbury (22,7 %), ou Ottawa (14,9 %). Des petites municipalités comme St-Pierre-Jolys au Manitoba (40 %) et Falher en Alberta (41 %) présentent aussi d’importantes concentrations de francophones.  

En bref, bien que l’usage du français ait diminué à l’extérieur du Québec, il existe encore des endroits où la langue conserve une certaine vitalité. Le français reste la langue maternelle de 900 000 Canadiens, hors Québec.  

Les débats sur la place du français sont souvent centrés sur l’unité nationale, les droits des francophones et la préservation de la culture. Bien que ces considérations soient importantes, elles ne sont pas les seules raisons de promouvoir le français au pays. Bon nombre de ces avantages se classent dans trois catégories : la formation du capital humain, la mobilité et la place du Canada dans le monde. 

Le bilinguisme ne rend pas plus intelligent… mais il ouvre des portes! 

Contrairement à la croyance populaire, le bilinguisme ne rend pas nécessairement les gens plus intelligents. Une étude menée à l’Université de Western Ontario auprès de 11 000 participants n’a trouvé aucune preuve d’une corrélation entre le bilinguisme et d’autres aptitudes mentales. Il n’en demeure pas moins que les compétences linguistiques ouvrent des portes, et qu’il est plus facile de les acquérir à un jeune âge.  

Il est beaucoup plus facile d’apprendre le français dès l’enfance et de continuer à entretenir ces compétences à l’âge adulte que de suivre un cours accéléré de français avant de se rendre à Paris ou de postuler un emploi à Québec ou au gouvernement fédéral. De plus, les Canadiens bilingues gagnent en moyenne 10 % de plus que les anglophones unilingues. Donner à un plus grand nombre d’enfants la possibilité de développer leur maîtrise du français semble être une solution facile à mettre en œuvre.  

On doit également considérer la mobilité. Concrètement, les francophones unilingues vivent dans un plus petit pays que les anglophones. Bien qu’il existe des endroits où ils pourraient plausiblement vaquer à toutes leurs occupations dans leur langue maternelle, il leur serait difficile de le faire à Vancouver ou à Toronto – sans parler de Calgary ou de Saskatoon. Les francophones ont un éventail de possibilités beaucoup plus restreint que les anglophones. 

Mais cela fonctionne aussi en sens inverse. Le Québec est une grande province, et Montréal est l’une des plus grandes villes du Canada. Les opportunités pour les anglophones peuvent être plus difficiles à trouver, et pas seulement à cause des politiques publiques. Si vous ne pouvez pas parler la langue des affaires dans un milieu donné, il est difficile de progresser. Si de nombreux Torontois rêvent de déménager à Montréal, où le marché du logement est beaucoup plus abordable, il existe de nombreux obstacles à leur pleine intégration à leur éventuelle communauté d’adoption.  

Enfin, le bilinguisme offre au Canada des possibilités sur la scène mondiale. Fonctionner en français crée des occasions d’affaires avec plus d’un quart de milliard de francophones dans le monde, ce qui est un avantage indéniable. Cela nous donne également des possibilités en matière de diplomatie. En tant que puissance moyenne, la capacité du Canada à influencer les affaires mondiales provient principalement de notre capacité à influencer nos alliés et à bâtir des coalitions.  

Même si le Canada n’aura jamais le même niveau d’influence internationale que les grandes puissances militaires, nous avons déjà eu un impact sur la scène mondiale. L’approfondissement de nos liens avec nos alliés francophones est un moyen d’influencer les affaires internationales.  

Le « billinguisme de l’offre » 

Les avantages du bilinguisme sont clairs, mais inverser le déclin de la connaissance du français n’est pas une tâche facile – surtout hors du Québec. Il existe de nombreuses solutions possibles, mais j’aimerais me concentrer sur les incitations. On pourrait parler de « bilinguisme de l’offre ». 

La solution la plus évidente est d’augmenter la disponibilité des programmes d’immersion française. Bien que cette solution soit simple d’un point de vue conceptuel, dans la pratique, elle pourrait être limitée par la disponibilité des enseignants bilingues, la capacité à les attirer dans les endroits où ils sont les plus nécessaires et les contraintes budgétaires. Mais faire du bilinguisme une plus grande priorité dans les écoles situées hors des communautés traditionnellement francophones semble être une approche raisonnable. 

Une autre solution similaire consiste à assurer la disponibilité de médias éducatifs et de divertissement en langue française. Radio-Canada et sa plateforme en ligne ICI TOU.TV en sont de bons exemples. Toutes deux fournissent des informations et des divertissements aux Canadiens qui souhaitent en pratiquer leurs compétences en français. Il n’y a qu’à disposer d’une connexion Internet.  

Une solution moins discutée est de se concentrer sur les régions à forte présence francophone (RSFP), une opportunité identifiée par Mario Polèse qui appelle à leur renforcement. Bien qu’il existe une multitude de façons d’utiliser ces régions où le français est en meilleure santé, afin d’aider à promouvoir la langue, la notion de création d’environnements à prédominance française semble prometteuse.  

Les communautés hors Québec qui décident de se promouvoir en tant que pôles francophones pourraient avoir l’occasion de se spécialiser dans la formation et le divertissement en français. On peut imaginer que cela pourrait avoir des retombées positives sur le développement économique. Des villes comme Sudbury et des quartiers comme Saint-Boniface à Winnipeg illustrent comment les communautés francophones historiques peuvent prospérer en faisant la promotion de leur histoire et de leurs cultures uniques.  

Enfin, il y a l’immigration de langue française. Ce n’est pas une solution miracle, comme le rappelle M. Polèse. Un plus grand nombre d’immigrants francophones peut faire partie de la solution, mais si nous ne créons pas des environnements où ils peuvent s’épanouir en tant que francophones – au moins une partie du temps – leur impact sera atténué. Mais l’immigration ne doit être qu’une pièce du casse-tête.  

La langue française semble être sur la voie d’un lent déclin au Canada. Mais ce n’est pas inévitable. Et nous avons les populations et les cultures régionales nécessaires pour renverser ce déclin. Les gouvernements devraient utiliser certaines des incitations à leur disposition pour promouvoir le bilinguisme. Mais plus que cela, nous avons besoin d’un changement d’attitude.  

Les compétences linguistiques en français ne devraient pas seulement permettre aux gens de cocher des cases sur les demandes d’emploi. Elles devraient plutôt être considérées comme un avantage économique, social et géopolitique.

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Steve Lafleur
Steve Lafleur est un analyste de politiques publiques et un chroniqueur basé à Toronto. Il compte plusieurs décennies d’expériences au sein de groupes de réflexion et ses textes paraissent fréquemment dans les journaux de tout le pays.

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