(English version available here)

La hausse de l’inflation a mis les finances de nombreux ménages à rude épreuve.

En octobre 2023, par exemple, les prix moyens à la consommation avaient augmenté de 15 % par rapport au niveau prépandémique. Sur la même période, des biens aussi essentiels que le logement et la nourriture ont connu des hausses de prix de 20 % et 23 % respectivement.

En parallèle, les divers paliers de gouvernement au Canada ont durci leurs politiques climatiques. Certains ont voulu lier les deux phénomènes, alléguant que les politiques climatiques telles que la taxe carbone étaient responsables de la hausse du coût de la vie.

S’il y a de bonnes raisons de se soucier de l’abordabilité en général, les politiques climatiques y contribuent assez peu, cependant. Et leur suppression ne changerait quasiment rien à la situation financière des ménages.

Mais avant d’examiner l’impact de la tarification du carbone sur les prix à la consommation, il convient d’exposer la situation générale quant à l’enjeu d’abordabilité.

Combien coûte le coût de la vie ?

Des prix à la consommation plus élevés affectent le revenu réel – et de beaucoup. Entre février 2020 et l’été 2023, l’augmentation des prix à la consommation a réduit le revenu disponible global des ménages de presque 100 G$. Ce qui soulève de sérieux problèmes d’équité puisque tous les ménages n’ont pas été affectés également.

Sur la foi des dernières données de Statistique Canada, nous estimons qu’entre février 2020 et l’été 2023, la famille médiane (moins de 30 000 $ par an) a vu ses dépenses augmenter de 395 $ par mois. Pour les familles gagnant entre 60 000 $ et 90 000 $ par an, la hausse médiane n’est que de 635 $ par mois – soit moins du double. (L’impact sur chaque ménage variera en fonction de sa taille, du type d’emploi ou selon qu’il est propriétaire ou locataire.)

Malgré la baisse de l’inflation, ces disparités persistent. Les propriétaires n’ayant pas contracté d’hypothèque, par exemple, ont échappé aux hausses des taux d’intérêt.

Dans ce portrait, quel est l’impact des politiques climatiques, et plus particulièrement de la taxe carbone ?

Leur impact est très divers, à la fois sur la consommation, l’emploi, la santé et les finances publiques. La consommation vient d’abord à l’esprit, puisque ces politiques peuvent influencer le prix des transports, du logement, de l’énergie, etc. Les normes sur les combustibles propres, par exemple, peuvent augmenter le coût de production des raffineries, lequel se répercutera sur le consommateur à travers des prix supérieurs sur les carburants. Inversement, une politique favorisant l’électricité renouvelable peut entraîner une diminution des coûts de production et donc une baisse de prix.

C’est pourquoi les politiques climatiques ont très peu joué dans l’évolution récente de l’inflation au Canada.

Le faible coût d’un prix sur le carbone

Des recherches récentes ont clairement établi que la tendance inflationniste des dernières années s’explique largement par la flambée mondiale des prix de l’énergie. La taxe carbone et d’autres mesures fiscales indirectes (taxes de vente et d’accise) y ont eu fort peu contribué. Nous le savons parce que Statistique Canada suit et rapporte l’évolution des prix indépendamment de l’effet des impôts indirects.

Selon les données les plus récentes, l’augmentation progressive entre janvier 2015 et octobre 2023 des impôts indirects, y compris la taxe carbone, a contribué à la hausse des prix à la consommation à hauteur de 0,6 %.

Autrement dit, la quasi-totalité de la hausse du coût de la vie entre 2021 et 2023 est due à d’autres facteurs. De même, les récentes baisses de l’inflation découlent principalement de la chute des prix de l’énergie.

L’effet d’une taxe carbone sur la hausse des prix des aliments est encore plus faible. Par exemple, en Colombie-Britannique, l’impact sur le coût moyen ne serait que de 0,33 %, si l’on se fie aux dernières estimations de Statistique Canada. On parle ici de l’effet total. D’autres produits de première nécessité, tels que les vêtements et les chaussures, coûtent environ 0,2 % plus cher à cause de la taxe carbone.

L’effet est donc réel – mais bien moindre que la hausse globale des prix subie au Canada. Quant à l’abordabilité et la hausse du coût de la vie, la tarification du carbone n’y est pour rien. (Nous en discutons en détail dans un article récent pour l’École de politiques publiques de l’Université de Calgary.)

Les remises compensent le coût de la taxe carbone

L’abordabilité n’est pas qu’une affaire de prix ; le revenu en est une composante essentielle. Le revenu réel – défini comme le revenu gagné pondéré par l’indice des prix à la consommation – exprime le pouvoir d’achat réel de chacun.

Afin de bien mesurer les effets des politiques climatiques sur l’abordabilité, il faut donc tenir compte des mesures complémentaires – telles que les rabais pour les personnes à faible revenu ou la remise canadienne sur le carbone.

Prenons le cas du filet de sécurité fédéral qui prélève les taxes sur les carburants dans les provinces qui ne le font pas déjà. Les recettes de cette taxe financent des transferts directs en espèces, principalement aux particuliers.

Chaque année, le gouvernement fédéral reverse 90 % des recettes perçues dans ces juridictions aux ménages sous forme d’une remise canadienne sur le carbone. Le montant que reçoit chaque famille dépend de sa taille et de sa situation géographique (rurale ou urbaine). Le paiement est automatique et indépendant du revenu. Il suffit d’avoir rempli sa déclaration de revenus.

Autrement, la plupart des familles reçoivent plus de remises qu’elles ne paient de taxe carbone. Et la remise ne tient aucun compte de la consommation de carburant. Autrement dit, ceux qui conduisent moins paient moins de taxes sur le carbone tout en recevant le même montant.

Sur la base des dernières données de Statistique Canada, nous estimons que le coût net annuel médian de la taxe carbone pour les ménages ontariens est de -300 $. Autrement dit, ces ménages ont reçu 300 $ de plus en remises qu’ils n’ont payé en taxe carbone.

En revanche, en Colombie-Britannique, le remboursement est plutôt structuré autour du revenu et de la taille des ménages. Ceux-ci, pour la plupart, paient donc plus de taxe carbone qu’ils ne reçoivent de remise. Cela s’explique notamment par le fait que le gouvernement britanno-colombien a compensé l’introduction de la taxe carbone en réduisant ses taux d’imposition sur le revenu.

Le soutien à l’industrie joue également. Mais une analyse récente révèle que les coûts indirects de la taxe carbone – qui se répercutent sur toute la chaîne d’approvisionnement et affectent le prix des biens et des services dans l’ensemble de l’économie – sont nettement moindres grâce aux mesures correctives accordées aux grands émetteurs.

Les gouvernements doivent rendre les politiques climatiques abordables

En effet, ceux-ci reçoivent leur propre type de « remise » sous la forme de subventions basées sur leur niveau de production. L’effet est considérable : les coûts indirects s’en trouvent réduits de moitié.

Cette même analyse montre qu’un prix de carbone à 65 $ la tonne se traduit par une hausse mensuelle du panier d’épicerie de 2 $ en Ontario et de 5 $ en Alberta – au lieu de 9 $ et 22 $ respectivement s’il n’y avait aucun système de compensation pour les grands émetteurs.

Certains rejettent ces estimations sur la foi du rapport 2022 du Directeur parlementaire du budget. Celui-ci affirmait que la plupart des familles verraient leur situation se dégrader à cause de la taxe carbone. Son estimation intégrait des prévisions quant à une baisse de l’activité économique, ce qui réduit par conséquent les revenus réels des ménages.

Nous ne contestons pas cette analyse, mais d’autres études sur la taxe carbone britanno-colombienne suggèrent qu’il faut aussi tenir compte de la répartition des revenus réels. Dans cette province, les ménages à faible revenu ont des revenus réels plus élevés sous l’effet combiné de la taxe carbone et des remises, quelle que soit la variation de l’activité économique.

Sans tarification sur le carbone, le Canada devrait adopter des politiques moins efficaces, lesquelles auraient davantage d’incidence négative sur la croissance et les ménages – alors privés de remise.

Une politique climatique efficace qui ne perd pas de vue les enjeux d’abordabilité, voilà donc le défi. L’équilibre dans la conception et la coordination des politiques peut assurer à la fois la réduction efficace des émissions et le maintien du niveau de vie des ménages canadiens.

Conseillère scientifique au ministère fédéral de l’Environnement et du Changement climatique, Jennifer Winter est cosignataire de ce document en son nom personnel.

Souhaitez-vous réagir à cet article ? Joignez-vous aux discussions d’Options politiques et soumettez-nous votre texte , ou votre lettre à la rédaction! 
Jennifer Winter
Dr. Jennifer Winter est professeure d'économie et de politique publique à l’Université de Calgary et conseillère scientifique départementale à Environnement et Changement climatique Canada.
Trevor Tombe
Dr. Trevor Tombe est professeur d'économie à l'Université de Calgary.

Vous pouvez reproduire cet article d’Options politiques en ligne ou dans un périodique imprimé, sous licence Creative Commons Attribution.

Creative Commons License