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Les Canadiens les plus démunis ont besoin de soutien supplémentaire, et rapidement.

Ce n’est pas nouveau. Les prestations provinciales d’aide sociale, qui servent à se procurer de la nourriture et d’autres produits de première nécessité, sont inférieures au seuil de pauvreté officiel du Canada depuis au moins 2013. Mais la situation s’est considérablement aggravée en raison de la poussée inflationniste qui a suivi la pandémie.

En Ontario, où le seuil de pauvreté officiel était de 27 631 $ en 2022, un adulte célibataire en âge de travailler recevait 10 253 $ en aide sociale. C’est en Alberta, en Nouvelle-Écosse et au Nouveau-Brunswick que l’aide sociale est la moins généreuse.

La recherche montre que des transferts monétaires ciblés peuvent réduire la pauvreté et l’insécurité alimentaire, en plus d’aider à combler les besoins de base. Les gouvernements ont fait des progrès considérables dans la réduction des taux de pauvreté chez les personnes âgées et les enfants grâce à des programmes tels que la Pension de la sécurité de vieillesse, le Supplément de revenu garanti et l’Allocation canadienne pour enfants.

Mais certains groupes passent à travers les mailles du filet. Les taux de faibles revenus restent élevés chez les personnes monoparentales et chez les adultes célibataires en âge de travailler et sans enfant.

Mes propres travaux indiquent que le moyen le plus rapide et le plus efficace de réduire de manière significative les taux de faibles revenus est d’augmenter le crédit de TPS/TVH pour les adultes en âge de travailler et leurs enfants – ou, au Québec, le crédit pour la TPS et la TVQ.

Cela permettrait également de lutter contre l’insécurité alimentaire croissante. En 2022, 18 % des Canadiens n’avaient pas un accès stable à une alimentation suffisante, contre 16 % en 2021 et 17 % en 2019. Plus de 40 % de ces familles étaient dirigées par des mères célibataires, tandis que plus d’un tiers des familles noires et autochtones souffraient d’insécurité alimentaire.

La fréquentation des banques alimentaires est également en hausse. Banques alimentaires Canada a enregistré près de deux millions de visites dans l’ensemble du pays en mars 2023, le dernier mois pour lequel des données sont disponibles. Il s’agit d’une hausse de 32 % par rapport à la même période en 2022, et de plus de 78 % par rapport à 2019. Les adultes célibataires en âge de travailler représentaient 44 % des utilisateurs, l’un des plus grands sous-ensembles de visiteurs.

Ces tendances sont inquiétantes. Pour faire baisser les prix des produits alimentaires, le gouvernement fédéral a annoncé des mesures visant à stimuler la concurrence entre les grandes chaînes d’épicerie, mais il est peu probable que ces efforts aient à eux seuls un impact significatif.

De plus, les causes de l’insécurité alimentaire ne se limitent pas aux prix des aliments. La forte hausse du coût du logement, des taux d’intérêt, de l’essence et des transports pèse également sur le budget des familles. Bien des ménages doivent choisir entre manger ou payer le loyer. C’est souvent la nourriture qui écope.

La recherche indique également qu’une aide au revenu est le meilleur moyen de réduire l’insécurité alimentaire. Le Conseil d’action sur l’abordabilité, un groupe non partisan d’experts politiques et de responsables communautaires, m’a demandé de rechercher et d’évaluer la manière la plus efficace et la plus rentable d’augmenter l’aide fédérale pour les ménages à faibles revenus.

J’ai examiné les réformes possibles des programmes de transfert de fonds existants, notamment le Crédit pour la taxe sur les produits et services/taxe de vente harmonisée, l’Allocation canadienne pour enfants et l’Allocation canadienne pour travailleurs, puisque ces réformes peuvent être mises en œuvre plus rapidement qu’une nouvelle prestation.

J’en ai conclu que le gouvernement fédéral devrait élargir le crédit TPS/TVH existant pour les adultes en âge de travailler et leurs enfants.

Ce crédit est une prestation générale accessible à tous les types de familles, y compris les adultes célibataires en âge de travailler et les familles monoparentales, et qui arrive bien à cibler les ménages à faibles revenus. L’Allocation canadienne pour enfants ne s’adresse qu’aux familles avec enfants et l’Allocation canadienne pour les travailleurs ne s’adresse qu’aux personnes ayant un faible revenu d’emploi.

Toutefois, le crédit existant pour la TPS/TVH est modeste. Il prévoit une prestation de base de 325 $ par an par adulte et de 171 $ par an, par enfant. Les adultes célibataires bénéficient de leur côté d’un montant annuel supplémentaire de 171 $, qui s’applique progressivement aux revenus supérieurs à 10 544 $.

Dans l’ensemble, les adultes célibataires reçoivent donc un maximum de 496 $ par an et les couples sans enfant un maximum de 650 $ par an.  Les couples avec un enfant reçoivent un maximum de 821 $ par an, comme les parents célibataires ayant un enfant, qui sont considérés comme un couple avec un enfant aux fins du calcul.

Je recommande au gouvernement fédéral de privilégier l’une des deux options suivantes : accorder un crédit mensuel de 100 $ par adulte en âge de travailler, réparti uniformément entre les ménages à revenus faibles et moyens, ou de 150 $ par mois aux personnes en situation de grande pauvreté. Les deux options toucheraient environ 10 millions de ménages et ajouteraient entre 10 et 11 milliards $ à ce qu’Ottawa dépense pour ces prestations.

Je ne recommande pas d’étendre le complément aux personnes âgées de 65 ans et plus, car elles sont moins susceptibles d’avoir un faible revenu ou de souffrir d’insécurité alimentaire. Toutefois, elles continueraient à recevoir le même montant qu’aujourd’hui.

Je recommande également que le crédit de taxes élargi soit versé mensuellement et non plus trimestriellement, comme c’est le cas actuellement. Cela permettrait de répartir les paiements de manière uniforme tout au long de l’année et assurerait aux bénéficiaires une plus grande stabilité dans la couverture des dépenses quotidiennes.

Quelle que soit la méthode de transfert de fonds retenue, certaines personnes qui auraient droit à la prestation proposée ne la recevraient pas. En effet, les aides au revenu sont distribuées par l’Agence du revenu du Canada et ne sont donc versées qu’aux personnes qui remplissent une déclaration de revenus. Or, jusqu’à 12 % des Canadiens ne remplissent pas de déclaration.

Il s’agit le plus souvent de personnes vivant dans la pauvreté, par exemple des Autochtones (en particulier les mères), des sans-abri et des bénéficiaires de l’aide sociale – ceux-là mêmes qui ont le plus besoin d’aide.

Dans le budget 2023, le gouvernement fédéral annonçait la prochaine mise à l’essai d’un service automatique de déclaration de revenus pour les Canadiens dont le revenu est faible ou fixe et qui ne remplissent pas de déclaration. Ottawa a depuis élargi un système moins ambitieux de déclaration de revenus par téléphone, mais n’a pas mis en œuvre le service automatique. Il devrait le faire dès que possible.

Sur la base de mon analyse, le Conseil d’action sur l’accessibilité a recommandé, dans un rapport publié en décembre 2023, que le gouvernement fédéral restructure et élargisse le crédit pour la TPS/TVH et le renomme « Allocation pour l’épicerie et les besoins de base ».

La prestation proposée s’appuierait sur le remboursement unique des frais d’épicerie mis en place par le gouvernement fédéral en 2023. L’option choisie par le Conseil donnerait 150 $ par mois par adulte (1800 $ par an) et 50 $ par enfant (600 $ par an) aux ménages aux revenus les plus faibles.

Il est peu probable que ce complément contribue à l’inflation, car toute aide au revenu supplémentaire que les familles à faible revenu reçoivent est susceptible d’être consacrée à l’achat de nourriture et d’autres produits de première nécessité, et non à des articles de luxe.

Néanmoins, les ménages les plus modestes ne devraient pas avoir à supporter le fardeau de la lutte contre l’inflation. Chacun devrait pouvoir se nourrir et payer son loyer.

Le gouvernement fédéral a récemment annoncé qu’il dépenserait 1 milliard $ sur cinq ans pour lancer un programme national d’alimentation scolaire, qui devrait permettre de fournir des repas à 400 000 enfants chaque année à partir de 2024-25. Ce programme est un pas dans la bonne direction, mais d’autres mesures sont nécessaires.

Pour réduire de manière significative les taux de faibles revenus et l’insécurité alimentaire croissante, le Canada a besoin d’un programme de transferts de fonds ciblés plus généreux. L’élargissement du crédit pour la TPS/TVH est le moyen le plus rapide et le plus efficace d’y parvenir.

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Gillian Petit
Gillian Petit est associée de recherche à l’Université de Calgary. Elle est titulaire d’un doctorat de l’Université de Calgary et d’un doctorat en droit de l'Université Queen’s. Elle s’intéresse en particulier à la conception et la mise en œuvre des revenus et des aides sociales, à la politique fiscale, à la politique municipale, aux politiques de lutte à la pauvreté et à l’accès à la justice.

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