Lors de sa mise à jour économique de l’automne dernier, la ministre fédérale des Finances, Chrystia Freeland, s’était fixé trois principaux objectifs en vue du budget 2024.

Le premier était de maintenir le déficit annoncé en 2023-2024 à un niveau égal ou inférieur à la prévision du Budget de 2023, soit 40,1 milliards $.

Le second était d’abaisser le ratio de la dette au PIB en 2024-2025 par rapport à l’Énoncé économique de l’automne (42,7 %), et de le maintenir ensuite sur une trajectoire descendante.

Le troisième était de continuer la baisse du ratio du déficit sur le PIB en 2024-2025, puis de le maintenir sous 1 % du PIB en 2026-2027 et après.

Dans son récent budget, la ministre respecte chacun de ces objectifs : le déficit pour 2023-2024 est de 40 milliards $ ; le ratio prévu de la dette sur le PIB pour 2024-2025 est de 41,9 % ; et le ratio du déficit sur le PIB baisse de 0,1 % en 2024-2025, pour descendre à 0,9 % en 2026-2027, et diminuera encore ensuite.

Un interventionnisme accru

Le respect des cibles budgétaires cache cependant un interventionnisme accru, conduisant à 57,9 milliards $ de nouvelles initiatives entre 2023-2024 et 2028-2029. Bien que la ministre ait identifié des sources de revenus additionnels (nous y reviendrons sous peu), il n’en demeure pas moins que les déficits cumulés sur l’ensemble de la période augmentent de 10,3 milliards $.

On peut en conclure que ce budget est loin d’être restrictif. Entre 2023-2024 et 2024-2025, les revenus fédéraux augmenteront de 7,0 %, les dépenses de programmes de 6,7 %, et les intérêts sur la dette de près de 15 %.

Les paiements d’intérêts sur la dette connaissent une hausse significative. Après un creux de 20,4 milliards $ en 2020-2021, ils sont estimés à 54,1 milliards $ pour l’année 2024-2025 et ils seront de 64,3 milliards $ en 2028-2029. À titre illustratif, pour l’année en cours, Ottawa doit désormais consacrer l’équivalent de l’entièreté des recettes de la TPS au financement des intérêts sur la dette.

L’imposition des gains en capital à la rescousse

La ministre des Finances va chercher des recettes additionnelles essentiellement en réduisant le traitement préférentiel accordé sur les gains en capital. À lui seul, l’impact de ce changement pour les sociétés, les fiducies et les particuliers dépassera les 19 milliards $ sur 5 ans.

Depuis que les libéraux ont pris le pouvoir en 2015, plusieurs s’attendaient à un tel resserrement, notamment parce que le taux marginal d’imposition sur un gain en capital était inférieur au taux marginal d’imposition le plus élevé sur les dividendes déterminés. Cela a encouragé des planifications fiscales visant à convertir des dividendes en gain en capital. Certaines d’entre elles se sont avérées incertaines, ce qui a pour effet de créer de l’incertitude lorsque l’Agence du Revenu du Canada les conteste.

Historiquement, le gain en capital a toujours bénéficié d’un traitement préférentiel. Un tel traitement est souvent présenté comme une reconnaissance de l’effet de l’inflation dans les plus-values à long terme, ou encore comme une manière de récompenser la prise de risque. Le gouvernement fédéral l’a d’ailleurs explicitement reconnu en introduisant dans le dernier budget l’Incitatif aux entrepreneurs canadiens (qui sera expliqué plus loin).

Avant 1972, le gain en capital n’était pas imposé au Canada. C’est le budget Benson (1971) qui a réformé la définition du revenu pour y inclure partiellement le gain en capital, à hauteur de 50 %. Concrètement, cela signifiait que la moitié du gain en capital était ajoutée au revenu et imposée selon le taux applicable. L’autre portion du gain en capital demeurait soustraite à l’impôt, ce qui représentait un avantage de 50 %.

Cette proposition faisait suite à la Commission royale d’enquête sur la fiscalité (commission Carter) qui recommandait toutefois de l’inclure en totalité sous le principe de « a buck is a buck is a buck » (un dollar est un dollar est un dollar), ce qui signifie essentiellement que même si le revenu peut être gagné de diverses façons, il s’agit en fin de compte d’un revenu, et donc que tous les revenus devraient être imposés de la même manière.

Depuis plus d’une cinquantaine d’années, l’avantage a varié entre 25 % et 50 %, comme l’illustre le tableau 1.

À titre indicatif, lors de la hausse du taux d’inclusion du gain en capital ayant pris effet au 1er janvier 1988 et au 1er janvier 1990, l’annonce avait été faite en juin 1987 (lors de l’annonce de la réforme fiscale), laissant le temps aux contribuables de s’ajuster. À l’inverse, lors de la réduction du taux d’inclusion du gain en capital en 2000, les annonces prenaient effet le jour même.

Le budget 2024 vient réduire le traitement préférentiel accordé au gain en capital à 33,33 %. Autrement dit, les deux tiers du gain en capital (66,67 %) seront dorénavant ajoutés aux revenus imposables. Pour les sociétés, ce changement affecte l’ensemble des gains en capital, mais pour les particuliers, il ne concerne que la portion excédant 250 000 $ de gain en capital annuel. Cette exemption de 250 000 $ est déterminée après prise en compte des pertes en capital. Le nouveau traitement s’applique à compter du 25 juin 2024, ce qui laisse le temps aux contribuables d’organiser leur affaire avant que la mesure n’entre en vigueur.

De leur côté, les provinces ont toujours eu le même taux d’inclusion partielle des gains en capital que celui appliqué par le gouvernement fédéral. Le Québec a d’ailleurs décidé d’emboîter le pas, ce qui représente des recettes fiscales additionnelles potentielles de 3 milliards $ sur cinq ans.

Le cas des biens immobiliers

Plusieurs se sentent interpellés par la façon dont le changement va affecter le gain à la suite de la vente de biens immobiliers (immeuble locatif, résidence secondaire). Il faut rappeler que les contribuables peuvent continuer de réclamer l’exemption pour la résidence principale, ce qui fait en sorte que le gain demeure entièrement libre d’impôt. En outre, dans le cas des couples dont, par exemple, la résidence secondaire est détenue à 50 % par les conjoints, chacun d’entre eux a droit au seuil d’exemption de 250 000 $. Il faut donc que le gain en capital sur la résidence secondaire soit supérieur à 500 000 $ avant que les récentes modifications aient un effet négatif.

La disposition présumée au décès

Outre certains transferts de biens entre conjoints sans conséquence fiscale au moment du décès, le défunt est imposé sur le gain en capital accumulé au moment de la mort. Encore une fois, le seuil d’exemption de 250 000 $ s’applique, et seul l’excédent est visé par le taux d’inclusion à 66,67 %.

Un nouvel appui aux PME

Pour éviter les critiques quant à l’effet que pourrait avoir la hausse du taux d’inclusion du gain en capital sur l’entrepreneuriat, la ministre des Finances majore de 25 % l’exonération cumulative des gains en capital pour compenser la hausse du taux d’inclusion. Le nouveau plafond à vie atteindra 1,25 million $ dès le 25 juin 2024, et il sera indexé à l’inflation dès 2026.

De plus, à compter du 1er janvier 2025, un nouvel Incitatif aux entrepreneurs canadiens est mis en place pour les entrepreneurs-fondateurs. Il s’agit d’une réduction du taux d’imposition sur les gains en capital au moment de la disposition d’actions. Sur le gain admissible – soit au-delà de 1,25 million $ couvert par l’exonération cumulative du gain en capital –, le taux d’inclusion est réduit de moitié en comparaison au taux en vigueur (donc 33,33 % au lieu de 66,67 %). Le plafond cumulatif sera mis en œuvre progressivement par tranche de 200 000 $ par année, jusqu’à un maximum de 2 millions $ au 1er janvier 2034.

Le traitement plus avantageux s’appliquera donc éventuellement un gain en capital de 3,25 millions $ découlant de la vente des actions d’une entreprise, une amélioration appréciable pour ceux qui se qualifient.

Un régime d’imposition plus neutre

Aux taux d’imposition actuels au Québec, la différence entre les taux marginaux supérieurs est de près de 27 points par rapport à un revenu ordinaire comme un salaire (26,7 % contre 53,3 %), ou d’un peu plus de 13 points de pourcentage par rapport aux dividendes (26,7 % contre 40,0 %). La réduction de l’avantage associé au gain en capital de 50 % à 33,33 % réduira l’écart et permettra d’assurer une meilleure symétrie dans le traitement fiscal des dividendes et du gain en capital. Ainsi, les taux marginaux seraient davantage uniformes (35,5 % pour le gain en capital contre 40,0 % pour les dividendes déterminés). Les résultats sont similaires en Ontario.

Au-delà de l’évaluation de ce que rapportera ce changement important à la fiscalité, il faut reconnaître que dans le contexte du déséquilibre budgétaire actuel et à venir à Ottawa et dans les provinces, la décision d’aller chercher de nouveaux revenus ne pouvait être exclue. D’une certaine façon, au Québec, le plan de retour à l’équilibre budgétaire du ministre Girard a reçu un coup de pouce d’Ottawa !

 

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Luc Godbout
Luc Godbout est professeur titulaire au Département de fiscalité à l’Université de Sherbrooke et titulaire de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques. Il a présidé la Commission d’examen sur la fiscalité québécoise.

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