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Le gouvernement fédéral devrait-il s’empêcher de publier de manière proactive les réponses aux demandes d’accès à l’information parce que toutes les réponses ne sont pas disponibles dans les deux langues officielles ?  

La réponse pourrait déterminer l’avenir d’un élément clé de l’accès à l’information au Canada.  

Des documents du Conseil du Trésor obtenus par le Globe and Mail en 2022 indiquent que la Loi sur les langues officielles exige que les réponses aux demandes d’accès à l’information soient traduites avant leur publication, et que cette traduction coûterait près d’un milliard de dollars chaque année.  

C’est pourquoi le gouvernement fédéral s’est opposé à la publication systématique des réponses aux demandes d’accès. Il ne publie plutôt que des résumés de ces réponses dans une base de données en ligne. À la mi-août 2024, la base de données contenait plus de 68 300 de ces résumés. 

Les utilisateurs qui consultent ces résumés peuvent faire des « demandes informelles » pour obtenir des copies complètes des réponses, une à la fois. Mais ce processus, essentiellement manuel, demande beaucoup de temps et de ressources. Selon le plus récent bilan du secrétariat du Conseil du Trésor, 47 426 demandes informelles de ce type ont été faites en 2022-23. Elles ont toutes reçu une réponse individuelle. 

Les défenseurs de la transparence demandent depuis longtemps que le texte intégral de toutes les demandes traitées soit publié de façon systématique. 

Deux institutions fédérales montrent la voie : la Société Radio-Canada et la Commission de la capitale nationale. Toutes deux publient les versions complètes de leurs réponses aux demandes d’accès à l’information sur leurs sites web respectifs, dans la langue dans laquelle elles ont été formulées à l’origine.  

Des gouvernements provinciaux et territoriaux respectent déjà cette pratique exemplaire en matière de transparence. Par exemple, Terre-Neuve-et-Labrador, la Colombie-Britannique, la Nouvelle-Écosse et le Yukon rendent disponibles leurs réponses aux demandes d’accès à l’information de façon proactive, un certain temps après qu’elles ont été communiquées à la personne qui a fait la demande. Certaines villes le font également, dont Vancouver et Montréal. 

Le gouvernement fédéral devrait suivre cet exemple. La publication intégrale de toutes les demandes d’accès à l’information sert l’intérêt public de plusieurs façons, notamment par une transparence accrue, une plus grande responsabilité et une prise de décision mieux informée. 

Diffuser les demandes sans exiger la traduction préalable dans l’autre langue officielle est manifestement dans l’intérêt du public et est au cœur des solutions pour résoudre la crise persistante du système fédéral d’accès à l’information. 

Pour une base de données publique des demandes complétées 

La situation actuelle, qui suppose de faire des demandes individuelles via la base de données en ligne des résumés, n’est pas seulement un processus lent et fastidieux. Le fédéral ne laisse planer aucun doute sur le fait que ces demandes informelles ne sont sujettes à aucun délai de réponse, et que les demandeurs n’ont « pas le droit statutaire de déposer une plainte ». Autrement dit, leur traitement est entièrement discrétionnaire. 

Des acteurs de la société civile demandent plutôt la publication proactive de toutes les demandes d’accès à l’information complétées dans une base de données en ligne qui pourrait être consultée. 

Le Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection de la vie privée et de l’éthique de la Chambre des communes est d’accord. Dans son dernier rapport, publié en juin 2023, le comité recommande «que le gouvernement du Canada publie toutes les demandes d’accès à l’information non liées à des renseignements personnels dans une base de données consultable ». 

Ça n’a pas été fait, et des organismes aux ressources limitées font ce qu’ils peuvent pour combler le vide avec des projets tels que Open by Default, Secret Canada et Canada Declassified. (Divulgation complète : nous sommes impliqués dans le projet Open by Default).  

Pourquoi le gouvernement fédéral ne publie-t-il pas toutes les demandes de façon proactive? 

La dissidence du Parti libéral dans le rapport du comité des Communes note plusieurs objections à ses recommandations, insistant fortement sur le respect du bilinguisme officiel. 

« Alors qu’actuellement les documents sont partagés dans la langue dans laquelle ils ont été créés et, sur demande, traduits dans l’autre langue officielle pour se conformer à la Loi sur les langues officielles, ils devraient tous être traduits avant d’être mis en ligne », soutient la dissidence. 

« En 2021-22, cela aurait signifié la traduction de 8,8 millions de pages, ce qui aurait eu un coût considérable (en effet, ces dernières années, jusqu’à 24,8 millions de pages ont été publiées). Ces ressources seraient mieux utilisées pour améliorer le service. » 

Deux milliards pour tout traduire, vraiment? 

En 2016, la direction des langues officielles du ministère de la Justice a estimé le coût de la traduction des réponses aux demandes d’accès à l’information à 143 $ par page. On estime que le coût actuel de la traduction de tous les dossiers pourrait dépasser les 2 milliards $. 

Cependant, la vision formelle et rigide des libéraux quant aux exigences de la Loi sur les langues officielles présente de nombreuses lacunes qui vont au-delà du prétendu coût de la traduction. 

Tout d’abord, l’enjeu n’est pas les droits de traduction pour les demandes d’accès à l’information formelles au titre de l’article 4 de la loi. Ces demandes coûtent 5 $, le gouvernement doit répondre dans un délai de 30 jours (qu’il dépasse généralement) et l’auteur de la demande peut demander une révision auprès du commissaire à l’information ou de la cour fédérale.  

La question est plutôt de savoir si les demandes informelles – celles qui, selon le gouvernement, ne sont sujettes à aucun délai de réponse et dont la décision est sans appel – bénéficient de la protection la plus complète en vertu de l’interprétation la plus restrictive possible de la Loi sur les langues officielles.  

Rien n’indique que les demandes de traduction ne sont pas accordées pour les demandes formelles, ce qui serait préoccupant. En fait, en 2022-23, il n’y a eu qu’une seule demande de traduction (sur plus de 200 000 demandes faites cette année-là). 

Les demandes informelles de traduction ne sont pas non plus refusées d’office dans le système actuel. 

La directive sur les demandes d’accès à l’information le précise : « Si le demandeur souhaite obtenir les documents dans une langue officielle différente de celle dans laquelle ils existent actuellement, [l’institution est chargée de] préparer et fournir une traduction des documents si le responsable de l’institution considère que la traduction du document est dans l’intérêt public ». 

Bien entendu, le respect des deux langues officielles est de la plus haute importance. Cependant, fournir des documents dans la langue originale dans laquelle ils ont été créés n’implique aucun manque de respect pour l’autre langue officielle.

Le système actuel prévoit la traduction des demandes formelles lorsqu’elle est demandée. Il encourage aussi la traduction des demandes informelles lorsqu’elle est dans l’intérêt du public.  

Une fausse prémisse nuit à la transparence 

Deuxièmement, il devrait être possible de traiter les demandes informelles tout en respectant l’esprit de la loi. L’article 3.1(a) de la Loi sur les langues officielles stipule que « les droits linguistiques doivent être interprétés d’une façon large et libérale en fonction de leur objet ». 

En adoptant une approche trop rigide pour les demandes informelles, le gouvernement ignore cette intention. Il ignore également l’esprit même de la Loi sur l’accès à l’information. Soutenir que rien ne peut être rendu accessible de manière proactive, puisque que tout n’est pas disponible dans les deux langues officielles, incarne une attitude fondamentalement anti-transparence. 

Troisièmement, l’utilisation du bilinguisme comme argument pour saper les obligations les plus élémentaires de transparence des gouvernements mine le soutien au bilinguisme lui-même, car elle risque de donner l’impression que la politique linguistique est utilisée comme une arme pour limiter l’accès à l’information – en fait, elle utilise un objectif politique louable contre l’autre. 

Une telle approche pourrait également affaiblir le soutien du public aux initiatives promouvant le bilinguisme, dont l’objectif est de renforcer l’inclusion et le respect des langues officielles, et non à restreindre la transparence. 

Enfin, les experts en bilinguisme officiel estiment qu’il existe une solution.  

Graham Fraser, commissaire aux langues officielles de 2006 à 2016, a déclaré qu’il devrait être possible de « respecter l’esprit de la Loi sur les langues officielles et, en même temps, d’assurer une plus grande transparence ».  

« J’avais l’impression qu’une fois qu’un document était divulgué en vertu de l’accès à l’information, il faisait partie du domaine public », a-t-il noté. « Comme l’a montré l’enquête publique sur l’État d’urgence, il n’est pas nécessaire de traduire tous les documents, communications ou courriels avant de les rendre publics. » 

On ne saurait mieux dire. 

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Matt Malone
Matt Malone est professeur adjoint à la faculté de droit de l’Université Thompson Rivers.
Ashley Desautels
Ashley Desautels étudie le droit à lUniversité Thompson-Rivers, en Colombie-Britannique.

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