
(English version available here)
Il fut un temps où les étiquettes « Fabriqué au Canada » étaient monnaie courante dans les grands magasins du pays. Jusqu’au milieu des années 1980, environ 70 % des vêtements portés par les Canadiens étaient confectionnés par des travailleurs d’ici.
Aujourd’hui, plus de 85 % des vêtements, des textiles ménagers et des tissus industriels achetés au Canada proviennent de fournisseurs étrangers, souvent établis dans des pays où les normes du travail sont moins strictes et les réglementations environnementales moins rigoureuses.
Pourtant, qu’ils en soient conscients ou non, les Canadiens constatent chaque jour la qualité remarquable de la production de notre industrie textile nationale. Si vous croisez un médecin, une infirmière, un policier, un pompier ou tout autre travailleur de première ligne, il y a de fortes chances que ses vêtements et équipements de protection aient été fabriqués au Canada.
Qu’il s’agisse d’uniformes ignifugés pour les militaires, de blouses chirurgicales ou d’équipements de protection individuelle (EPI) pour les professionnels de la santé, les entreprises canadiennes produisent des textiles performants et essentiels à la sécurité, au service de secteurs névralgiques à travers le pays.
Alors que les annonces imprévisibles de l’administration américaine sur les droits de douane et les barrières commerciales sèment l’incertitude parmi ses partenaires, le principal défi du Canada ne vient pas de Washington, mais plutôt des décisions prises à Ottawa en matière de marchés publics.
Le gouvernement canadien est un acteur clé pour le secteur textile national. Pourtant, il semble trop souvent privilégier des fournisseurs étrangers au détriment des solutions fabriquées au pays. Or, des choix qui paraissent avantageux à court terme peuvent s’avérer coûteux à long terme, une fois que le tissu économique canadien aura été affaibli de façon irréversible.
En tant que représentants engagés du secteur textile canadien, nous appelons les gouvernements fédéral, provinciaux et municipaux à offrir aux fabricants d’ici — et à leurs employés — des conditions de concurrence équitables dans les appels d’offres publics. Il est temps pour le Canada de s’engager résolument à acheter canadien.
Une industrie de fondation en mutation
Pendant des générations, l’industrie textile canadienne a été un pilier économique. À son apogée, plus de 200 000 Canadiens travaillaient dans la fabrication de textiles et de vêtements, de la Nouvelle-Écosse à la Colombie-Britannique. Ce secteur a été un moteur de prospérité pour des centres manufacturiers comme Montréal, Toronto et Winnipeg, alimentant l’économie locale et soutenant des milliers de familles de la classe ouvrière.
Mais au fil des décennies, la mondialisation et la libéralisation du commerce ont transformé le paysage industriel. Avec l’accélération des délocalisations, les usines canadiennes ont fermé les unes après les autres. En une génération, les emplois dans la fabrication textile sont passés de 200 000 à environ 15 000. Si l’on y ajoute les emplois liés à l’habillement et à la mode, on atteint néanmoins un total toujours significatif de 100 000 emplois.
Au-delà de la mode : les textiles spécialisés au service du pays
Face à cette érosion, les fabricants canadiens ont innové et se sont réinventés. Si la mode demeure un pan visible du secteur, sa valeur économique et stratégique repose surtout sur des produits qui protègent les travailleurs, sécurisent les chaînes d’approvisionnement et soutiennent la réussite du pays.
Les entreprises qui demeurent aujourd’hui ont misé sur l’excellence et la spécialisation — notamment dans les textiles techniques de haute performance essentiels aux infrastructures canadiennes. Les membres de l’AITC produisent des tissus ignifuges, des textiles médicaux, des matériaux militaires, des revêtements protecteurs et des technologies de fibres avancées qui soutiennent les secteurs de l’énergie, de la construction, de la défense et de la santé.
La vitalité de notre économie dépend autant de l’engagement des gouvernements envers nos industries que de la solidarité entre elles. Un exemple probant : la relation entre l’industrie textile canadienne et les producteurs d’acier et d’aluminium, qui emploient des dizaines de milliers de travailleurs dans les fonderies, aciéries et laminoirs du pays. Chaque jour, ces travailleurs affrontent des conditions extrêmes, notamment la chaleur et le métal en fusion. Pour se protéger, ils comptent sur des combinaisons thermorésistantes, des gants et d’autres équipements conçus et fabriqués ici même au Canada.
Il nous faut reconnaître l’interdépendance entre nos secteurs industriels et multiplier les occasions de renforcer ces liens. En investissant dans notre propre écosystème manufacturier — et en privilégiant les intrants canadiens dans nos chaînes de production — nous bâtissons une économie plus forte, plus résiliente.
Achetez canadien
Dans un contexte géopolitique instable, le spectre de nouveaux tarifs américains sur les exportations canadiennes menace nos marchés, nos emplois et notre stabilité économique.
Même si les États-Unis demeurent un partenaire commercial essentiel, les répercussions d’une guerre commerciale sont aujourd’hui mieux comprises. Une partie de la solution est limpide : une stratégie nationale d’achats publics orientée vers le « Fabriqué au Canada ».
Acheter canadien n’est pas du protectionnisme. C’est une politique de bon sens fondée sur l’autosuffisance, la sécurité économique et la résilience nationale. Investir dans notre économie stimule la capacité de production, favorise l’innovation, crée des emplois et renforce la compétitivité du Canada sur la scène mondiale.
Les décideurs de tous les paliers de gouvernement doivent se poser la question suivante : sommes-nous mieux servis lorsque les industries, hôpitaux et services d’urgence canadiens utilisent des textiles techniques, uniformes et EPI de haute qualité fabriqués ici ? Les entreprises membres de l’AITC y répondent déjà par l’exemple : oui, sans équivoque.
Alors que le Canada est confronté à l’une des menaces existentielles les plus graves de son histoire, il est impératif que nous soutenions les travailleurs d’ici, que nous valorisions l’innovation locale, et que nous adoptions une politique d’approvisionnement audacieuse qui place le Canada et les Canadiens au premier plan.
Les auteurs sont membres du conseil d’administration de l’Association de l’industrie textile canadienne (AITC)