De quels soutien, formation et outils a besoin un député fédéral pour bien s’acquitter de ses fonctions de législateur et pour bien servir sa communauté ? Quels types de réseaux formels et informels façonnent l’expérience des députés à la Chambre des communes ?
Dans le cadre de la baladodiffusion Les Personnages de la Chambre, le Centre Samara pour la démocratie a interrogé six anciens députés fédéraux sur l’importance des liens qu’ils ont tissés avant, pendant et après leur passage à la Chambre des communes. Au cours de ces entretiens, les libéraux Linda Lapointe, Rémi Massé et Jean-Claude Poissant, les néodémocrates Guy Caron et Matthew Dubé, et le conservateur Stephen Blaney ont tous souligné l’importance que la famille, le mentorat et la formation ont eue pour eux lorsqu’ils siégeaient sur la colline.
Selon ces anciens élus, il est essentiel de tenir compte de ces soutiens pour appuyer et retenir des législateurs efficaces qui aspirent à représenter la diversité de la population canadienne.
« La famille va continuer après la politique »
En général, les anciens députés estiment que le soutien de leur famille a joué un rôle important, notamment en les encourageant à se présenter aux élections.
Rémi Massé note que même si sa famille lui a initialement demandé « es-tu fou ? », sa réaction aura finalement été « très bonne ».
Quand il leur a fait part de son souhait de faire le saut en politique, certains membres de la famille de Guy Caron ont réagi avec humour. « Quand j’ai dit ça à ma mère initialement, elle m’a demandé pourquoi et si j’étais malade ! » se souvient-il.
« Quand on m’a approché [pour me présenter], la première chose que [ma conjointe] m’a dit c’est : « “ça ne change pas grand-chose, t’es jamais là !” » a pour sa part plaisanté Jean-Claude Poissant.
Les ex-députés précisent que leur famille n’était pas seulement importante lorsqu’ils se sont présentés à une élection, mais qu’elle a aussi joué un rôle essentiel pour survivre à leur passage à la Chambre des communes et en ressortir avec une santé mentale intacte. Steven Blaney souligne d’ailleurs que sans le soutien de sa famille, « ça aurait été impossible ».
À ce sujet, son chef, l’ancien premier ministre Stephen Harper disait : « prenez soin de votre famille pendant que vous êtes en politique, car une fois que vous l’aurez quittée, c’est la seule chose qui vous restera ».
De la même manière, Linda Lapointe avance que « la famille va continuer après la politique… Si tu passes à travers ta carrière politique, mais que tu n’as plus de famille autour de toi, après tu n’as rien accompli dans ta vie. Il faut permettre aux députés d’avoir un équilibre ».
Contrairement à ses collègues masculins, Mme Lapointe pointe du doigt les politiques parlementaires qui affectent la parité à la Chambre des communes. Elle estime que « les femmes en général vont penser plus à l’impact personnel que ça va avoir dans leur vie familiale… S’il y a plus de modèles positifs, si on peut avoir un parlement qui permet plus facilement de vivre [en équilibre]. Si c’est un modèle hybride un peu plus flexible, tant mieux ».
Ensemble, ces points de vue partagés sur l’importance de la famille soulèvent des questions importantes sur la manière dont les politiques de la Chambre des communes devraient évoluer pour mieux soutenir l’équilibre entre la vie professionnelle et la vie familiale des élus. En particulier si l’on considère le fait préoccupant que le taux de divorce chez les députés est deux fois plus élevé que la moyenne nationale.
« J’ai posé beaucoup de questions pendant quatre ans »
La courbe d’apprentissage à la Chambre des communes est raide et continue, précisent les anciens députés. M. Massé aurait « aimé entrer en politique avec ce [qu’il sait] maintenant », notant qu’il « aurait été drôlement plus efficace ».
Malgré les formations offertes par le parti et le Parlement, il n’existe pas de cours pour devenir un bon député. M. Blaney décrit les débuts de l’expérience parlementaire comme « un baptême du feu ». Mme Lapointe compare de son côté les trois premiers mois de travail à « un train à grande vitesse [où] tu apprends très vite ».
La rapidité avec laquelle on attend des députés qu’ils se mettent au diapason et au travail a été soulignée par tous les intervenants. M. Dubé raconte que « quand il y a une rencontre, il y a énormément d’informations transmises d’un coup. C’est difficile à tout apprendre ».
« Tu apprends sur le tas et tout le monde est en apprentissage… Tout le monde travaille le pied au plancher », ajoute M. Massé.
Les députés présentés dans Les Personnages de la Chambre reconnaissent la valeur du mentorat formel et informel, de même que le soutien apporté par l’administration de la Chambre des communes. M. Poissant affirme qu’il a reçu « un soutien extraordinaire » alors que M. Caron témoigne d’« un appui incomparable de la part de la Chambre des communes » et « qu’au niveau du parti, on a eu un bon encadrement ».
Massé ajoute que le soutien qu’il a reçu de la part des agents de transition fédéraux était « excellent » et qu’il a « posé beaucoup de questions pendant quatre ans ».
Mme Lapointe, pour sa part, a été inspirée par d’autres politiciennes québécoises, dont elle a suivi l’exemple. « Je me souviens que Pauline Marois était enceinte. Je me disais que si elle est capable, je devrais être capable de concilier le tout », se souvient-elle.
« Pas mal de monde à la messe »
De leur propre aveu, le mentorat a facilité le parcours politique des anciens députés ; si Steven Blaney se confiait à l’ancien député conservateur Jean-Pierre Blackburn, M. Dubé qualifie pour sa part le néodémocrate Malcolm Allen de « papa politique ».
Les réflexions des anciens députés démontrent également les avantages d’une relation étroite avec les chefs de parti. M. Dubé raconte que le défunt chef du Nouveau Parti démocratique, Jack Layton, « a été tellement bon pour nous appuyer, puis de donner crédit à l’implication des jeunes en politique ». Dans la même optique, M. Caron confie qu’il s’est présenté parce qu’il « croyait [en] Jack Layton ».
Blaney a lui aussi bénéficié d’une relation privilégiée avec le premier ministre Stephen Harper. Il précise que son chef était presque trop familier, si bien qu’il avait invité plusieurs fois des électeurs à venir rencontrer le premier ministre Harper après le caucus, et ce, sans préavis. Bien que le premier ministre Harper était partant, cette proximité n’était pas partagée par tous les parlementaires.
À l’inverse, M. Poissant indique avoir très peu communiqué avec le chef libéral Justin Trudeau. M. Massé relève qu’au-delà des réunions du caucus, M. Trudeau a beaucoup à gérer et qu’il « en avait plein les bottines ». Étant donné que le caucus libéral comptait alors 184 députés, « il y avait pas mal de monde à la messe », note M. Massé.
Les défis et apprentissages auxquels sont confrontés les nouveaux députés ne sauraient être réalisés sans une formation adéquate, des mentors et le soutien de leur famille. Les députés interrogés estiment que des investissements dans la formation et le mentorat, de même que l’élaboration de politiques favorisant l’établissement de relations saines à l’intérieur et entre les partis pourraient améliorer l’expérience des futurs parlementaires.
Tous ont exprimé l’immense valeur de leur travail et leur volonté de faire comprendre à leurs successeurs ce que nécessite la fonction de député et l’importance de l’institution qu’ils aspirent à représenter. Compte tenu de tout ce qu’ils consacrent à servir leur circonscription, tous les députés méritent de comprendre les tenants et aboutissants de leur mandat.