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Si le taux de pauvreté baisse, pourquoi les files d’attente dans les banques alimentaires canadiennes s’allongent-elles? 

Statistique Canada indique que le taux de pauvreté officiel du pays – basé sur ce que l’agence appelle la « mesure du panier de consommation » (MPC) – est tombé à 9,9 % en 2022, contre 14,5 % en 2015. Il s’agit là d’une formidable réussite. Pourtant, les données de Banques alimentaires Canada montrent que le recours aux banques alimentaires a augmenté de près de 80 % entre 2019 et 2023 – et d’un pourcentage record de 32 % au cours de la dernière année seulement. 

Une nouvelle mesure de la pauvreté, l’indice de privation matérielle (IPM), peut contribuer à expliquer cette divergence. Le taux de pauvreté basé sur le panier de consommation n’est pas inexact, mais la mesure est basée sur le revenu et ne donne pas une image complète de la situation. Pour obtenir une vision plus approfondie et plus précise de la pauvreté au Canada, les gouvernements devraient ajouter l’IPM à leurs indicateurs clés. 

L’adoption en 2019 de la MPC pour établir le premier taux de pauvreté officiel du pays a constitué un grand pas en avant. Cela signifiait que le gouvernement était prêt à reconnaître l’étendue de la pauvreté dans le pays pour en suivre l’évolution. 

La MPC est calculée en additionnant le coût des biens et services qui représentent un niveau de vie modeste et de base pour un ménage composé de deux adultes et de deux enfants dans différentes régions du Canada. Un seuil de pauvreté est ensuite estimé pour différents types de ménages afin de déterminer le revenu nécessaire pour leur permettre d’acheter ces biens et services. 

L’hypothèse fondamentale est que le revenu annuel est le meilleur moyen d’évaluer si un ménage est pauvre. Dans la pratique, une multitude de facteurs autres que le revenu peuvent affecter le bien-être financier. Certains ménages peuvent disposer d’une épargne ou d’un patrimoine, d’autres peuvent être endettés. Une personne peut louer un appartement à un prix symbolique à un membre de sa famille, tandis qu’une autre peut être confrontée à une forte augmentation de loyer à la suite d’un déménagement dans une ville où sévit une grave pénurie de logements. Certains membres de la famille peuvent souffrir de problèmes de santé chroniques ou d’un handicap, ce qui augmente les dépenses, tandis que d’autres peuvent être en bonne santé. 

L’indice de privation matérielle tient compte des circonstances variables. Pour ce faire, il considère le potentiel (les possessions ou les moyens d’un ménage) plutôt que les intrants (revenus). 

Le calcul de l’IPM comporte deux volets. Il établit tout d’abord une liste de biens, de services et d’activités que la plupart des gens attendent être à la portée d’un ménage ayant un niveau de vie acceptable. Il ne s’agit pas de « biens de première nécessité » (nourriture de subsistance et logement), mais plutôt de biens et de services sans lesquels le niveau de vie d’un ménage tomberait en dessous de ce que la plupart des gens jugeraient acceptable au Canada.

Il évalue ensuite le niveau de vie en comptant le nombre d’éléments dont un ménage ne dispose pas – ou auxquels il n’a pas accès parce qu’il n’a pas les moyens de se les offrir. Il peut s’agir, par exemple, de vêtements appropriés pour se rendre à un entretien d’embauche, d’un examen dentaire annuel ou d’un cadeau d’anniversaire pour un enfant.  

Une équipe de chercheurs réunis par Banques alimentaires Canada a produit une étude de la privation matérielle pour montrer le fonctionnement de cette mesure. En 2022, une première enquête a interrogé les Canadiens sur les biens et services qu’ils s’attendraient à trouver dans un ménage ayant un niveau de vie acceptable. Sur la base des résultats, une liste de 14 catégories a été dressée pour être incluse dans l’indice de privation. Nous avons donné la priorité à ceux qui étaient les plus susceptibles d’être considérés comme nécessaires par les ménages les plus exposés au risque de pauvreté, et nous nous sommes appuyés sur les conseils de groupes de discussion et d’entretiens avec des familles ayant vécu de l’insécurité alimentaire. 

Une deuxième enquête, réalisée en 2023, a interrogé les personnes sur ces différentes choses et leur a demandé s’il y en avait eu d’autres qu’elles n’étaient pas en mesure de s’offrir. Une analyse plus poussée a permis de ramener à 11 le nombre d’éléments à inclure dans l’IPM, qui considère qu’une personne est démunie si elle n’a pas les moyens de s’offrir deux éléments de la liste ou plus.  

Le tableau 1 présente 11 catégories de privation et la proportion de Canadiens disant ne pas pouvoir se les payer. 


Un peu plus de 60 % des personnes interrogées ont déclaré qu’elles pouvaient se permettre de les acheter tous. Une personne sur quatre n’avait pas les moyens d’acheter au moins deux articles et 17 % n’avaient pas les moyens d’en acheter au moins trois (tableau 2). 

Nous avons déterminé que « deux éléments ou plus » et « trois éléments ou plus » étaient les meilleurs indicateurs d’un niveau de vie au seuil de pauvreté. Nous avons fixé le seuil de deux éléments comme mesure de la pauvreté et celui de trois éléments ou plus pour vérifier la solidité de notre évaluation. Par exemple, certains groupes auraient-ils la même probabilité de ressortir comme étant plus exposés lorsqu’un seuil de trois articles ou plus était utilisé ? 

En fixant le seuil de pauvreté à deux catégories, l’enquête sur la privation matérielle a révélé qu’un adulte canadien sur quatre avait un niveau de vie correspondant au seuil de pauvreté. Ce taux est 2,5 fois plus élevé que le taux généré par la mesure du panier de consommation. Ce résultat est plus conforme à la réalité que les banques alimentaires constatent aujourd’hui.  

L’IPM confirme également que le taux de pauvreté est beaucoup plus élevé pour certains groupes, notamment les parents seuls et les personnes handicapées, noires et autochtones. 

En bref, l’étude suggère que la pauvreté peut être plus étendue (en particulier parmi les groupes à risque) et peut-être plus multiforme qu’il n’y paraît lorsqu’elle est basée uniquement sur le revenu. 

Si nous voulons évaluer avec précision nos progrès – ou notre absence de progrès – dans la réduction de la détresse matérielle des ménages au Canada, il est essentiel de mieux comprendre la pauvreté. À cette fin, Statistique Canada devrait établir une mesure des biens, des services et des activités dont les ménages ayant un niveau de vie modeste mais acceptable se privent alors qu’elles devraient théoriquement être en mesure de se les offrir. Cette mesure viendrait compléter la mesure du panier de consommation de la pauvreté basée sur le revenu. 

Les gouvernements du pays devraient également utiliser un indice basé sur les privations pour évaluer les progrès réalisés en matière de réduction de la pauvreté et pour analyser les effets des politiques de réduction de la pauvreté. 

Un IPM basé sur un sondage pouvant fournir un retour d’information en temps réel sur les conditions actuelles, on y trouverait ainsi un avantage supplémentaire. L’approche fondée sur le panier de consommation a toujours quelques années de retard parce qu’il faut du temps pour collecter et vérifier les données sur les revenus basées sur l’année civile précédente. Il est important de disposer d’informations actualisées lorsque les conditions économiques évoluent rapidement et que les gouvernements doivent réagir vite. Parmi les exemples récents, on peut citer l’incertitude financière causée par la pandémie de COVID-19, la poussée d’inflation qui a suivi et les taux d’intérêt qui, jusqu’à récemment, augmentaient rapidement.  

Utilisés en tandem, ces deux types d’indicateurs de pauvreté permettraient d’orienter les efforts visant à garantir à tous les Canadiens la sécurité alimentaire et la niveau de vie qui sont acceptables dans un pays développé. 

Michael Mendelson, Maytree fellow et président du Environics Institute, et Andrew Parkin, directeur du Environics Institute for Survey Resarch, ont contribué à la rédaction de cet article. 

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Geranda Notten
Geranda Notten est professeure de politique publique comparée à l'École supérieure d'affaires publiques et internationales de l'Université d'Ottawa.Ses recherches portent sur la pauvreté, l'insécurité alimentaire et la politique sociale au Canada et en Europe. 
Richard Matern
Richard Matern est directeur de la recherche à Banques alimentaires Canada. Il a notamment dirigé des projets de recherche communautaires à grande échelle qui ont contribué à éclairer le processus d'examen de la sécurité du revenu en Ontario. 
Sofia Seer
Sofia Seer est chargée de recherche à Banques alimentaires Canada depuis 2019. En outre, elle est actuellement en deuxième année du programme de doctorat en sociologie à l'Université Queen's.  

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