Le gouvernement fédéral se dit engagé pour la réconciliation avec les peuples autochtones. Nous l’entendons dans les discours, nous le lisons dans les communiqués, nous le voyons lors de la Journée des peuples autochtones et de la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation. Pourtant, 40 ans après la promesse de mettre fin à la discrimination de genre dans la Loi sur les Indiens et 18 ministres des Affaires indiennes plus tard, les femmes autochtones luttent toujours pour l’égalité.

Le Parlement prétend régler le problème étape par étape, mais une égalité progressive n’est pas l’égalité. Une justice retardée est une justice refusée.

Quatrième projet de loi en quarante ans

Le gouvernement fédéral fait avancer le projet de loi S-2, quatrième amendement en quarante ans visant à modifier les dispositions de la Loi sur les Indiens relatives à l’inscription (statut) des Indiens. Comme les amendements précédents — le projet de loi C-31 (1985), le projet de loi C-3 (2011) et le projet de loi S-3 (2017) — il ne met pas fin à la discrimination de genre et de race qui brise les familles des Premières Nations depuis des générations.

Le projet de loi S-2 rétablirait le statut d’Indien aux personnes qui l’ont perdu à la suite de l’émancipation. Il fait suite à la décision rendue cette année dans le cadre du recours collectif Nicholas en Colombie-Britannique, selon laquelle certaines dispositions de la Loi sur les Indiens violaient les droits garantis par la Charte aux descendants qui s’étaient vu refuser le statut. Le juge a ordonné que la loi soit modifiée d’ici avril 2026.

Mais, sans amendement, le projet de loi S-2 laisse intacte la règle de la deuxième génération, qui empêche de nombreux enfants et petits-enfants de femmes autochtones d’être inscrits comme Indiens en vertu de la loi et, dans bien des cas, d’être reconnus comme membres de leur Première Nation d’origine.

Selon cette règle, après deux générations de filiation externe (où un seul parent est un Indien inscrit), les enfants seront exclus.

Mes propres petits-enfants sont parmi ceux qui sont exclus. Ils sont élevés dans la culture mi’kmaq, enracinés dans notre culture, notre histoire, nos traditions, nos récits et nos cérémonies, et étroitement liés à ma grande famille, à notre communauté d’Ugpi’ganjig (Première Nation d’Eel River Bar) et à l’ensemble de la Nation mi’kmaw. Mais aux yeux du gouvernement fédéral, mes petits-enfants ne comptent pas.

Après des générations de règles discriminatoires provenant de la Loi sur les Indiens, certains membres de nos communautés en viennent à croire que les enfants non-inscrits sont en quelque sorte « moins indiens ». C’est là l’héritage dévastateur de la législation canadienne. Et le gouvernement tarde encore à y mettre fin.

La politique du report

Le projet de loi S-2, Loi modifiant la Loi sur les Indiens (nouveaux droits d’inscription), a été déposé au Sénat le 29 mai. Le Comité sénatorial permanent des peuples autochtones a entendu de nombreux témoins (chefs des Premières Nations, défenseures des droits des femmes des Premières Nations, jeunes titulaires de droits). La vaste majorité s’accorde pour dire que, s’il est essentiel de résoudre le recours collectif Nicholas, le Parlement ne devrait pas adopter un autre projet de loi discriminatoire. Il doit abroger dès maintenant la règle de la coupure de la deuxième génération.

Malgré ce consensus général, Mandy Gull-Masty, ministre des Services aux Autochtones, a exhorté les sénateurs à maintenir la discrimination et a promis de s’y attaquer ultérieurement dans un projet de loi distinct. Elle a soutenu que la question était complexe, que les Premières Nations devaient être consultées et que le gouvernement devait respecter la date limite d’avril.

En d’autres termes, elle demande encore une fois aux femmes et aux enfants des Premières Nations d’attendre.

Pire encore, comme toutes les modifications précédentes, le projet de loi S-2 contient une clause empêchant les femmes des Premières Nations et leurs descendants de poursuivre le gouvernement pour la discrimination persistante. Il s’agit non seulement d’un déni d’égalité, mais aussi d’un déni du droit à un recours juridique.

Ce schéma résume l’approche du Canada en matière de réconciliation : consultations, études et groupes de travail sans fin qui substituent le processus à la justice. Pendant que les bureaucrates passent des années à planifier des consultations et à rédiger des documents de travail, des familles sont exclues de leurs nations et souvent divisées.

Consultations répétées

L’affirmation de la ministre voulant que davantage de consultations soient nécessaires est particulièrement irritante. Aucune consultation consensuelle n’a été requise lorsque le Parlement a adopté la Loi C-5, la Loi sur l’unité de l’économie canadienne, qui porte pourtant atteinte aux droits ancestraux, issus de traités et fonciers des Premières Nations, protégés par la Constitution.

De plus, les Premières Nations participent depuis des décennies à des processus de consultation, d’engagement et de collaboration à l’échelle nationale. De l’enquête autochtone de 1990 portant sur les répercussions du projet de loi C-31 aux conclusions du rapport sénatorial de 2022C’est assez!, le message n’a jamais changé : mettre fin à la discrimination fondée sur le sexe et abroger la clause de la deuxième génération. Le Sénat avait d’ailleurs donné au gouvernement fédéral jusqu’en juin 2023 pour le faire. Cette date est passée.

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En novembre 2023, le gouvernement a plutôt annoncé un nouveau processus de consultation, qui n’a commencé qu’en juin 2024, soit un an après la date limite fixée. Les Premières Nations ont jusqu’au mois prochain pour soumettre leurs commentaires.

Lorsque le Canada souhaite adopter des lois qui restreignent nos droits, la consultation n’est jamais un obstacle. Lorsqu’il s’agit de garantir l’égalité aux femmes des Premières Nations, il fait discuter en davantage.

Que faut-il de plus ? Le comité sénatorial a entendu de nombreux témoins, dont des organisations représentant l’ensemble des Premières Nations du Canada, notamment l’Assemblée des Premières Nations de la Colombie-Britannique, qui représente à elle seule le tiers des Premières Nations du pays. La grande majorité d’entre elles, tout comme les femmes autochtones titulaires de droits, demandent la fin de la discrimination fondée sur le sexe et l’abrogation de la clause de la deuxième génération.

La ministre Gull-Masty affirme qu’il ne peut y avoir de solution unique. Mais les droits à l’égalité sont universels. Nous avons toutes et tous droit à l’égalité et à la protection contre la discrimination. Le Canada ne peut pas se soustraire à ce droit sous prétexte de consultations

La loi sur l’égalité est claire

La Cour suprême a rejeté tous les arguments du gouvernement fédéral visant à justifier une violation des droits à l’égalité garantis par l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés.

La complexité de la loi, la charge administrative ou les coûts ne peuvent justifier une violation de la Charte. La Cour l’a clairement affirmé : « On ne peut pas attendre des groupes qui ont historiquement été victimes de discrimination qu’ils patientent pendant que les gouvernements avancent pas à pas vers la réforme », a-t-elle rappelé dans l’arrêt Vriend c. Alberta.

Pourtant, 40 ans plus tard, on nous demande encore d’attendre patiemment. En réalité, aucune modification aux dispositions relatives à l’inscription dans la Loi sur les Indiens n’a jamais découlé de consultations : chacune a été imposée par une décision judiciaire contraignant le gouvernement à agir. Nous savons que le gouvernement fédéral n’apportera pas ces changements de manière volontaire, quelles que soient les consultations. C’est pourquoi le Sénat doit tenir bon et défendre nos droits à l’égalité.

Le 18 novembre 2025, le comité sénatorial a fait exactement cela. Par un vote de 10 contre 1, le comité a amendé le projet de loi S-2 pour éliminer la règle de la coupure à la deuxième génération, montrant une fois de plus que le Sénat soutient l’égalité pour les femmes des Premières Nations.

Le coût humain

Derrière les manœuvres fédérales et les arguments juridiques se trouvent des personnes réelles : des femmes, des enfants, des familles autochtones déchirées par une discrimination persistante. L’exclusion brise les liens, limite l’accès à des programmes sociaux essentiels, nous prive de notre voix politique et de notre capacité à participer aux décisions concernant la gouvernance de nos Premières Nations.

Il s’agit de la poursuite d’une politique canadienne d’assimilation forcée visant à « se débarrasser du problème indien » par l’extinction législative. Les règles de la Loi sur les Indiens portent atteinte à notre identité collective, à nos relations, à notre parenté, à notre sentiment d’appartenance et causent un tort irréparable.

En maintenant la coupure de la deuxième génération, le Canada prolonge une politique que l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées a qualifiée comme faisant partie d’un schéma plus large de génocide envers les femmes et les familles autochtones. En nous demandant d’attendre, il illustre l’une des conclusions du rapport : le manque de respect du Canada envers les droits humains des femmes autochtones.

Réconciliation ou rhétorique ?

La réconciliation doit être plus qu’un slogan. Elle ne peut se résumer à des journées commémoratives tant que les lois coloniales demeurent en vigueur. Elle doit être une promesse morale et juridique, suivie d’une action immédiate pour mettre fin aux lois qui ont nui aux Premières Nations pendant des générations. Elle doit être jugée à l’aune des mesures que le Parlement prendra maintenant pour mettre fin à l’injustice.

Si le Canada croit réellement à la réconciliation, il fera trois choses :

  • Abroger la coupure de la deuxième génération et rétablir la règle du parent unique pour l’inscription ;
  • Abroger la limite arbitraire de 1985 qui divise les familles ;
  • Supprimer tous les obstacles législatifs à l’indemnisation pour que les personnes lésées puissent obtenir réparation.

Toute autre mesure ne ferait que perpétuer le même système discriminatoire fondé sur le sexe que la réconciliation prétend combattre. Le Canada ne peut se dire chef de file en matière de droits humains tout en discriminant les femmes des Premières Nations. Il ne peut non plus prétendre œuvrer à la réconciliation tout en privant nos enfants de leurs droits de naissance.

L’adoption des amendements cette semaine par le comité du Sénat est une étape importante. Mais le combat n’est pas terminé. Ils doivent encore être adoptés par le Sénat dans son ensemble et par la Chambre des communes.

La réconciliation ne peut attendre une autre génération. Mes petits-enfants méritent que justice leur soit rendue dès maintenant.

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Pamela Palmater

Pamela Palmater est une avocate mi’kmaq, auteure à succès et militante pour les droits des Autochtones, originaire de la Première Nation d’Eel River Bar. Elle occupe la chaire en gouvernance autochtone à l’Université métropolitaine de Toronto.

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