Alors que les enfants revendiquent de plus en plus activement leurs droits, les institutions accusent un retard : leurs structures et leurs mécanismes demeurent largement conçus pour un public adulte. Sommes-nous prêts à adapter nos systèmes à ces jeunes titulaires de droits?

La Convention relative aux droits de l’enfant (CDE), entrée en vigueur en 1990, a profondément transformé notre regard sur les enfants. Ils ne sont plus vus comme de simples bénéficiaires de protection, mais comme des êtres humains à part entière, titulaires du droit d’être entendus, de participer à l’action citoyenne et de façonner leur propre avenir.

Au fil des décennies, les enfants du monde entier ont fait leur part pour donner un vrai sens à la Convention. Ils ont pris la parole, se sont mobilisés et ont exigé des comptes aux institutions censées les servir.

Les enfants au Canada n’y font pas exception. De Shannen Koostachin, jeune Crie d’Attawapiskat qui a mené une campagne nationale pour l’éducation équitable des enfants des Premières Nations, aux jeunes demandeurs dans les causes La Rose et Mathur sur les changements climatiques, les enfants et les jeunes se sont affirmés comme défenseurs des droits de la personne. Leur courage a permis de placer au cœur des débats public et juridique des enjeux cruciaux, comme l’inégalité en matière d’éducation et la justice environnementale.

En tant que chercheuses, nous avons voulu comprendre comment les institutions canadiennes, en particulier les tribunaux, commissions des droits de la personne, bureaux d’ombudsman, et bureaux des défenseurs des enfants et des jeunes, s’adaptent à cette nouvelle réalité.

Ces systèmes conçus par et pour des adultes sont-ils accessibles aux enfants et adaptés à ces jeunes titulaires de droits, lorsqu’ils souhaitent faire valoir leurs droits ?

Des institutions au bilan mitigé

Les résultats de nos recherches suggèrent un portrait nuancé. Certaines institutions ont accompli des progrès impressionnants. Par exemple, les bureaux des défenseurs des enfants et des jeunes du Canada, regroupés au sein du Conseil canadien des défenseurs des enfants et des jeunes (CCDEJ) ont mis en œuvre des pratiques prometteuses pour rejoindre les enfants là où ils se trouvent.

Les jeunes ont la possibilité de communiquer directement avec ces bureaux. De plus, les défenseurs se déplacent dans les écoles, les centres communautaires, les lieux de loisirs et les clubs pour informer les enfants de leurs droits et leur expliquer comment accéder aux services de défense.

Cette approche reconnait que l’on accroît l’accès à la justice quand les institutions collaborent avec des médiateurs et médiatrices de confiance, comme le personnel enseignant, le travail communautaire ou encore les personnes âgées, qui sont déjà sur place, particulièrement dans les milieux touchés par des inégalités systémiques.

Ces institutions permettent aussi aux enfants de partager leurs doléances de différentes manières, que ce soit par téléphone, courriel, formulaire en ligne, médias sociaux ou service portes ouvertes, par exemple. Ces choix donnent le pouvoir d’agir à plus de jeunes.

Pourtant, notre recherche montre également que certaines institutions ne reconnaissent toujours pas les enfants comme étant titulaires de droits, ou même comme faisant partie du « public » qu’elles ont pour mission de servir. Ces institutions ne s’attendent pas à recevoir de communications de la part d’enfants, alors que rien n’exclut les enfants de leur mandat.

Par conséquent, certaines personnes soutiennent que peu d’enfants font appel à leurs services, tout en reconnaissant qu’elles n’ont pas vraiment cherché à simplifier leurs processus pour les rendre plus attrayants ou pratiques pour les jeunes. Ce raisonnement circulaire revient à exclure les enfants de manière systématique.

Une approche véritablement fondée sur les droits inverserait la question : il ne s’agit pas de demander « Pourquoi les enfants ne viennent-ils pas vers nous ? », mais plutôt « Quels obstacles dans nos processus les empêchent de venir ? ».

Le droit à l’égalité et les droits de la personne exigent des institutions qu’elles éliminent ces obstacles afin de garantir une justice procédurale et substantive qui tient compte de la capacité des enfants à comprendre, à participer et à se faire entendre, conformément aux meilleures pratiques de la justice adaptée aux enfants.

Des outils pour faciliter l’accès

La bonne nouvelle, c’est qu’il existe des pratiques prometteuses et des outils concrets. Notre équipe a élaboré une trousse d’outils pour la justice destinée aux institutions qui servent le public, offrant des lignes directrices pour rendre leurs processus accessibles, visibles, adaptables, relationnels et réceptifs aux enfants.

Ces changements ne sont pas cosmétiques.

Par exemple, nous encourageons les institutions à se poser les questions suivantes afin qu’ils puissent identifier leurs lacunes et améliorer leurs pratiques :

  • L’institution est-elle disponible à tous les enfants ou seulement certains groupes d’enfants ?
  • Les enfants sont-ils informés de l’existence de l’institution et de ses services ?
  • L’institution a-t-elle des mécanismes spécifiquement destinés aux enfants ?
  • Les mécanismes sont-ils adaptés à la diversité des enfants : enfants de différents âges, enfants racisés, enfants autochtones, filles, enfants en situation de handicap, enfants qui s’identifient comme LGBTQ2S+ ?
  • L’institution offre-t-elle une formation spécifique à ses employés relative aux enfants ?
  • Les enfants sont-ils invités à participer à l’élaboration de solutions à leurs problèmes ?

Les enfants nous ont déjà montré comment donner vie à la Convention. Ils ont manifesté, intenté des procès et milité pour la justice, non seulement pour eux-mêmes, mais aussi pour les générations à venir.

Il est temps que les adultes et les institutions qu’ils dirigent fassent leur part, en veillant à ce que les systèmes de justice et de droits de la personne soient véritablement accessibles à toutes et à tous, y compris aux enfants.

La promesse de la Convention demeure. La vraie question est de savoir si nous, les adultes, saurons enfin être à la hauteur de l’exemple que les enfants nous ont donné.

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Mona Paré

Mona Paré est professeure agrégée à la Section de droit civil de la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa. Ses recherches portent sur les droits de la personne et des enfants. Elle est une des membres fondatrices du Laboratoire de recherche interdisciplinaire sur les droits de l'enfant.

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Anne Levesque

Anne Levesque est professeure au Programme de common law français de la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa. Son domaine d’expertise comprend aussi les droits de la personne. Elle est coprésidente de l'Association nationale Femmes et droit.

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