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OTTAWA –Justin Trudeau a causé la surprise en choisissant un nouveau patron pour la fonction publique fédérale dont le curriculum vitae détonne de celui de ses prédécesseurs. Par contre, John Hannaford semble taillé sur mesure pour guider le gouvernement à travers les écueils qui le menacent en vue des prochaines élections.

L’actuel sous-ministre des Ressources naturelles sera le prochain greffier du Bureau du Conseil privé. L’annonce est survenue moins d’une heure après une autre annonce par M. Trudeau, soit celle du départ à la retraite de l’actuelle greffière Janice Charrette, le 24 juin prochain. La haute fonctionnaire, très respectée, avait mené la bureaucratie fédérale à travers les tourmentes de la pandémie.

M. Hannaford est vu comme un joker dans certains cercles bureaucratiques. Son nom n’apparaissait pas sur la liste habituelle des candidats pour le prestigieux poste. Il n’entre pas non plus dans le moule des greffiers récents, qui avaient généralement plusieurs postes de sous-ministre à leur actif dans des ministères importants, avec des séjours au Bureau du Conseil privé (BCP), aux Finances ou au Conseil du Trésor.

Mais M. Trudeau a choisi une « quantité connue et un visage familier », quelqu’un avec qui il a déjà travaillé sur les grands enjeux auxquels il est confronté aujourd’hui, explique Donald Savoie, un expert en administration publique. M. Hannaford connaît le commerce, la sécurité nationale, les relations entre le Canada et les États-Unis, l’énergie et le climat – et, en plus, c’est un diplomate.

Wesley Wark, un spécialiste de la sécurité nationale et du renseignement, estime que M. Hannaford est un candidat logique et compétent. Il est d’avis que sa nomination immédiate suggère que le choix était fait avant le récent rapport du rapporteur spécial David Johnston sur l’ingérence étrangère, qui a mis en lumière les difficultés de l’appareil gouvernemental à gérer les questions de sécurité et de renseignement.

« Les temps changent et les qualifications des greffiers changent. La base d’expertise est différente. On ne peut plus être greffier [du BCP] si l’on n’a pas d’expérience substantielle dans le domaine de la défense, de la sécurité et de la politique étrangère ».

Un «Homme de la Renaissance»

Hannaford a travaillé en étroite collaboration avec M. Trudeau au BCP comme conseiller en politique étrangère et à la défense, pendant le premier mandat du gouvernement libéral, de 2015 à 2019.

Il est ensuite passé au commerce international en tant que sous-ministre, où il a travaillé avec l’actuelle ministre des Finances, Chrystia Freeland, de 2019 à 2022. Il a participé à la négociation du partenariat transpacifique et à celle de l’Accord Canada-États-Unis-Mexique (ACEUM). Il connaît les dossiers de sécurité et de renseignement pour avoir travaillé aux Affaires étrangères et par son séjour précédent au BCP, ainsi que les changements climatiques et la transition énergétique, par son poste actuel au ministère des Ressources naturelles.

« Il dispose d’une boîte à outils vraiment très intéressante », estime un haut fonctionnaire qui n’est pas autorisé à s’exprimer publiquement. « Un peu comme un ‟Homme de la Renaissance”. Il ne s’occupe pas seulement de politique économique, de politique sociale ou de commerce, et il n’est pas seulement diplomate. Il couvre vraiment un très large front ».

M. Hannaford est un avocat qui est passé par les Affaires étrangères. Ses collègues disent que son expérience en tant que diplomate, notamment en tant qu’ambassadeur du Canada en Norvège entre 2009 et 2012, lui sert bien. Il est « d’un calme imperturbable, comme on s’y attend d’un diplomate », dit un ancien collègue.

Ceux qui ont travaillé avec lui le considèrent comme une personne brillante, qui apporte sa perspicacité et son expérience aux enjeux d’ingérence étrangère dans les élections à un moment où M. Johnston reproche aux agences de sécurité de ne pas communiquer les menaces aux décideurs publics.

« Il est super intelligent. Très connaissant et bien outillé », dit un observateur de longue date. « Si vous cherchez quelqu’un qui possède une expertise spécifique dans le domaine du renseignement et de la sécurité extérieure, c’est certainement un bon choix. »

M. Hannaford s’installera immédiatement au BCP, le 1er juin, pour préparer la transition avant d’entrer officiellement dans ses nouvelles fonctions, le 24 juin.

« M. Hannaford apporte à ce poste important une grande expérience et une solide réputation », a déclaré M. Trudeau par voie de communiqué. « Je suis convaincu que son engagement de longue date à servir les Canadiens l’aidera à diriger notre fonction publique de classe mondiale, à mesure que celle-ci continuera à mettre en œuvre le programme du gouvernement du Canada et à améliorer la vie des Canadiens d’un bout à l’autre du pays. »

Le gouvernement Trudeau et le Bureau du Conseil privé, centre névralgique de la bureaucratie fédérale, ont été confrontés à une série de mauvaises nouvelles récemment : allégations d’ingérence de la Chine dans les élections, plus importante grève de fonctionnaires de l’histoire récente, inflation et hausse des prix. Le chef du parti conservateur, Pierre Poilievre, s’est emparé de tout cela, affirmant que le gouvernement était « brisé ».

Le greffier du BCP porte de nombreuses casquettes : secrétaire du cabinet, sous-ministre du premier ministre et patron du service public.

Un haut fonctionnaire a déclaré qu’il était « rafraîchissant d’avoir un greffier qui sort des sentiers battus ». D’autres craignent qu’un nouveau haut fonctionnaire ayant un fort penchant pour les affaires internationales ne néglige de grandes questions auxquelles est confrontée la fonction publique – la réduction imminente des budgets de fonctionnement, les conséquences de la grève, l’arrivée de l’intelligence artificielle et de ChatGPT, et la pile croissante de réformes de gestion que des experts réclament de plus en plus souvent.

Une greffière sortante respectée

La nomination inattendue de M. Hannaford a éclipsé le départ de la très respectée Janice Charette.

Charette est debout sur un podium noir. Le mur derrière elle est noir. Elle est vêtue d’une chemise noire et d’un veston bourgogne.
Janice Charette témoigne devant la Commission sur l’état d’urgence, à Ottawa, le 18 novembre 2022. LA PRESSE CANADIENNE/Adrian Wyld

Mme Charette a eu la distinction particulière d’être greffière à deux reprises. Elle a été choisie comme en 2014 par l’ancien premier ministre Stephen Harper et elle est restée en poste sous M. Trudeau jusqu’en 2016, date à laquelle il l’a nommée haut-commissaire du Canada au Royaume-Uni. M. Trudeau l’a ensuite rapatriée comme greffière intérimaire en 2021, et renommée greffière permanente il y a un an.

Le travail de greffier est difficile, les heures sont longues et la durée de séjour typique est de trois à cinq ans. Plusieurs se sont demandé pendant combien de temps Mme Charette, qui est éligible à la retraite, allait rester. De nombreuses voix se sont élevées pour dire qu’elle aurait dû quitter son poste avant Noël afin de donner le temps à un nouveau greffier de s’installer en vue des prochaines élections, et éventuellement gérer la transition vers un nouveau gouvernement. Le greffier fait également partie du groupe de hauts fonctionnaires chargé de déterminer si des occurrences d’ingérence dans les élections peuvent menacer leur intégrité.

Le premier ministre a souligné le « leadership sans faille » dont Mme Charette a fait preuve pendant la pandémie et l’a nommée membre du Conseil privé du roi. « Janice Charette a mené une carrière exceptionnelle en tant que fonctionnaire, qui lui a valu respect et reconnaissance aux niveaux national et international », a déclaré M. Trudeau dans un communiqué.

Mme Charette a géré deux transitions gouvernementales, navigué à travers la pandémie, un nouveau gouverneur général, la réinstallation des réfugiés afghans, le blocus d’Ottawa, la guerre en Ukraine, la hausse de l’inflation, les allégations d’ingérence de la Chine et une grève historique de la fonction publique, pour ne citer que quelques-uns des défis auxquels elle a dû faire face.

Elle a dirigé le service public pendant une période unique, principalement la pandémie, qui a bouleversé notre mode de travail et l’organisation de la fonction publique d’une façon qu’on n’avait jamais imaginée. Elle a été la première greffière du Commonwealth à faire de la santé mentale au travail une priorité de gestion et, plus récemment, elle a donné une directive ferme aux sous-ministres pour qu’ils intensifient leurs efforts dans la lutte contre le racisme et la promotion de la réconciliation, de l’équité et de l’inclusion dans la fonction publique du Canada.

« C’était une bonne greffière », dut M. Savoie. « En fait, elle est l’une des meilleures greffières que nous ayons eues. Elle a servi avec loyauté et compétence, et le fait qu’elle ait survécu aussi longtemps sans commettre de faux pas majeurs témoigne de sa compétence. Elle part la tête haute, comme elle le devrait ».

La chaise vide de Michael Sabia

Un autre poste important à combler et qui attire l’attention est celui du sous-ministre des Finances, le plus important ministère. Michael Sabia, son titulaire actuel, est sur le point de quitter Ottawa pour diriger Hydro-Québec.

Avec les départs de M. Charette et de M. Sabia, le gouvernement a une occasion unique de remanier la bureaucratie de haut en bas en nommant de nouvelles personnes aux deux postes les plus importants. M. Sabia a occupé ce poste pendant trois budgets et il a travaillé en étroite collaboration avec Mme Freeland. Son départ laisse un grand vide qui. L’arrivée d’un nouveau greffier à la tête du BCP pourrait déclencher un important remaniement des cadres supérieurs du gouvernement.

Le poste de John Hannaford aux Ressources naturelles devra également être pourvu. Pour l’instant, c’est Mollie Johnson, sous-ministre déléguée du ministère, qui assure l’intérim.

Un remaniement des sous-ministres serait compatible avec les spéculations voulant que le gouvernement se prépare à faire peau neuve cet été, ce qui pourrait signifier une prorogation du Parlement, un remaniement ministériel et un nouveau discours du trône à l’automne.

L’autrice a bénéficié d’une bourse de journalisme Accenture sur l’avenir de la fonction publique. Découvrez ici les autres chroniques de Kathryn May.

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Kathryn May
Kathryn May est journaliste et la boursière Accenture en journalisme sur l'avenir de la fonction publique. Dans les pages d'Options politiques, elle examine les défis complexes auxquels font face les fonctionnaires canadiens. Elle a couvert la fonction publique fédérale pendant 25 ans pour le Ottawa Citizen, Postmedia et iPolitics. Gagnante d'un prix du Concours canadien de journalisme.

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