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Le Canada est souvent considéré comme un champion du progrès, de l’égalité et de la croissance durable. Pourtant, un paradoxe persiste : plus d’un milliard de personnes – soit une sur six dans le monde – vivent avec un handicap. Leurs besoins restent largement ignorés dans les programmes de développement.

Avec la réduction des financements de l’Agence américaine pour le développement international (USAID), l’aide internationale se fait plus rare. Le secteur humanitaire subit une pression croissante, alors que les besoins augmentent. En ce moment charnière, le Canada doit placer le handicap au cœur d’un développement international efficace, équitable et durable.

L’impact des coupes de l’USAID

L’écart entre les personnes handicapées et leurs pairs non handicapés montre l’échec de la communauté internationale à tenir sa promesse de « ne laisser personne de côté ». Les Objectifs de développement durable (ODD) visant à promouvoir les droits des personnes handicapées sont loin d’être atteints. Pour 30 % des objectifs, les progrès sont insuffisants ; pour 14 %, ils ont stagné, régressé ou n’ont pas été atteints.

L’aide publique au développement en faveur des personnes handicapées reste extrêmement faible : moins de 2 % de l’aide totale, soit environ 3,2 milliards de dollars américains. Selon l’OCDE, les personnes ayant un handicap intellectuel sont presque totalement exclues des projets d’aide.

Ces difficultés s’aggravent avec les réductions de l’aide américaine en 2025, auxquelles viennent s’ajouter celles d’autres pays occidentaux qui, pour la majorité, réduisent la part de leur budget alloué à l’aide au profit d’autres secteurs comme le militaire.

Les populations vulnérables, notamment les femmes et les enfants handicapés, restent marginalisées. Près de la moitié des 240 millions d’enfants handicapés dans le monde n’ont jamais été scolarisés. Ils ont 42 % moins de chances que leurs pairs d’acquérir des compétences de base en lecture et en calcul.

Les femmes handicapées subissent davantage de violences sexistes : 40 à 68 % ont été victimes de violences sexuelles avant 18 ans. Leur accès aux services de santé sexuelle et reproductive est limité. Elles sont souvent exclues des programmes de financement, des postes de direction et des espaces de prise de décision.

Quelques mois après les coupes de l’USAID, les organisations internationales ont commencé à en subir les effets. Une étude de Humanité & Inclusion auprès de 1 280 réfugiés handicapés dans huit camps en Ouganda a montré que 42 % des ménages avec au moins un enfant en situation de handicap et 35 % des personnes en situation de handicap n’ont reçu aucune aide alimentaire.

L’exclusion économique est également flagrante. Le taux d’emploi moyen des personnes handicapées est de 36 %, contre 60 % pour les personnes non handicapées. Dans les pays à revenu faible ou intermédiaire, plus de 80 % restent sans emploi. Cette exclusion limite les opportunités individuelles et réduit la croissance, l’innovation et la cohésion sociale.

Les coupes dans l’aide américaine auront des conséquences bien au-delà des budgets. Elles menacent la survie et la dignité de millions de personnes, aggravent la pauvreté et privent les économies de la contribution des personnes handicapées.

Le Canada et l’aide inclusive

Face aux crises humanitaires croissantes, aux conflits mondiaux et à la baisse de l’aide internationale, le Canada a l’occasion de montrer le chemin. Le gouvernement libéral, dirigé par le premier ministre Mark Carney, a mené une campagne électorale promettant un soutien fort à l’aide internationale, à la coopération multilatérale et au respect du droit international. Ces engagements nécessitent maintenant des actions concrètes.

Le budget actuel montre un écart entre promesses et réalité. L’aide internationale du Canada est passée de 1,29 milliard de dollars en 2022-2023 à 803 millions en 2023-2024. En parallèle, les dépenses militaires devraient augmenter de 9 milliards en 2025-2026, atteignant 2 % du PIB, avec l’objectif de 5 % d’ici 2035.

Les lettres de mandat ministérielles demandent d’inclure davantage les personnes handicapées dans les programmes de développement. Les rapports de 2023 et 2024 de la commission parlementaire sur l’éducation inclusive et la santé et droits sexuels et reproductifs des femmes contiennent des recommandations claires pour renforcer cette inclusion.

La Loi sur la responsabilité en matière d’aide publique au développement stipule que l’aide canadienne doit réduire la pauvreté. Pourtant, les personnes handicapées, deux fois plus susceptibles de vivre sous le seuil de pauvreté et de voir leurs besoins en santé non satisfaits, restent marginalisées. En 2023-2024, seulement 203,5 millions de dollars de l’aide publique au développement, soit 2 % du total, ciblaient le handicap. La plupart de ces projets se contentaient de cocher une case plutôt que d’apporter des résultats concrets.

Le rapport du vérificateur général de mars 2023 note que Affaires mondiales Canada recommande une meilleure intégration des facteurs d’identité croisés, dont le handicap, dans les évaluations de l’égalité des sexes. Ce constat souligne l’absence de financement dédié, de responsabilité claire et de cadres pratiques pour placer l’inclusion des personnes handicapées au centre de l’aide canadienne.

Contrairement à l’Australie, au Royaume-Uni et aux États-Unis (avant les coupes de l’USAID), le Canada n’a pas de politique explicite pour l’inclusion des personnes handicapées dans ses programmes d’aide. Malgré ses engagements en santé mondiale, très peu de financement parvient aux femmes handicapées. Les initiatives féministes pour l’égalité des sexes priorisent rarement leur inclusion.

Certaines pratiques sont encourageantes. L’engagement de 100 millions de dollars du Canada pour les soins rémunérés et non rémunérés soutient des initiatives pour combler les lacunes des systèmes de soutien. Cependant, les femmes handicapées doivent être reconnues comme bénéficiaires mais aussi comme décideuses et contributrices. Sans stratégies claires et financement dédié, les engagements du Canada risquent de rester symboliques.

Le Canada doit montrer la voie : mode d’emploi

Pour tenir ses engagements et respecter la promesse de « ne laisser personne de côté », le Canada devrait :

  1. Appuyer et mettre en œuvre l’engagement de 15 % pris lors du Sommet mondial sur le handicap
    L’initiative « 15 % pour les 15 % » vise à ce que 15 % de l’aide au développement profite explicitement aux 15 % de personnes handicapées dans le monde. Intégrer cet objectif dans les stratégies canadiennes permettrait de consacrer environ 2 % de l’aide totale à des projets en faveur de personnes en situation de handicap, aidant ainsi des millions de personnes.
  2. Augmenter le financement ciblé et la collecte de données
    Un investissement de 200 millions de dollars sur cinq ans pourrait transformer des vies. Il doit soutenir l’éducation, la santé et les opportunités économiques, accompagné de données fiables ventilées par différents éléments comme le handicap, le sexe, l’âge et le lieu.
  3. Intégrer le handicap dans tous les secteurs et programmes
    L’inclusion doit être la norme dans l’éducation, la santé, le développement économique et l’aide humanitaire. Le renforcement des capacités d’Affaires mondiales Canada et de ses partenaires doit porter sur la conception inclusive et les aménagements raisonnables.
  4. Renforcer les partenariats avec des organisations dirigées par des femmes handicapées
    Leur expertise est essentielle pour concevoir, mettre en œuvre et évaluer les programmes de manière efficace et adaptée.

L’inclusion des personnes handicapées dans le développement international est un impératif moral, économique et humain. Ignorer le handicap réduit l’efficacité de l’aide, perpétue les inégalités et fragilise les fondements du développement durable.

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Anne Delorme

Anne Delorme est directrice générale de Handicap International Canada, qui œuvre dans 60 pays pour le déminage, l’assistance aux victimes et le soutien aux personnes les plus vulnérables, par le biais du développement inclusif et de l’action humanitaire.

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