Cet article est le second volet de notre série « Décarboner le Québec ». Le premier explique pourquoi il faut miser d’abord sur l’efficacité énergétique des bâtiments.

Le Québec doit impérativement maîtriser sa demande d’électricité s’il souhaite atteindre ses objectifs de décarbonation et de développement économique. Selon nos recherches à l’Institut du Québec (IDQ), le principal gisement d’économies d’énergie se trouve dans le secteur des bâtiments.

Hydro-Québec s’est fixé pour objectif une cible ambitieuse de 21 TWh d’efficacité énergétique d’ici 2035. Pour y parvenir, elle devra réaliser des économies annuelles au moins deux fois supérieurs à sa performance historique.

L’atteinte de cet objectif exigera un ensemble de politiques publiques cohérentes et audacieuses. Certaines mesures sont déjà déployées au Québec, mais elles mériteraient qu’on s’y attarde davantage pour les rendre plus efficaces.

Démocratiser la tarification dynamique

La tarification de l’électricité est le levier fondamental. Les tarifs très bas au Québec, bien que socialement avantageux, constituent un frein majeur aux mesures d’efficacité énergétique.

Des tarifs trop bas limitent la rentabilité des investissements en rénovation ou en technologies écoénergétiques, ce qui prolonge le retour sur investissement et freine l’adoption de comportements sobres. Si des hausses tarifaires importantes sont politiquement très sensibles, une réflexion sur une trajectoire graduelle est inévitable. L’objectif doit être de créer un signal de prix adéquat en cohérence avec les objectifs d’économie d’énergie et de décarbonation.

La tarification dynamique permet de diminuer les pointes hivernales en augmentant le prix de l’électricité durant ces périodes. Cette forme de tarification incite les ménages à étaler leur consommation d’électricité dans la journée, voire la nuit. Son efficacité demeurera limitée au Québec tant que l’adhésion au programme restera volontaire. Seule une adoption plus systématique peut en augmenter l’impact.

La discordance des intérêts agit ici comme un désincitatif : un locataire dont le loyer inclut le chauffage ne gagne rien à modifier ses habitudes. De plus, les ménages québécois paient un tarif de branchement journalier fixe qui ne tient aucun compte de leur appel de puissance. Certains pays montrent la voie. La France et l’Espagne, par exemple, modulent le tarif de branchement des ménages selon leur pointe de consommation.

Réglementer et subventionner

La réglementation sur la performance électrique des bâtimentsest actuellement l’instrument le plus directif à la disposition du gouvernement. La nouvelle Loi sur la performance environnementale des bâtiments, qui lui permettra d’éditer des normes, est un pas dans la bonne direction. Cependant, les défis seront nombreux et importants. Des coûts de rénovation élevés pourraient se répercuter sur les loyers, voire réduire l’offre de logements dans un contexte de pénurie.

En France, où l’on a progressivement interdit la location des logements les plus énergivores, l’expérience montre que l’efficacité et l’acceptabilité sociale de ce genre de mesure reposent sur des programmes de subventions robustes.

Les subventions aux technologies écoénergétiques (thermopompes, isolation, fenêtres performantes, etc.) sont souvent des incitatifs nécessaires à l’investissement. Au Québec, les faibles tarifs d’électricité en réduisent toutefois l’intérêt : ils limitent les économies réalisables, et donc l’attrait de l’investissement initial, même subventionné.

Un autre frein émane du manque de connaissance de ces technologies. Comme le montre l’exemple de la Norvège, où plus de 60 % des ménages sont équipés d’une thermopompe, un soutien gouvernemental fort et assidu combiné à des prix de l’énergie plus élevés peut susciter une adoption de masse, voire l’engouement.

Les campagnes de sensibilisation et d’information, toujours utiles, se heurtent toutefois au mur de la crédibilité et des contradictions. Comment convaincre les citoyens du caractère précieux de l’électricité si le gouvernement, dans ses efforts de développement économique, se montre trop généreux dans ses incitatifs énergétiques aux grandes industries ? Pour être utiles, ces campagnes doivent s’inscrire dans une vision stratégique cohérente entre les ministères et les divers paliers de gouvernement, notamment les municipalités.

Des barrières se dressent

L’adoption de mesures en faveur de l’efficacité énergétique se heurtent souvent aux mêmes obstacles, qui peuvent être regroupés en trois grandes catégories : les barrières comportementales, financières et politiques ou institutionnelles.

Du côté comportemental, plusieurs obstacles se présentent. D’abord, l’information imparfaite : la clientèle ciblée, qu’il s’agisse de ménages ou d’entreprises, ne connaît pas la mesure ou en sous-estime ses bénéfices. Ensuite, les coûts cachés représentent une autre difficulté. Ils incluent les coûts indirects liés à la charge mentale ou aux désagréments engendrés par les travaux nécessaires à l’adoption de la technologie, ainsi que le coût d’obtenir l’information. Enfin, le biais du statu quo constitue une résistance au changement, où toute nouveauté est perçue comme plus risquée que bénéfique.

Sur le plan financier, deux obstacles principaux se distinguent. Le lent retour sur investissement, causé par des coûts initiaux élevés et des tarifs d’électricité faibles, retarde la rentabilité. De plus, la discordance des intérêts peut survenir lorsque la mesure cible une personne qui n’a pas le pouvoir de l’adopter ou qui ne peut profiter pleinement de ses bénéfices.

Enfin, les barrières politiques et institutionnelles incluent le manque de coordination, lorsqu’une mesure présentant une complémentarité avec une autre initiative ou marché reste inexploité, et les objectifs divergents, qui se produisent lorsque les objectifs des donneurs d’ordres entrent en contradiction avec ceux de l’efficacité énergétique.

En somme, la solution miracle en efficacité énergétique n’existe pas. L’atteinte d’objectifs aussi ambitieux exige davantage qu’un coup d’accélérateur dans l’implantation de mesures nouvelles.

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Anthony Migneault

Anthony Migneault a rejoint l’Institut du Québec (IDQ) en 2023. Auparavant, il a occupé le poste d’adjoint de recherche en analyses économiques internationales pour la Banque du Canada. Il a également effectué différents stages d’analyses économiques à Statistique Canada et à la Caisse de dépôt et placement du Québec. Anthony est détenteur d’un baccalauréat en sciences économiques de l’Université de Sherbrooke et d’une maîtrise en économie appliquée de HEC Montréal.

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