La plus haute fonctionnaire du Canada souhaite que les fonctionnaires retournent au bureau à temps partiel cet été pour tester la gestion des ministères fédéraux avec une main-d’œuvre hybride. 

La greffière du Conseil privé, Janice Charette, a récemment écrit aux sous-ministres pour leur demander de profiter de l’été pour expérimenter le travail hybride afin que leurs ministères soient prêts pour une mise en œuvre complète à l’automne.

« J’attends de la part des ministères qu’ils mettent activement à l’essai des modèles de travail hybrides », a écrit Mme Charette. 

« Il est essentiel d’encourager la vaste participation des employés à cet égard – surtout par une présence sur place – pour surmonter les défis et tirer le meilleur parti des possibilités de passer à une nouvelle façon de travailler. »

La greffière est la grande patronne, mais elle ne peut pas donner de directives à la fonction publique. Ce pouvoir appartient au Conseil du Trésor, qui est l’employeur. Cependant, elle exerce un pouvoir sur les sous-ministres – qui sont en fonction suivant la volonté du premier ministre – à travers ses recommandations concernant leur embauche, leur congédiement et leur rémunération au rendement. 

Le Conseil du Trésor a approuvé le passage à une main-d’œuvre hybride, mais a adopté une approche non interventionniste en laissant aux ministères le soin de décider de la façon de procéder et de ramener les travailleurs au bureau. Cette situation a suscité des plaintes concernant l’incohérence et l’indécision et a fait circuler parmi les fonctionnaires l’idée qu’ils peuvent travailler n’importe où. 

Un retour au bureau sur fond de négociations

De nombreux employés de bureau – environ la moitié de la fonction publique – ne veulent pas revenir au bureau comme ils le faisaient avant la pandémie. Les sondages montrent que 85 % d’entre eux souhaitent une approche hybride partagée entre la maison et le bureau. Les autres – des douaniers aux gardiens de prison, en passant par les infirmières, les scientifiques et les espions – ne sont tout simplement pas en mesure de travailler à domicile. 

Après plus de deux ans de télétravail, de nombreux fonctionnaires ont le sentiment d’avoir mené à bien la réponse gouvernementale à la pandémie.

Ils ont adapté leur vie, mais un nouveau sous-variant Omicron plus contagieux les rend encore plus réticents à passer du temps au bureau ou à utiliser les transports en commun. Et le prix élevé de l’essence est un nouvel argument qui dissuade les gens à se rendre au bureau. 

Plusieurs hauts fonctionnaires qui ne sont pas autorisés à s’exprimer publiquement ont déclaré que le travail hybride est une nouvelle danse que les ministères n’ont pas encore comprise – en partie parce qu’ils n’arrivent pas à retenir suffisamment de personnes au bureau pour le mettre à l’essai. Ils espèrent que la lettre de Mme Charette permettra d’apporter plus de structure ou de lignes directrices sur la façon de procéder. 

« Tout le monde pensait « Youpi », on peut faire ce qu’on veut », a déclaré un haut fonctionnaire. « L’idée que les gens se font de la flexibilité, c’est que chaque jour, ils peuvent travailler de chez eux, ne pas se présenter au bureau ou travailler de n’importe où dans le pays ou dans le monde. »

« Nous ne pouvons pas nous laisser guider par les émotions, les préférences et les opinions des gens. Soyons guidés par l’expérimentation et obtenons les faits et les données sur ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. »

Un autre a déclaré qu’il fallait faire quelque chose « parce que nous semblons être le seul employeur du pays à penser qu’il est scandaleux de demander aux gens de retourner sur les lieux de travail ».

Le passage à l’hybride est un changement énorme pour le service public qui modifiera tout ce qui concerne le travail et son organisation. Les besoins en matière de sécurité, de technologie, de bande passante, de design et d’espace de bureau vont changer, tout comme les conventions collectives et la manière dont les services sont fournis et les politiques exécutées. 

Meredith Thatcher, cofondatrice et stratège en matière de lieu de travail chez Agile Work Evolutions, a déclaré que la version actuelle de l’hybride n’est pas la même que celle qui fonctionnait pendant la pandémie, lorsque les règles et les processus ont été rationalisés, contournés ou même abandonnés. 

« C’est une chose toute nouvelle. Parfois, seule l’expérience permet de comprendre comment une chose fonctionne, et les fonctionnaires n’ont pas eu l’occasion de faire réellement l’expérience du travail hybride. C’est donc tout le message de la greffière : « S’il vous plaît, il faut l’essayer, c’est le seul moyen de trouver la meilleure manière de s’organiser. » »

Dans sa lettre, Mme Charette a déclaré que l’approche unique a ses limites pour une organisation aussi vaste et complexe que le gouvernement, mais que les employés  « ont droit à une certaine cohérence dans l’application des approches hybrides à l’échelle de l’organisation. »

Elle rappelle aux sous-ministres qu’ils ont deux responsabilités : la gestion de leur ministère et la gestion de la fonction publique en tant qu’institution. 

« Vous êtes collectivement responsables de l’avènement de la fonction publique d’aujourd’hui et de demain. Je vous engage résolument à garder à l’esprit cette double responsabilité quand vous mettrez à l’essai de nouvelles façons de travailler », a-t-elle déclaré aux sous-ministres. 

D’aucuns disent que les ministères ont traîné les pieds parce qu’ils n’avaient pas d’orientation centrale, qu’ils avaient peur de fixer des directives qui pourraient ne pas fonctionner ou se retourner contre eux, ou qu’ils attendaient de voir ce que les autres feraient. Aujourd’hui, par exemple, on craint que les travailleurs ne se tournent vers les ministères qui offrent le plus de flexibilité en matière de télétravail. 

Selon Mme Thatcher, un autre problème consiste à comprendre précisément ce que font les gens durant leur travail, quand et comment ils accomplissent leurs tâches. Il ne s’agit pas seulement de déterminer quelles tâches doivent être effectuées au bureau. 

Un fonctionnaire pourrait certes accomplir toutes ses tâches à la maison, mais qu’en est-il des avantages de travailler en présence d’autres personnes ? Les ministères doivent trouver comment, quand et où mettre les gens en contact dans un même lieu. Les réunions en personne – que ce soit à travers la camaraderie ou la collaboration – donnent lieu à des remue-méninges qui génèrent de nouvelles idées ou des innovations.

Ce sont ces modalités que Mme Charette demande aux sous-ministres de déterminer. 

« Le moment est venu de mettre à l’essai de nouveaux modèles dans la perspective d’une pleine application à l’automne, sous réserve de la situation sanitaire. », a-t-elle écrit. 

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Mais Mme Charette a fait remarquer que ce retour au bureau n’est pas le signe d’un retour aux méthodes de travail d’avant la pandémie. Le travail à domicile offre aux employés une certaine souplesse et permet aux gestionnaires de recruter une main-d’œuvre plus diversifiée à l’extérieur d’Ottawa et dans tout le pays. 

Elle a déclaré que le fait de réunir les gens dans un bureau offrait la possibilité « de trouver des idées, de transférer les connaissances et de mettre en place une solide culture organisationnelle.»  Elle a ajouté que le lieu de travail hybride devrait « combiner » le meilleur des méthodes de travail traditionnelles et nouvelles.

Pour les syndicats, l’idéal est de trouver un équilibre entre le lieu où les employés préfèrent travailler et les exigences opérationnelles des emplois. 

Dany Richard, coprésident du Conseil national mixte, a déclaré que la lettre de la greffière change la donne et a des répercussions sur tous les ministères. Il a ajouté que la grande leçon à retenir est que personne ne peut « travailler principalement à distance ».

M. Richard, qui est également à la tête de l’Association canadienne des agents financiers, a dit que les membres qui avaient auparavant le feu vert pour travailler principalement à distance se voient maintenant dire qu’ils devront peut-être venir au bureau un jour ou deux par semaine.  

« Avant cette lettre, personne n’était pressé. Tout le monde se disait : « OK, élaborons nos plans, la conception de nos bureaux, préparons-nous, puis commençons lentement à faire revenir les gens. » » 

Jennifer Carr, présidente de l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada, a déclaré que les directives du Conseil du Trésor étaient trop vagues et ne définissaient jamais vraiment le travail hybride. 

Selon elle, ça n’empêchera pas les ministères de continuer de partir dans tous les sens. Certains autorisent le travail à distance tandis que d’autres exigent arbitrairement que les travailleurs retournent au bureau, un, deux ou trois jours par semaine. 

Elle ajoute que les employés sont déjà à la recherche d’un emploi et cherchent à rejoindre les services qui offrent le plus de flexibilité. Les fonctionnaires ont par ailleurs créé des pages Facebook pour annoncer les emplois à distance et certains syndicats classent les ministères les plus ouverts au travail à distance.

L’autrice a bénéficié d’une bourse de journalisme Accenture sur l’avenir de la fonction publique. Découvrez ici les autres chroniques de Kathryn May. 

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Kathryn May
Kathryn May est journaliste et la boursière Accenture en journalisme sur l'avenir de la fonction publique. Dans les pages d'Options politiques, elle examine les défis complexes auxquels font face les fonctionnaires canadiens. Elle a couvert la fonction publique fédérale pendant 25 ans pour le Ottawa Citizen, Postmedia et iPolitics. Gagnante d'un prix du Concours canadien de journalisme.

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