Dans son ouvrage Continental Divide: The Values and Institutions of the United States and Canada, paru en 1990, Seymour Martin Lipset écrit que « les Américains, depuis la révolution, ont résisté à l’autorité, ont réclamé leurs droits et préféraient un gouvernement faible, tandis que les Canadiens se sont moins plaints, ont été moins agressifs et ont souhaité un gouvernement paternaliste fort » [notre traduction]. Les Canadiens seraient donc plus tolérants, polis, gentils et doux que les Américains, ce qui explique sans doute pourquoi les campagnes électorales canadiennes ont toujours fait preuve de plus grande civilité que celles qui se déroulent aux États-Unis. Aujourd’hui, force est d’admettre que le comportement agressif du président américain Donald Trump sur les médias sociaux est diamétralement opposé à celui du premier ministre canadien Justin Trudeau.

Le 29 juin dernier, Donald Trump s’est attaqué sur Twitter à la journaliste Mika Brzezinski, qui coanime avec Joe Scarborough l’émission Morning Joe sur les ondes de MSNBC, en faisant référence à son « faible quotient intellectuel » et en la traitant de « folle ». Cette attaque personnelle a été promptement dénoncée sur les médias sociaux, notamment par des élus du Parti républicain. L’une des porte-paroles de la Maison-Blanche, Sarah Huckabee Sanders, s’est néanmoins portée à la défense de Donald Trump en affirmant qu’il « combat le feu par le feu ». Le lendemain matin durant son émission, Mika Brzezinski a elle-même dénoncé le tweet haineux du président américain.

Grâce à Twitter, le président américain dénigre ses adversaires politiques à volonté, de nuit comme de jour. Twitter lui a également permis de ridiculiser le dirigeant de la Corée du Nord, Kim Jong-un, et de critiquer la réaction du maire de Londres, Sadiq Khan, lors des attentats terroristes qui sont survenus en juin dernier. Le 2 juillet, Donald Trump s’est une fois de plus attaqué aux médias américains en publiant sur Twitter une vidéo d’un combat de lutte où il se bat contre un homme dont le visage a été remplacé par le logo de la chaîne de télévision américaine CNN.

Bien que cela puisse paraître farfelu, rappelons que Melania Trump avait déclaré, quelques jours avant l’élection présidentielle du 8 novembre 2016, qu’elle souhaitait mettre sur pied une campagne de lutte contre la cyberintimidation dans l’éventualité où elle deviendrait première dame des États-Unis.

En mettant en ligne des messages haineux, en proférant des menaces et en répandant des rumeurs sur son compte @realdonaldtrump, le président américain se positionne comme un cyberintimidateur. Il utilise intentionnellement les médias sociaux pour porter atteinte à la réputation de ses adversaires. La cyberintimidation a la particularité de se produire à n’importe quel moment et à partir de n’importe quel endroit, et elle ne connaît aucune contrainte. Les messages publiés par un cyberintimidateur jouissent également d’une prime de visibilité : lorsqu’ils sont partagés et relayés sur les médias sociaux, ils peuvent atteindre un auditoire virtuellement illimité, portant ainsi atteinte à la dignité de la victime. Dès leur publication sur Internet, ces messages deviennent permanents, c’est-à-dire, il sera impossible de les effacer du cyberespace.

En comparaison avec cette cyberagressivité qu’affiche le président américain sur les médias sociaux, la négativité, quant à elle, fait partie intégrante de la vie politique américaine. Celle-ci est surtout visible durant les campagnes présidentielles, lorsque les candidats tentent de discréditer leur adversaire auprès de l’électorat dans le but de s’en démarquer. Néanmoins, les publicités purement négatives, celles qui visent exclusivement à attaquer la personnalité et les positions du candidat adverse, sont en hausse depuis le début du 21e siècle, même si la campagne présidentielle de 2016 s’est révélée malgré tout plus positive que celle de 2012.

Pendant les campagnes électorales, c’est à petites doses que la négativité s’avère essentielle pour la démocratie, car elle permet aux électeurs d’évaluer les forces et les faiblesses des candidats en lice, d’autant plus que les publicités négatives sont généralement plus informatives que les publicités positives. Toutefois, les attaques très acerbes, qui font preuve d’incivilité ou qui présentent des arguments fallacieux pour induire les électeurs en erreur, risquent de se révéler néfastes pour la démocratie, dans la mesure où elles peuvent démobiliser l’électorat le jour du vote. De telles attaques peuvent également se retourner contre leur émetteur, à la manière d’un boomerang.

Notons qu’une telle utilisation des médias sociaux contribue, d’une part, à l’effacement de la frontière entre faire campagne et gouverner et, d’autre part, au phénomène de la politique spectacle, qui se manifeste par la personnalisation et la dramatisation de la politique. Selon nous, la cyberagressivité du président Donald Trump risque, , d’avoir des effets néfastes sur la vie politique aux États-Unis et, plus globalement, sur la démocratie.

Photo : Shutterstock.com / Tero Vesalainen 


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Charles-Antoine Millette
Charles-Antoine Millette est candidat au doctorat en science politique à l’Université du Québec à Montréal, chercheur associé à l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand de l’UQAM et enseignant à l’Université du troisième âge (UTA) de l’Université de Sherbrooke.
Marika Lussier-Therrien
Marika Lussier-Therrien est politologue, travailleuse sociale et chargée de projet à DIRA-Estrie pour le projet « Je prends ma place ! » contre l’intimidation.

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