Le commerce équitable est de plus en plus connu des consommateurs des pays industrialisés et le marché pour les produits équitables connaiÌ‚t une croissance solide depuis quelques années. Leurs ventes ont cruÌ‚ de 15 et 30 p. 100 annuellement en Amérique du Nord et en Europe depuis l’an 2000. On estime qu’environ 5 millions de personnes dans plus d’une quarantaine de pays en développe- ment sont impliquées dans la production pour les marchés équitables, pour des ventes mondiales estimées aÌ€ 500 mil- lions de dollars américains. Au Canada, ce type de commerce connaiÌ‚t aussi une croissance importante avec des revenus de plus de 22 millions de dollars en 2003 pour la vente de café, de cacao, de chocolat, de thé et de sucre équitables, comparativement aÌ€ 4,7 millions de dollars en 2000. Le café représente pré€s de 90 p. 100 de ces ventes mais le secteur prévoit l’entrée de nouveaux produits dans les prochaines années tels que les fruits frais.
En dépit de l’intéré‚t grandissant pour le commerce équitable, on connaiÌ‚t encore mal ce qui le distingue du commerce conventionnel. Quels sont ses principes, ses forces et ses faiblesses? De quelle manié€re ce type de commerce peut contribuer aÌ€ la réduction de la pauvreté et aÌ€ l’atteinte des Objectifs du Millénaire pour le développement que la communauté internationale s’est fixés?
Pour répondre aÌ€ ces questions, on doit premié€rement noter que le mouvement du commerce équitable est né en grande partie en réaction aÌ€ la crise dans les marchés inter- nationaux pour les produits de base et agricoles. En plus de leur grande volatilité, les prix des produits de base ont connu un déclin marqué depuis plusieurs décennies, résultant en une détérioration importante des termes d’échange pour plusieurs pays en développement. En 2002, le prix moyen des matié€res premié€res s’élevait aÌ€ seulement 55 p. 100 de leur valeur en 1979-1981. Le café et le cacao ont été les matié€res les plus durement touchées par ce déclin ; les prix actuels ne représentent plus que 35 p. 100 de ce qu’ils étaient il y a 25 ans.
Avec plus de 95 des 141 pays en développement qui tirent la majorité de leurs revenus d’exportation des matié€res premié€res, cette crise a des conséquences pour la majorité d’entre eux. Mais l’urgence se fait encore plus sentir en Afrique subsaharienne ouÌ€ la part des matié€res premié€res dans les exportations s’élé€ve souvent au-delaÌ€ delamarquedes80p.100etouÌ€les exportations sont concentrées dans un seul produit. Au Burundi, le café aÌ€ lui seul représente 80 p. 100 des exportations. Durant les pires années, les producteurs en sont souvent réduits aÌ€ vendre leurs produits aÌ€ des prix qui ne couvrent pas leurs couÌ‚ts de production. EÌtant donné les obstacles financiers, humains et physiques aÌ€ changer de type de production, cette volatilité et ce déclin ont fait basculer des millions de familles dans la pau- vreté ou en ont aggravé le niveau parmi les producteurs. Cela se traduit concré€tement par l’interruption ou par la fin des études pour les enfants de ces producteurs, la disparition des revenus qui permettaient l’accé€s aux soins de santé et par la malnutrition. On calcule que, pour le café, la crise récente a affecté plus de 25 millions de fermiers et de travailleurs.
Le mouvement du commerce équitable vise aÌ€ réduire la pauvreté en diminuant la vulnérabilité des pro- ducteurs aux aléas du marché mondial des matié€res premié€res. Ce type de commerce donne la priorité au développement durable et aÌ€ l’amélio- ration des conditions de vie des pro- ducteurs. Les mandats des organisations impliquées dans le com- merce équitable varient d’une organi- sation aÌ€ l’autre, mais certains principes de base sont communs.
Premié€rement, l’amélioration des conditions de vie des producteurs passe par le développement de leur commu- nauté. Les producteurs, organisés en coopératives, sont garantis de recevoir un prix juste pour l’achat de leurs pro- duits par les organisations qui, ensuite, les revendent sur les marchés des pays industrialisés. Ce prix est souvent au- dessus des prix courants sur les marchés mondiaux et établis conjoin- tement avec les coopératives de pro- duction. En plus des paiements versés aux coopératives pour la vente de leurs produits, l’acheteur équitable doit verser une prime sociale, un montant alloué aux coopératives pour investir dans leur communauté ; pour le café, la prime équivaut aÌ€ 5 cents US par livre. Les communautés décident collective- ment de l’usage des sommes reçues ; celles-ci servent souvent aÌ€ construire des cliniques, aÌ€ engager des enseignants ou aÌ€ améliorer les services sanitaires et l’approvisionnement en électricité et en eau potable.
Deuxié€mement, le commerce équitable établit des relations commerciales aÌ€ long terme et transparentes basées sur le dialogue et le respect mutuel. Vendeurs et acheteurs doivent se mettre d’accord sur des contrats de plusieurs années. Durant ces négocia- tions, les parties décident ensemble des conditions du commerce : volume, prix, échéanciers. Les acheteurs doivent payer 60 p. 100 de leur com- mande d’avance afin d’aider les pro- ducteurs aÌ€ défrayer les frais de production puisqu’ils n’ont souvent accé€s aÌ€ aucune autre forme de crédit.
De plus, les organisations de com- merce équitable s’engagent aÌ€ développer une meilleure connaissance chez les con- sommateurs de l’impact de leur préférence d’acheter les produits du commerce équitable par rapport aux conditions précaires qu’offre le commerce conventionnel aux producteurs de matié€res premié€res. Plusieurs organisations déploient aussi des efforts parti- culiers pour la promotion du patrimoine culturel que l’on retrouve dans les pays en développement. Ces organisations se concentrent sur le commerce de produits qui reflé€tent les traditions de ces pays telles que l’artisanat et les vé‚tements tra- ditionnels. Cet article n’examine pas ce secteur du mouvement équitable, se con- centrant plutoÌ‚t sur les produits agricoles et autres produits de base.
Il y a plusieurs acheteurs et produc- teurs impliqués dans le mouvement du commerce équitable, mais ce sont les organisations transnationales qui sont les plus influentes dans l’éta- blissement de normes et de crité€res de certification équitable. Par exemple, l’International Federation of Alternative Trade (IFAT), établie en 1989, représente maintenant plus de 200 membres dans 55 pays. Ces mem- bres englobent des coopératives de production, des importateurs, des revendeurs et des institutions de micro-finance. Cependant, cet amal- gane d’organisations et de certifica- tions équitables menait aÌ€ une certaine confusion pour les producteurs, les distributeurs et les consommateurs. Afin d’unir les organisations de com- merce équitable, Fairtrade Labelling Organization International (FLO) fut établie en 1997 afin de promouvoir une harmonisation des normes et une approche commune quant aÌ€ l’étique- tage. Au Canada, Transfair est l’organi- sation de certification équitable membre de FLO (www.transfair.ca).
Le commerce équitable offre plusieurs avantages pour les producteurs de matié€res premié€res dans les pays en développement. Les producteurs reçoivent un prix juste et garanti pour leur produit. Certaines organisations affirment que les produc- teurs reçoivent l’équivalent de 40 p. 100 du prix de détail pour leur pro- duit, mais la moyenne se situe entre 15 aÌ€ 25 p. 100, comparativement aÌ€ 5 aÌ€ 10 p.100 du prix de détail pour les marchés conventionnels. Dans le cas du café, ouÌ€ les prix avaient chuté dra- matiquement durant les dernié€res années, le prix plancher est établi aÌ€ 1,26$ américain pour une livre de fé€ves arabica ; cela représente le double du prix mondial des dernié€res années. De plus, les contrats aÌ€ long terme offrent une sécurité financié€re plus grande, ce qui permet aux producteurs d’investir avec confiance dans de nou- velles technologies ou de développer de nouvelles opportunités d’affaires.
Le commerce équitable fait présen- tement face aÌ€ plusieurs défis, du fait surtout que la demande pour ces produits est moindre que l’offre. Les producteurs sont tré€s attirés par les avantages économiques du commerce équitable, ce qui a augmenté rapide- ment l’offre de ces produits sur les marchés internationaux. La demande, quoique croissante dans les pays industrialisés, n’est pas suffisante, entraiÌ‚nant une surcapacité chronique. Par exemple, en l’an 2000, 60 millions de livres de café ont été produites selon les crité€res du commerce équitable mais seulement la moitié a été vendue aÌ€ des prix équitables.
De plus, certains analystes ont cri- tiqué le mouvement affirmant qu’il per- pétuait la dépendance des pays en développement aux produits d’exporta- tion traditionnels. En offrant aux produc- teurs des pays du Sud un prix « artificiellement élevé » pour leurs pro- duits agricoles et autres produits pri- maires, le commerce équitable encourage ces communautés aÌ€ se concentrer sur la production de ces biens de faible valeur, au lieu de développer un plan pour trans- former leur base économique vers des productions aÌ€ plus grande valeur ajoutée. Ces incitatifs financiers ne font qu’exa- cerber le problé€me de surproduction de produits primaires aÌ€ l’échelle mondiale. Les critiques insistent sur le danger qui menace les pays en développement, celui de demeurer les parents pauvres de la mondialisation, s’ils ne diversifient pas leurs productions et leurs exportations.
Les entreprises de commerce équitable répliquent qu’elles travail- lent déjaÌ€ aÌ€ résoudre ce problé€me en soutenant la diversification et l’aug- mentation de la valeur ajoutée de la production équitable. En effet, elles reconnaissent que la diversification de la production et de l’économie des pays en développement est essentielle pour atteindre les objectifs de réduc- tion de la pauvreté, mais soulignent par ailleurs, que les communautés ont besoin de temps et de capitaux pour se sortir de la dépendance envers quelques produits de base. Le com- merce équitable, en fournissant les outils financiers et organisationnels, peut faciliter cette transition, tout en améliorant entre-temps la qualité de vie des producteurs qui devront encore continuer pendant plusieurs années aÌ€ travailler leurs ter- res et vendre leurs récoltes.
Le commerce équitable offre un modé€le utile pour illustrer comment le commerce peut réduire la pauvreté, mais il demeure un phénomé€ne assez limité. Dans certains secteurs agri- coles, ces produits acquié€rent des parts de marché plus importantes, mais il reste que ce type de relations commer- ciales n’occupe encore qu’une part né- gligeable du commerce international, soit environ 0,01 p. 100.
En préparation du prochain sommet des chefs du G8 en EÌcosse en juil- let 2005, l’idée d’un fonds de 91 million de dollars américains a été pro- posée pour promouvoir le commerce équitable dans les cinq prochaines années. Basé sur le modé€le du Fonds mondial de lutte contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme, qui est une création du G8, ce fonds sou- tiendrait financié€rement la création de nouvelles initiatives de commerce équitable et l’expansion des opérations existantes. Une expansion importante de ce mouvement aiderait aÌ€ atténuer les effets désastreux de la volatilité des prix des matié€res premié€res et leur déclin aÌ€ long terme sur les produc- trices, les producteurs et leurs familles.
Au Canada, plusieurs reconnais- sent déjaÌ€ le potentiel de ce modé€le pour réduire la pauvreté dans les pays en développement, s’il pouvait é‚tre appliqué aÌ€ une plus grande échelle. Par exemple, l’ACDI a fournit un soutien financier aÌ€ une foire commerciale équitable aÌ€ Cancun, en septembre 2003. Sur la colline parlementaire aÌ€ Ottawa, on ne sert que du café équitable aÌ€ nos élus. Que ce soit par la promotion commerciale, l’achat public ou le soutien aÌ€ une initiative du G8, le Canada peut faire beaucoup pour le commerce équitable.
Mais les atouts du commerce équitable mettent aussi en relief les problé€mes du commerce conven- tionnel et remettent en question le fonctionnement du régime commer- cial international. Dans certains secteurs agricoles, une partie de la solution est connue. En effet, les sub- ventions massives aux producteurs des produits industrialisés entraiÌ‚nent un affaissement des prix internationaux dans plusieurs secteurs. L’expérience récente des producteurs de coton en Afrique sub-saharienne est l’exemple le mieux connu. Dans d’autres secteurs, les fermiers des pays en développement n’ont pas aÌ€ compéti- tionner avec des productions haute- ment subventionnées, mais les prix pour leur récolte demeurent volatiles et décroissants. Le manque de com- pétition dans la transformation et la revente de leurs produits est un facteur important pour comprendre la crise dans les matié€res premié€res, mais il est habituellement ignoré dans les négociations commerciales.
Afin de s’assurer que le développement et la réduction de la pauvreté soient véritablement au cen- tre des négociations aÌ€ l’OMC, on doit s’assurer que les discussions ne se limitent pas aux réductions des sub- ventions agricoles, mais aÌ€ l’ensemble des ré€gles et pratiques commerciales. Et ces discussions pourraient toutes se faire autour d’une bonne tasse de thé équitable.