En concluant leur ouvrage étoffé sur les quatre années au pouvoir de Philippe Couillard, les politologues François Pétry et Lisa Birch notent que, depuis 25 ans, aucun gouvernement québécois n’a davantage tenu ses promesses. Dans leur bilan, qui ne prend même pas en compte les derniers mois du mandat de ce gouvernement, ils estiment à 82 % la proportion de ses engagements réalisés. Et parmi ces promesses remplies, plusieurs sont importantes, comme le retour à l’équilibre budgétaire ou les pactes fiscaux avec les municipalités.

La situation économique apparaît également favorable, avec un taux de croissance moyen supérieur à ceux obtenus dans les dernières années et un taux de chômage plus bas que jamais. On parle maintenant davantage de pénurie de main-d’œuvre que de création d’emploi.

Dans les circonstances, observent les auteurs, le premier ministre et le Parti libéral du Québec devraient voguer vers une victoire assurée. Les libéraux ont fait ce qu’ils avaient promis, et l’économie va on ne peut mieux. En plus, le gouvernement Couillard a suivi à la lettre, et même de façon quasi caricaturale, la stratégie éprouvée du « cycle électoral », qui consiste à poser les gestes douloureux en début de mandat pour garder les réinvestissements dans les services et les baisses d’impôt pour la dernière année. Notoirement myopes, les électeurs n’auraient dû y voir que du feu. La victoire du PLQ, pourtant, semble loin d’être certaine.

Pétry et Birch reconnaissent que les électeurs ne sont peut-être pas si myopes et qu’ils ont probablement encore en tête les coupes budgétaires sévères imposées en santé et en éducation, le chaos des réformes et de la centralisation dans les soins de santé ou les hausses démesurées de la rémunération des médecins. En terminant, ils évoquent aussi l’usure du pouvoir, une notion particulièrement difficile à mesurer.

Le gouvernement Couillard a bel et bien rempli sa promesse de retour à l’équilibre budgétaire, mais en rompant un autre engagement important, celui d’assurer une croissance stable des dépenses en santé et en éducation.

Le fait est que le bilan des promesses électorales constitue une mesure bien limitée de l’action gouvernementale, et probablement pas celle à laquelle les électeurs recourent pour se faire une idée.

Plus avant dans le livre, Steve Jacob, Lisa Birch, François Pétry et Antoine Baby-Bouchard notent d’ailleurs que, pendant les années Couillard, à peine un quart (26 %) des projets de loi publics présentés par le gouvernement ont été associés à des promesses électorales. Il y a aussi bien des actions gouvernementales qui ne prennent pas la forme d’un projet de loi. La mise en œuvre de nouvelles politiques en relations internationales ou en affaires intergouvernementales canadiennes, par exemple, a imprimé une direction sans introduire de nouvelles lois.

Ce que les électeurs retiennent d’un gouvernement, c’est au mieux une impression globale, une image plus ou moins précise ancrée dans leurs identités partisanes et idéologiques. Dans le cas du gouvernement Couillard, la clé est donc moins la fidélité au programme du parti en ce qui concerne, disons, les municipalités ou la foresterie, que la décision de privilégier ce que Pierre Fortin, dans un des meilleurs chapitres du livre, appelle une « austérité musclée ». Comme le montre la figure ci-dessous, la croissance des dépenses de missions (toutes les dépenses sauf le service de la dette), tout comme celle des dépenses en santé et en éducation, a été pratiquement stoppée en 2015-2016, pour ensuite être relancée.


Cette trajectoire budgétaire en dents de scie a été vivement ressentie par les citoyens et, selon Pierre Fortin, elle a même miné la croissance économique. Le gouvernement Couillard a bel et bien rempli sa promesse de retour à l’équilibre budgétaire, mais, ce faisant, il a rompu un autre engagement important, celui d’assurer une croissance stable des dépenses en santé et en éducation. Comme le notent Éric Montigny et Marie Grégoire dans leur contribution à l’ouvrage, ses appuis dans l’opinion publique en ont souffert durablement.

Montigny et Grégoire vont plus loin en suggérant que le gouvernement Couillard a rompu avec l’héritage de la Révolution tranquille en privilégiant les libertés individuelles et le développement économique au détriment de l’identité nationale québécoise et de la justice sociale. C’est également la thèse défendue par deux petits livres parus récemment, qui parlent d’un démantèlement tranquille du Québec ou d’un détournement d’État au profit des plus riches.

Il est indéniable que les politiques d’austérité du gouvernement Couillard n’ont pas été simplement un exercice de freinage et de relance. À la faveur de l’austérité, plusieurs décisions ont été prises qui ont remis en question des politiques et des pratiques en place, qu’il s’agisse de la prestation des soins de santé, de la gouvernance régionale, du développement des Centres de la petite enfance ou de nos rapports avec le Canada. Sur ce plan, le bilan est sûrement moins positif que ce que laisse entrevoir une compilation des promesses remplies.

Mais l’État québécois est un lourd paquebot, qui ne tourne que lentement. Beaucoup dépend donc de la suite des événements. Et ce sont les électeurs qui commenceront à écrire cette suite.

Cet article fait partie du dossier Élections Québec 2018.

Photo : Shutterstock / FOTOimage Montreal


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Alain Noël
Alain Noël is professor emeritus of political science at the Université de Montréal. He is the author of Utopies provisoires: essais de politiques sociales (Québec Amérique, 2019).

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