C’est maintenant le lot des campagnes électorales au Canada : les électeurs assistent à une succession d’engagements électoraux ciblés qui permettent aux partis de mettre la table pour les débats des chefs. Ces annonces quotidiennes sont généralement entremêlées de controverses sur la probité des candidats ou sur les gaffes de leur chef. L’élection du 21 octobre prochain n’y échappe pas.

Cela dit, les conférences de presse quotidiennes des partis offrent toujours l’occasion d’établir les priorités que ceux-ci défendent devant l’électorat. Comment les partis procèdent-ils pour peaufiner et sélectionner leurs annonces de campagne ? Ils font de la recherche et ciblent des électeurs types qu’ils tentent de mobiliser. C’est ainsi que le Bloc québécois a adopté un ton autonomiste plutôt qu’indépendantiste pour rejoindre les électeurs de la Coalition avenir Québec. Toutefois, les engagements qui sont pris ne sont en général pas complètement déconnectés de la philosophie première des partis.

Depuis le début de la campagne, la plupart des annonces qui ont défrayé la chronique semblent s’inscrire dans les champs de compétence des provinces. C’est le cas, par exemple, des annonces qui ont trait aux soins dentaires gratuits, à une assurance médicaments, à l’accès à un médecin de famille, aux services de garde ou à la plantation de deux milliards d’arbres. Des promesses d’investissements dans les secteurs de l’habitation et des transports ont également fait la une.

Il est donc utile d’analyser les engagements des partis en lien avec leur conception du fédéralisme canadien et du respect de l’autonomie des provinces. Leurs promesses s’inscrivent-elles dans les compétences constitutionnelles du gouvernement fédéral ? En tenant compte des enjeux abordés, assiste-t-on a une campagne vraiment fédérale ? Comment expliquer cette impression que les compétences qui relèvent des provinces prennent autant de place dans cette élection ?

Pour évaluer les engagements électoraux à la lumière du clivage centre-périphérie, j’ai analysé les communiqués de presse émis par les principaux partis pancanadiens dans la première moitié de la campagne. Mon échantillon se limite donc aux communiqués du Parti libéral (PLC), du Parti conservateur (PCC) et du Nouveau Parti démocratique (NPD) qui ont été diffusés sur leur site Internet, et ce, pour l’ensemble du mois de septembre 2019.

Contrairement à l’analyse détaillée des plateformes, ce choix méthodologique permet de comprendre les cibles communicationnelles quotidiennes des partis. Notre échantillon porte sur 48 communiqués de presse, soit 19 des conservateurs, 15 des néodémocrates et 14 des libéraux. Les communiqués qui reposent sur des attaques envers des adversaires ont été écartés de l’analyse. Notons que ceux-ci sont aussi nombreux que ceux qui proposent des engagements. Pour cet exercice, même si un communiqué peut inclure plusieurs promesses, seul le thème central de chacun a été sélectionné.

J’ai ensuite analysé ces thèmes en lien avec les articles de la Loi constitutionnelle de 1867 portant sur le partage des compétences entre les ordres de gouvernement, notamment les articles 91 pour les compétences fédérales, et 92 et 93 pour celles des provinces. Les articles 94a et 95 précisent enfin les responsabilités législatives partagées.

Le tableau ci-dessous illustre les résultats de l’examen des annonces quotidiennes des trois principaux partis pancanadiens.

À première vue, plus des deux tiers de ces annonces concernent des compétences fédérales. Cependant, en y regardant de plus près, on note des différences significatives entre les partis. Ainsi, le PLC a formulé 6 engagements qui relèvent des compétences provinciales, comparativement à 5 qui sont de compétence fédérale. Dans le cas du NPD, ce sont 9 engagements du côté provincial contre 6 du côté fédéral. Seul le PCC présente un ratio inverse, soit 3 de compétence provinciale contre 12 dans les champs de compétence fédéraux. D’ailleurs, en enlevant le PCC de l’équation, on obtiendrait un nombre plus élevé d’annonces dans des champs de compétence provinciaux que dans des champs fédéraux, soit 15 comparativement à 11.

Tant le PLC que le NPD ont donc pris une majorité d’engagements dans des domaines qui ne relèvent pas du gouvernement fédéral. On peut ainsi parler d’une communication politique des partis qui est davantage axée sur des thèmes que l’on trouve habituellement dans une campagne électorale provinciale. Certaines promesses ont même un caractère purement local, comme le coût des traversiers en Colombie-Britannique ou la construction d’un hôpital à Brampton, en Ontario.

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Le tableau ci-dessous nous donne un aperçu des annonces des partis selon les grands champs d’intervention. Il montre que l’économie ne semble pas être un enjeu si important ni pour le PLC ni pour le NPD. En revanche, la fiscalité et le pouvoir d’achat des électeurs paraissent intéresser les trois partis. Pour le PCC, ce champ représente même près d’une annonce sur deux.

Cet exercice nous permet aussi de mieux comprendre les différences observées entre les partis pour ce qui est du respect des compétences constitutionnelles. Avec respectivement huit et cinq promesses dans le domaine social, le NPD et le PLC sont plus susceptibles de proposer des engagements relevant de compétences provinciales. Dans le cas du NPD, les promesses à caractère social représentent même plus d’un engagement sur deux ; pour le PLC, elles constituent plus d’un engagement sur trois. À l’inverse, il ne s’agit que d’un engagement sur 19 du côté du PCC, qui porte d’ailleurs sur une aide accrue aux vétérans, un champ de compétence fédéral.

Les partis politiques utilisent plus que jamais les données massives pour rejoindre et mobiliser certaines catégories d’électeurs. Ils structurent leur campagne avec des annonces ciblées pour attirer des segments précis de l’électorat et les inciter à se rendre aux urnes. Certaines mesures sont même « chirurgicales » : elles ne visent que des clientèles très précises ou des régions spécifiques. Cette stratégie se manifeste essentiellement par deux types de promesses : fiscales et sociales.

Les mesures fiscales n’interfèrent généralement pas avec les compétences des provinces, ce qui explique que les conservateurs démontrent un plus grand respect des compétences constitutionnelles. Ce n’est cependant pas le cas des nouvelles mesures sociales mises en avant par le PLC et le NPD. Dans le cas des libéraux, ces promesses annoncent le retour à une approche plus centralisatrice du fédéralisme. Alors que pour le NPD, il faut sans doute faire le rapprochement avec son ouverture, renouvelée en début de campagne, à la reconnaissance d’un fédéralisme asymétrique. En permettant au Québec de se retirer de programmes sociaux pancanadiens, il peut prétendre respecter les pouvoirs de l’Assemblée nationale.

Le recours du gouvernement du Canada à un pouvoir fédéral de dépenser dans les champs de compétence des provinces n’est certes pas nouveau. La limitation de ce pouvoir est d’ailleurs une revendication traditionnelle du gouvernement du Québec. Véritable cheval de bataille du Conseil de la fédération jusqu’en 2007, l’enjeu du déséquilibre fiscal risque cependant de revenir dans l’actualité après le 21 octobre. En s’ingérant dans le champ social, certains partis démontrent que les besoins se situent au niveau provincial et que des ressources sont disponibles à Ottawa.

Ce tour d’horizon des annonces de campagne remet en lumière les enjeux de centralisation et de décentralisation du fédéralisme canadien. Car, qu’on le veuille ou non, ils sont au cœur de cette campagne électorale.

Cet article fait partie du dossier Élections 2019.

Photo : Le premier ministre sortant Justin Trudeau fait une annonce concernant les soins de santé à Hamilton, en Ontario, le 23 septembre 2019. La Presse canadienne / Ryan Remiorz.


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Eric Montigny
Eric Montigny est professeur au Département de science politique de l’Université Laval. Spécialiste des partis politiques et des institutions, il a publié en automne 2018 l’ouvrage Leadership et militantisme au Parti québécois. De Lévesque à Lisée (PUL).

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