La ministre du Développement économique et des Langues officielles, Mélanie Joly, a récemment dévoilé son plan de réforme de la Loi sur les langues officielles, intitulé Français et anglais : vers une égalité réelle des langues officielles au Canada. Le document compte une trentaine de pages et propose une cinquantaine de modifications à la fois législatives et administratives.

Ce plan n’est pas un projet de loi. Ce dernier, selon la lettre de mandat adressée à la ministre Joly en janvier 2021, doit normalement être déposé avant la fin de l’année. En ce qui concerne la mise en œuvre des nombreuses mesures administratives comprises dans le document, aucun échéancier n’a été annoncé pour l’instant.

À mon sens, le plan de réforme apporte deux contributions essentielles. En premier lieu, le gouvernement libéral dévoile enfin ses intentions.

Les libéraux tergiversaient sur ce dossier depuis des années. En juin 2018, le premier ministre Justin Trudeau déclarait à la Chambre des communes : « … nous nous apprêtons à faire une modernisation de la Loi sur les langues officielles et nous allons travailler avec tous les Canadiens pour s’assurer que ce sera la bonne. » En novembre 2019, dans la foulée de la réélection de son parti au pouvoir, il estimait qu’il était réalisable de moderniser cette loi dans les six premiers mois de son nouveau mandat. Dans le discours du Trône qu’il a présenté en septembre 2020, le gouvernement libéral s’engageait à « renforcer cette loi en tenant compte de la réalité particulière du français ». Donc, après avoir fait miroiter la modernisation de la loi pendant trois ans, les libéraux décrivent enfin comment ils entendent clarifier et réformer cette loi incontournable.

En deuxième lieu, le plan de réforme trace les contours d’une vision des langues officielles et du rôle que compte jouer le gouvernement en vue de sa réalisation. Cela est une avancée considérable, car ce gouvernement peinait à trouver sa voix en matière de langues officielles. Depuis 2015, les libéraux sont intervenus dans plusieurs dossiers touchant les langues officielles, mais il était difficile de voir la vision globale et cohérente qui guidait leurs interventions en la matière.

En examinant de près le plan de réforme de la ministre Joly, je vois trois idées fortes : la progression vers l’égalité réelle des langues officielles, la protection et la promotion du français, et la complétude institutionnelle. Dans un scénario idéal, le document aurait proposé un exposé détaillé et complet de ces trois idées. Mais comme ce n’est pas le cas, je me propose de les définir dans ce texte, avec le but de clarifier la vision qui, selon moi, sous-tend la réforme proposée.

Vers l’égalité réelle des langues officielles

L’égalité réelle des deux langues officielles signifie qu’un traitement équivalent exige parfois un traitement différencié. Cette idée impose de tenir compte des circonstances et des besoins particuliers dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques linguistiques.

Le principe d’égalité réelle est souvent opposé à celui d’égalité formelle. Pour garantir l’égalité formelle, on doit traiter de façon identique tous les membres de la société. À l’époque de l’émergence et du développement du libéralisme, l’idée de traiter tous les citoyens, peu importe leur statut social ou économique, de la même façon par la loi constituait une idée forte. Si cette idée demeure fondamentale aujourd’hui, il convient désormais de reconnaître que la pleine réalisation de l’égalité exige parfois un traitement différencié.

En matière de langues officielles, l’égalité réelle est un principe bien établi dans la jurisprudence canadienne. Dans l’affaire Beaulac (1999), la Cour suprême du Canada statuait que les droits linguistiques constitutionnels sont fondés sur l’idée de l’égalité réelle. Dix ans plus tard, dans l’affaire Desrochers (2009), la Cour précisait que l’égalité réelle exige en fait la participation des communautés visées à la conception et la mise en œuvre des services publics.

Au Canada, l’anglais et le français ne partent pas de la même ligne de départ. L’égalité réelle, c’est accepter que l’on compense les désavantages liés au français dans un continent où l’anglais est la langue dominante. Ce constat nous mène directement à la deuxième idée forte du document.

La protection et la promotion du français

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Cette deuxième idée est la reconnaissance du besoin de protéger et de promouvoir le français au pays. Le plan de réforme reconnaît que la langue française est minoritaire par rapport à l’anglais et, de ce fait, que le gouvernement fédéral doit adopter des mesures particulières pour renforcer son statut et son usage.

Pour les francophones du pays, cette idée n’a rien de très révolutionnaire, mais pour le gouvernement fédéral, elle rompt avec la tradition. Depuis 1969, la Loi sur les langues officielles traite les minorités francophones à l’extérieur du Québec et les Anglo-Québécois de façon symétrique. Or la menace qui pèse sur les intérêts et les droits des deux groupes est loin d’être similaire, mais le gouvernement place tout de même les deux sur un pied d’égalité.

En mettant de l’avant l’idée que la langue française doit être protégée et promue à l’échelle du pays, le plan confirme l’importance de traiter les minorités francophones et les Anglo-Québécois de façon différenciée en fonction des réalités propres à chaque groupe.

Cette équation a provoqué aussi des conflits d’intérêts entre francophones au Québec et de l’extérieur du Québec. Par exemple, le gouvernement du Québec s’est parfois opposé aux francophones du reste du Canada devant la Cour suprême, car il craignait que les Anglo-Québécois bénéficient des droits accordés aux minorités francophones.

En mettant de l’avant l’idée que la langue française doit être protégée et promue à l’échelle du pays, le document de la ministre Joly confirme l’importance de traiter les minorités francophones et les Anglo-Québécois de façon différenciée en fonction des réalités propres à chaque groupe.

La complétude institutionnelle

La troisième idée forte a trait à une question particulièrement chère à la francophonie canadienne : la complétude institutionnelle. Cette idée est moins bien définie que les deux autres, mais elle est présente et porte en elle le potentiel d’une nouvelle relation entre les minorités francophones et le gouvernement fédéral.

La notion de « complétude institutionnelle » a été popularisée par le sociologue fransaskois Raymond Breton. Elle postule que plus une communauté dispose d’institutions qui lui sont propres, plus elle a la capacité de se maintenir dans le temps. Au fil des années, elle a servi à cautionner le principe selon lequel la vitalité des minorités francophones est directement liée à son réseau d’institutions. La notion de complétude institutionnelle est devenue le fer de lance des principaux organismes de défense des intérêts et des droits des communautés francophones, en plus de faire son chemin devant les tribunaux canadiens.

Ainsi, le plan de réforme reconnaît que la vitalité des minorités francophones passe par des institutions fortes dans les domaines de l’éducation, y compris postsecondaire, de la petite enfance, de la santé, de l’immigration et de la culture. Toutefois, la ministre doit maintenant s’assurer que cette idée ne sera pas déformée dans sa mise en œuvre. La complétude institutionnelle, ce n’est pas le recours à des organismes communautaires pour assurer la prestation de services publics pour le compte du gouvernement. Au contraire, elle est une thèse autonomiste qui invite les gouvernements à donner aux communautés francophones les moyens de leurs ambitions.

En rendant compte de manière plus explicite de ces trois idées fortes, je souhaite que celles-ci soient clairement énoncées et définies dans le libellé de la loi. Si la ministre Joly vise à « offrir une vision modernisée de notre dualité linguistique et de notre bilinguisme au pays », comme elle l’annonce dans son document, il serait judicieux d’affirmer haut et fort ces trois idées qui devront orienter l’action des gouvernements en matière de langues officielles.

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