La pandémie de COVID-19 entamant sa deuxième année au Canada, nous avons maintenant l’occasion de réfléchir à ce que cette crise nous a révélé sur la résilience et l’avenir de notre tradition démocratique.  De nombreux observateurs de la politique canadienne ont exprimé leurs inquiétudes quant à l’impact des mesures sanitaires sur notre démocratie. Les plus sévères critiques ont notamment dénoncé l’allégement des moyens de contrôle du processus législatif, telle l’absence d’échanges en personne à la Chambre des communes, qui aurait momentanément écarté les garanties démocratiques les plus fondamentales de notre système parlementaire.

Parmi les événements riches en enseignement, l’épisode du programme étudiant impliquant l’organisme de bienfaisance UNIS (WE Charity) a mis en évidence la nature complexe de la reddition de comptes en politique. À première vue, le vote du Nouveau Parti démocratique contre la création d’un comité spécial anticorruption pour examiner les dépenses du gouvernement peut nous amener à douter de l’efficacité des règles en matière d’éthique publique, et même à remettre en question la raison d’être des agents du Parlement qui s’occupent de les faire respecter. Il est en effet difficile de rejeter complètement un tel raisonnement critique : alors que la liste des décisions gouvernementales discutables sur le plan de l’éthique et de la transparence s’allongeait, les partis d’opposition semblaient incapables de s’entendre pour concrétiser leur engagement à l’égard des principes centraux de l’intégrité en démocratie.

Par contre, il faut prendre en compte les facteurs atténuants. La nature du processus de vote avait été transformée en un vote de confiance par le gouvernement. Un appui à la motion aurait donc mené à des élections générales en plein milieu d’une crise de santé publique sans précédent. Dans de telles circonstances, devrions-nous conclure que le bureau du premier ministre et ses plus proches collaborateurs jouissent d’une impunité quasi totale en matière de conflit d’intérêts ?

De nombreuses preuves vont à l’encontre de cette vision cynique du pouvoir et de la démocratie. De prime abord, le commissaire à l’éthique Mario Dion a ouvert des enquêtes sur les liens entre UNIS, le premier ministre et le ministre des Finances en se fondant sur l’article 6(1) de la Loi sur les conflits d’intérêts, qui interdit au titulaire d’une charge publique de prendre une décision s’il sait qu’« il pourrait se trouver en situation de conflit d’intérêts ». L’ouverture de l’enquête a mené à d’autres actions importantes dans la lutte pour préserver l’intégrité publique. Par exemple, les libéraux ont annulé le programme de 900 millions de dollars avec l’organisme, et le ministre des Finances Bill Morneau a dû démissionner, même si le commissaire à l’éthique l’avait en partie blanchi. En outre, de grandes entreprises et des institutions bancaires ont pris leurs distances d’UNIS dans la foulée de la saga médiatique entourant les décisions du gouvernement. En bout de piste, l’affaire UNIS n’aura pas été sans conséquence pour les acteurs impliqués.

En somme, les agents du Parlement, trop souvent dépeints comme des chiens de garde qui aboient sans avoir la capacité de mordre, ont su assurer une veille législative indispensable, et cela, en période de crise prolongée. Enfin, que les lobbyistes d’UNIS aient enregistré leurs activités dans le registre fédéral seulement à l’été 2020, alors que l’affaire du programme de bourses aux étudiants faisait les manchettes, peut apparaître comme une coïncidence suspecte. Mais cet épisode était aussi un rappel à l’ordre : la divulgation des activités de lobbying est obligatoire et la mauvaise compréhension des lois sur l’éthique et la transparence n’est pas une excuse valable pour dispenser de leurs devoirs politiques les lobbyistes et leurs organisations clientes.

À de nombreux égards, ces événements montrent que les agents du Parlement ― dans ce cas-ci, le commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique et le Commissariat au lobbying ― agissent désormais comme des partenaires clés des citoyens. Ils occupent des rôles de gardiens de la démocratie canadienne, non seulement en menant des enquêtes et en blâmant (ou en absolvant) les gouvernements, mais aussi en veillant à ce que les citoyens et les acteurs de la société civile disposent d’informations fiables et plus complètes sur les processus décisionnels. D’ailleurs, la commissaire au lobbying du Canada, Nancy Bélanger, s’adressait aux médias en juin 2020 pour souligner l’importante hausse des activités de lobbying visant des politiques liées à la pandémie dans les divers ministères du gouvernement canadien.

Quand on fait le décompte de ces actions, petites et grandes, qui ont influé sur le cours de la politique nationale, on se rend compte qu’il est pratiquement impossible d’écrire l’histoire récente de la démocratie canadienne sans présenter les agents du Parlement comme des protagonistes.

Le pouvoir accru de la branche exécutive en raison de la pandémie de COVID-19 n’a pas empêché les agents du Parlement d’assumer leur rôle de gardiens non partisans de l’intérêt public.

Au début des années 2000, par exemple, les enquêtes de la vérificatrice générale Sheila Fraser sur le programme des commandites ont mené à la Commission Gomery, et ultimement à l’alternance du pouvoir. Comme on le sait, en 2005, après plus de 12 ans de règne libéral, la population canadienne a élu un gouvernement conservateur. Ces événements ont aussi entraîné l’adoption d’une loi phare dans l’histoire de la démocratie canadienne : la Loi fédérale sur la responsabilité.

Le travail législatif accompli au fil des ans en matière d’éthique publique et de transparence au chapitre des décisions gouvernementales a porté fruit. Le pouvoir accru de la branche exécutive en raison de la pandémie de COVID-19 n’a pas empêché les agents du Parlement d’assumer leur rôle de gardiens non partisans de l’intérêt public. Au contraire : leurs gestes politiques ont rappelé à tous les acteurs concernés qu’au Canada, le respect des règles d’éthique et de transparence n’est pas négociable. Par conséquent, dans les années à venir, les engagements les plus crédibles des partis politiques en matière d’éthique seront ceux qui mèneront au renforcement des capacités et de l’indépendance des agents du Parlement, qui sont devenus des figures centrales de notre tradition démocratique.

Photo : Affichage d’une réunion du Comité permanent de l’accès à l’information, de la protection des renseignements personnels et de l’éthique, le 15 octobre 2020. La Presse canadienne / AdrianWyld.

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Maxime Boucher
Maxime Boucher est chercheur affilié au Centre d’études en gouvernance de l’Université d’Ottawa. Il est fondateur et membre du projet de recherche Lobbying et gouvernance démocratique au Canada.

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