Le Canada jouissait historiquement d’un statut privilégié sur le continent africain et figurait comme « généreux bienfaiteur ». Depuis 2017, ses actions en Afrique sont guidées par une politique d’aide à caractère féministe, une approche certes louable, mais sans doute perfectible. Le Canada peut faire plus et mieux. Le développement des infrastructures par l’intermédiaire de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) est la voie tout indiquée pour renforcer l’aide canadienne.
Le déficit infrastructurel est l’un des plus importants défis à relever pour les pays africains dans les décennies à venir. La qualité des infrastructures constitue un facteur dominant de la croissance économique, et l’insuffisance actuelle nuit non seulement à la productivité des entreprises, mais affecte négativement les conditions de vie de toute la population.
Les pays africains appellent de leurs vœux une nouvelle perspective de développement, orientée vers une transformation économique et commerciale, grâce notamment à une zone de libre-échange continentale et à des investissements massifs en infrastructures. Le marché commun à venir bénéficierait grandement d’une meilleure connectivité intra- et intercontinentale, et l’amélioration des infrastructures en constitueraient un facteur important de son succès.
C’est sur ce plan que le Canada pourrait jouer un rôle déterminant en agissant comme leader dans la création d’un fonds d’investissement de la Francophonie pour les infrastructures en Afrique. Un tel fonds lui permettrait non seulement d’accroître son engagement au sein de la Francophonie, mais aussi et surtout nouer un partenariat important et à long terme avec des pays émergents, comme nous le montrons dans un document récemment publié.
Le développement en Afrique
De nombreux économistes se montrent optimistes pour l’avenir du continent africain. L’Afrique pourrait devenir un centre économique d’envergure, propulsé par son grand potentiel aux plans de la démographie, de la croissance économique et des ressources naturelles. Bénéficiant d’une économie exportatrice de matières premières, la plupart des pays africains ont réalisé des progrès considérables au cours des deux dernières décennies et affichent des taux de croissance parmi les plus élevés au monde. Sa population s’accroît rapidement et devrait doubler d’ici 2050 pour atteindre 2,5 milliards d’habitants. Les besoins du continent sont immenses.
Toutefois, cette croissance ne s’est pas traduite assez rapidement par des réductions de la pauvreté : en 2015, 50 % des personnes souffrant d’extrême pauvreté dans le monde se trouvaient en Afrique subsaharienne, un pourcentage deux fois plus élevé qu’en 1990. Selon la Banque mondiale, ce taux pourrait grimper à 90 % en 2030. L’Afrique affiche une faible productivité arrivant à peine à la moitié de celle des autres régions en développement. Dans le secteur de l’agriculture, où se trouvent plus de 60 % des emplois et qui produit 35 % du PIB du continent, la productivité est restée pratiquement inchangée depuis 1980. Avec 12 % de la population mondiale et 18 % des surfaces terrestres, l’économie africaine ne représente que 1,5 % du PIB mondial. Quant à la situation des femmes en Afrique subsaharienne, environ 80 % d’entre elles travaillent à leur compte ou occupent des emplois précaires au sein d’entreprises familiales. Parmi les obstacles qui les empêchent de participer pleinement à la vie économique et sociale figure le manque d’infrastructures.
Sans surprise, des études confirment l’étroite corrélation entre la qualité des infrastructures, la productivité et les gains de bien-être. Le déficit des infrastructures dans les pays africains est bien connu et documenté par des institutions comme la Banque mondiale et l’Agence française de développement. L’aide au développement des infrastructures n’est pas non plus nouvelle en Afrique, et des efforts considérables ont été faits par différentes parties prenantes au cours des dernières décennies pour corriger la situation.
Pourtant, les infrastructures africaines continuent de se situer au bas du classement mondial, et elles sont en effet loin de répondre aux besoins. Le coût du transport des marchandises en Afrique est le plus élevé au monde, et les deux tiers de la population de l’Afrique subsaharienne, soit 635 millions de personnes, n’ont pas accès à l’électricité. Dans les régions rurales, le taux d’électrification demeure inférieur à 10 %. La persistance d’un déficit de développement traduit l’échec des politiques menées à ce jour et appelle de nouvelles stratégies.
D’où l’urgence pour le Canada de s’intéresser davantage et de près à ce facteur de développement économique et social primordial que sont les infrastructures de transports, de télécommunications, d’énergie et d’eau, tous des domaines où le Canada possède une expertise liée à sa géographie.
Pour une stratégie ambitieuse de la Francophonie
Au sein de l’OIF, on ne retrouve pas une préoccupation concertée du développement des infrastructures. La Déclaration d’Erevan adoptée en octobre 2018 n’en fait aucune mention, et la programmation 2019-2022 de l’OIF reste bien timide sur les infrastructures, l’OIF se limitant au plaidoyer et se cantonnant dans le rôle de facilitateur.
L’impact réel voire la survie de l’OIF, dont le Canada est un ardent et solide supporteur, dépendra de sa capacité à dépasser son statut actuel d’organisme minimalement diplomatique et culturel et, somme toute, plutôt artisanal.
L’impact réel voire la survie de l’OIF, dont le Canada est un ardent et solide supporteur, dépendra de sa capacité à dépasser son statut actuel d’organisme minimalement diplomatique et culturel.
En créant un fonds de la Francophonie pour les infrastructures en Afrique, l’OIF pourrait être le fer de lance d’un nouvel esprit de Bandung pour la Francophonie. En 1955 naissait à Bandung, en Indonésie, un partenariat de développement afro-asiatique, qui a eu des effets considérables. Aujourd’hui, la Chine est devenue le principal partenaire commercial de l’Afrique, un de ses plus importants fournisseurs de compétences de pointe et le premier investisseur étranger, en particulier en matière d’infrastructures. Elle a profité du tarissement des sources traditionnelles de financement en Afrique. Pourquoi la Francophonie s’est-elle désengagée économiquement de l’Afrique ?
Le Fonds devrait s’élever à plusieurs milliards de dollars et être financé à partir de diverses sources, telles que les États et gouvernements des pays développés et des pays émergents de la Francophonie, les États et gouvernements des pays de l’Afrique francophone, et des institutions privées de financement à long terme (banques d’investissement, investisseurs institutionnels, fonds de retraite, et autres).
La mise sur pied du Fonds se ferait de concert avec la création d’un réseau intégré d’au moins quatre chaires de recherche associées, dont deux seraient basées dans les universités du Nord et deux dans le Sud. Elles seraient financées par des consortiums publics-privés et rattachées à des centres de recherche universitaires. Les recherches de ces chaires seraient axées sur la finance et l’économie des infrastructures : la gestion des risques ; l’évaluation économique, financière et environnementale des investissements ; les énergies vertes (hydroélectriques, solaires, éoliennes) ; la finance durable et l’investissement responsable ; le numérique et les technologies de l’information ; les infrastructures d’échange et de commerce (ports, chemins de fer, routes).
Le gouvernement canadien doit agir en tant que leader dans la création du Fonds. Il doit faire sienne cette idée et rapidement rechercher l’appui de gouvernements partenaires, en premier lieu ceux du Québec, de la France et d’au moins deux ou trois pays africains, pour en présenter une proposition formelle au prochain sommet des chefs d’État et de gouvernement de la Francophonie à Tunis, en automne 2020. Parallèlement à cette recherche de partenariats, le Canada doit s’associer avec des investisseurs publics et privés au pays, notamment la Caisse de dépôt et placement du Québec, Investissements PSP, Ontario Teachers’ et le Bureau de coopération interuniversitaire.
Ce Fonds offrirait un potentiel considérable pour améliorer la productivité en Afrique. Il permettrait de créer des emplois de qualité au bénéfice non seulement des femmes et des filles africaines ― un objectif avoué de la politique extérieure du Canada ―, mais aussi pour l’ensemble de la population africaine et toute la Francophonie. Surtout, il établirait des partenariats plus solides entre le continent africain et les pays francophones développés.
Un tel projet, une fois suffisamment bien défini et articulé, devrait susciter l’adhésion des États et gouvernements de l’OIF, des investisseurs institutionnels privés et des instances d’enseignement et de recherche postsecondaires. La réalisation d’un document de référence à l’intention des éventuels bailleurs de fonds publics et privés, qui ferait état de ce que pourrait être à terme le Fonds ― ses objectifs, son financement, sa gouvernance ― devrait être une priorité du gouvernement du Canada.
Les délais sont courts d’ici le prochain sommet de l’OIF et le travail à accomplir est important. Mais le Canada a une occasion unique de passer d’une politique d’aide à une politique d’investissement et d’engager l’OIF sur la voie du développement économique.
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