Nous sommes à un carrefour important : peut-on saisir l’occasion d’une relance économique pour accélérer la transition écologique ? Pour compenser les pertes économiques colossales dues à la crise de COVID-19, nos gouvernements s’apprêtent à injecter des centaines de milliards de dollars dans le système économique. Plusieurs observateurs souhaitent que ce soutien public serve à l’adoption de modèles économiques plus respectueux de l’environnement et de leviers stratégiques pour la transition écologique.

Le Québec n’est pas en reste et doit lui aussi relancer son économie. La mise à jour économique et financière du gouvernement du Québec publiée le 19 juin 2020 a confirmé l’impact significatif de la récession sur l’activité économique, l’emploi et les finances publiques. Dans cette optique, le choix des sources de financement devient crucial. En particulier, il y a lieu de réfléchir sur le rôle que pourrait jouer le Fonds des générations (ci-après « le Fonds ») dans le contexte des défis simultanés que nous posent la crise économique associée à la pandémie d’une part, et la crise écologique d’autre part.

L’objectif du Fonds des générations

Adoptée en 2006, la Loi sur la réduction de la dette et instituant le Fonds des générations avait pour objectif de faciliter la réduction du fardeau de la dette du Québec. La création du Fonds s’inscrivait alors dans une réflexion assez large sur l’impact qu’aura le déclin de la croissance démographique sur les finances publiques, alors que la dette publique représentait près de 43 % du PIB (ce ratio pour 2006-2007 a depuis été révisé à la hausse à 49,6 %). En réduisant le fardeau financier des jeunes générations, le Fonds devait ainsi favoriser l’équité intergénérationnelle.

Aujourd’hui, le Fonds est principalement alimenté par des redevances sur la production d’électricité d’Hydro-Québec, des revenus miniers et d’autres taxes, ainsi que ses propres rendements financiers. Dans son discours sur le budget 2006-2007, le ministre des Finances d’alors, Michel Audet, affirmait que l’objectif était de « capitaliser sur une utilisation responsable de l’eau » au lieu d’augmenter les taxes et les impôts pour constituer le Fonds. Le gouvernement souhaitait ainsi mettre à profit cette « richesse naturelle renouvelable importante pour le Québec ».

Bien que les débats parlementaires ayant entouré la création du Fonds n’aient pas porté sur notre dette écologique envers les jeunes et les générations futures, il va sans dire que ce concept est intimement lié à ceux de l’équité intergénérationnelle et du droit des générations futures à un environnement sain.

Une modification législative pourrait permettre qu’une partie du Fonds des générations soit réaffectée à la relance verte à court terme. Sur un horizon plus long, le Fonds pourrait être consacré en majeure partie à la transition écologique.

Le second article de la loi ayant créé le Fonds prévoit que « ce fonds est affecté exclusivement au remboursement de la dette brute » du Québec. Or, comme nous le verrons ci-dessous, une modification législative pourrait permettre qu’une partie du Fonds soit réaffectée à la relance verte à court terme. Sur un horizon plus long, le Fonds pourrait être consacré en majeure partie à la transition écologique. Cette réaffectation serait d’ailleurs tout à fait cohérente avec les objectifs initiaux de la Loi et tiendrait compte de l’évolution des préoccupations et des intérêts des jeunes et des générations futures.

La situation financière du Québec

Dans une perspective historique, la situation financière du gouvernement du Québec à l’heure actuelle demeure sous contrôle, et ce, malgré l’impact de la crise pandémique. Depuis le milieu des années 1990, les soldes budgétaires annuels aux comptes publics sont demeurés à l’intérieur d’une fourchette de plus ou moins 1 % de la valeur du PIB, dispersés autour de l’équilibre budgétaire. Depuis 2016-2017 toutefois, le Québec a enregistré des surplus supérieurs à 1 % du PIB, atteignant même 1,9 % du PIB en 2018-2019. La crise pandémique a passablement modifié cette situation favorable : au lieu d’un surplus de 0,6 % du PIB attendu pour l’année financière 2020-2021, le solde budgétaire se transformera plutôt en déficit de 3,4 % du PIB. Cette détérioration est attribuable à une chute considérable des recettes du gouvernement due au ralentissement économique ainsi qu’à une importante augmentation des dépenses. Ces développements sont en grande partie ponctuels et attribuables aux effets de la crise.

La bonne performance budgétaire dans les deux dernières décennies a évidemment eu des effets positifs sur l’endettement public. La dette brute en proportion du PIB a diminué à partir du milieu des années 1990 jusqu’à la crise financière de 2008 (de 57,6 % du PIB en 1997-1998 à 48,4 % en 2008-2009), pour ensuite remonter jusqu’en 2014-2015 à 54,1 % du PIB. Le ratio s’est ensuite inscrit sur une trajectoire résolument descendante, et avant la crise pandémique, on s’attendait à ce qu’il soit autour de 42 % en 2020-2021. Les données publiées dans le Portrait de la situation économique et financière du 19 juin 2020 montrent plutôt que le ratio de la dette brute au PIB sera de 50,4 % pour 2020-2021. Il demeurera toutefois en deçà des niveaux atteints à la suite de la récession de 2008-2009 et de celui qui prévalait encore en 2017.

Cette situation se transpose également à la dette représentant les déficits cumulés. Cette dernière, en baisse constante depuis 2012-2013 (34,5 % du PIB), devait atteindre un ratio de 19,5 % à la fin de l’année financière 2020-2021 avant la crise pandémique. Ce ratio est maintenant révisé à la hausse à 24,4 %.

La Loi sur la réduction de la dette et instituant le Fonds des générations exigeait de réduire le niveau de la dette brute et de la dette représentant les déficits cumulés à 45 % et 17 % du PIB au 31 mars 2026, respectivement. Selon le dernier plan budgétaire, qui tenait peu compte des effets de la pandémie, les deux cibles devaient être atteintes en mars 2026. La pandémie a bien sûr bouleversé cet échéancier, et il est maintenant fort probable que ces cibles seront atteintes plus tard. La crise pourrait à elle seule raisonnablement justifier un amendement de la Loi de telle sorte que ces cibles soient différées de quelques années. Les cibles préétablies en 2006 ont déjà été modifiées en 2010 et pourraient être révisées de nouveau, ou leur échéancier pourrait être modifié.

Quoi qu’il en soit, on peut en conclure que la situation de l’endettement public demeure bien maîtrisée et à des niveaux qui ne sont pas alarmants, malgré les investissements publics que provoque la crise pandémique.

Par ailleurs, en raison des surplus budgétaires accumulés du gouvernement du Québec ainsi que de la performance du Fonds, celui-ci est aujourd’hui dans une excellente situation financière. Il bénéficie de versements annuels de plus de 3 milliards de dollars, provenant à la fois des revenus prévus dans la Loi de même que des rendements des placements. La valeur actuelle du Fonds s’élève à 8,9 milliards de dollars. Selon une étude récente, pour l’exercice débutant dans cinq ans à peine, soit en 2025-2026, les sommes accumulées au Fonds atteindraient 30,3 milliards de dollars, et sa valeur comptable serait de plus de 100 milliards à la fin de l’exercice 2035-2036. Ces projections ne tiennent toutefois pas compte de l’impact de la crise de COVID-19.

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Un plan de relance vert et juste

Au sortir de la pandémie, au moment où le gouvernement du Québec gère à la fois le déconfinement progressif et la réouverture de l’économie, l’élaboration d’un plan de relance devient de plus en plus nécessaire afin d’accélérer la reprise.

En parallèle, la crise écologique évolue et s’amplifie sous nos yeux. Le rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) est sans équivoque : nous devons modifier radicalement nos façons de faire, et si nous agissions résolument dès maintenant, il serait possible de contenir le réchauffement de la planète à un niveau sécuritaire. Cela exige que les émissions de CO2 soient réduites d’au moins 45 % d’ici 2030 et que nous atteignions la carboneutralité, zéro émission nette, avant 2050.

Afin de respecter le principe de l’équité intergénérationnelle, un plan de relance devrait nécessairement tenir compte des défis liés à la transition écologique et aux inégalités engendrées par les crises écologiques. Nous devons saisir cette occasion unique d’une relance économique verte et juste.

Afin de respecter le principe de l’équité intergénérationnelle, un plan de relance devrait nécessairement tenir compte des défis liés à la transition écologique et aux inégalités engendrées par les crises écologiques. Nous devons saisir cette occasion unique d’une relance économique verte et juste. La situation actuelle nous permet de mobiliser d’importants capitaux publics et privés en faveur de la lutte contre les changements climatiques et d’un développement économique durable, qui mise sur des secteurs porteurs, des projets structurants sobres en carbone et résilients, des entreprises innovantes et des technologies propres. D’ailleurs, selon un récent sondage Léger, 64 % des jeunes pensent que le gouvernement devrait profiter de la relance de l’économie du Québec après la pandémie pour en faire plus pour la lutte aux changements climatiques et la protection de l’environnement.

L’affectation du Fonds à la relance

Bien que la loi ayant créé le Fonds prévoie que celui-ci soit affecté exclusivement au remboursement de la dette brute, le gouvernement pourrait déposer un projet de loi visant à modifier l’affectation principale du Fonds en faveur d’une utilisation qui correspondrait mieux aux besoins des jeunes et des générations futures. Cette solution apparaît encore plus intéressante à la lumière des sommes accumulées et des rendements du Fonds, qui en feraient une source de financement massive.

Évidemment, en choisissant de consacrer l’argent du Fonds à une relance verte et juste, ces sommes ne seraient plus disponibles pour rembourser une partie de la dette publique, si nécessaire. À première vue, cette approche semble donc aller à l’encontre de l’objectif même du Fonds. Pour en juger convenablement, il faut toutefois prendre en considération deux aspects essentiels dans l’évaluation de la dette que nous laisserons aux jeunes et aux générations qui nous suivent.

D’abord, dans l’évaluation de la dette publique, il est fondamental de distinguer un emprunt permettant un investissement durable et rentable ― comme la construction d’infrastructures vertes qui assureraient un certain rendement de l’investissement ― et un emprunt pour des dépenses courantes qui ne rapportera aucun rendement ― par exemple le paiement d’un salaire à une agence de placement d’infirmières. Comme pour les ménages, certaines formes d’endettement public sont donc meilleures que d’autres. Utiliser une partie du Fonds pour financer une relance verte et juste pourrait donc constituer un investissement profitable aux générations futures.

Puis, nous le savons, la réponse qui sera nécessaire pour faire face aux changements climatiques demandera des investissements publics majeurs et générera un fardeau financier considérable. Évaluer la dette qui sera léguée aux générations futures sans tenir compte de l’impact financier prévisible des changements climatiques ne serait-ce pas faire l’autruche ? Comment justifier notre aveuglement volontaire vis-à-vis de ceux qui nous suivront ?

Même en tenant compte des investissements nécessaires pour la relance économique après la pandémie, la situation financière du gouvernement du Québec restera saine, et le niveau d’endettement public demeurera soutenable.

Notre proposition d’affecter des sommes accumulées au Fonds des générations à une relance économique verte et juste aurait évidemment pour résultat de ralentir le processus de réduction de la dette publique par rapport au PIB et entraînerait un ratio de l’endettement public plus élevé que prévu par les cibles. Mais ce niveau demeurerait parfaitement acceptable.

En définitive, cette stratégie contribuerait à corriger l’iniquité intergénérationnelle que notre dette écologique impose aux jeunes et aux générations futures. Nous assurerions ainsi une cohérence avec les objectifs premiers du Fonds en les inscrivant dans une perspective résolument ancrée dans les défis du 21e siècle.

Photo : Shutterstock / themajestic

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Sarah-Maude Belleville-Chenard
Sarah-Maude Belleville-Chenard est avocate et doctorante en droit à l’Université McGill.
François Delorme
François Delorme enseigne l’économie à l’Université de Sherbrooke. Ancien haut fonctionnaire au ministère des Finances à Ottawa et ancien économiste principal à l’OCDE à Paris, il collabore au Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) ainsi qu’au Laboratoire sur les inégalités mondiales.

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