Dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, l’égalité du droit à l’éducation pour tous les citoyens est présentée comme un devoir moral pour tous les États. Dix ans après la publication de cette déclaration, le Québec inscrivait la démocratisation de l’éducation dans son agenda de la Révolution tranquille comme une priorité.

L’élaboration du projet ad hoc sera confiée à la Commission Parent. Son rapport présenté au gouvernement propose une réforme qui oblige l’État à fournir des services scolaires harmonisés sur tout le territoire et interdit toute forme d’exclusion d’accès à tous les niveaux d’enseignement. Dorénavant, l’enseignement primaire et secondaire est non seulement accessible partout et à tous les jeunes en âge scolaire, mais il est également gratuit et obligatoire. L’offre d’enseignement postsecondaire est considérablement accrue et régionalisé pour être accessible partout dans la province. Quel bilan peut-on établir 60 ans plus tard ?

Certaines données sont encourageantes. Selon les indicateurs récents du ministère de l’Éducation, le taux de diplomation et de qualification de la cohorte d’élèves entrés au secondaire en 2013 était de 72,7 % cinq ans après et de 81,8% sept après, soit en 2020. Parallèlement, le Québec a effectué un important rattrapage et massifié son enseignement supérieur : par exemple, selon les mêmes indicateurs, entre 1975 et 2011, le taux d’obtention d’un diplôme d’études collégiales par cohorte est passé de 21,0 % à 40,2 % et celui d’obtention d’un baccalauréat de 14,9 % à 33,2 %.

Ces statistiques font état d’un bilan quantitativement positif et d’une réelle démocratisation qui mérite cependant d’être nuancée. Le système éducatif est-il pour autant devenu juste et équitable ? Cet accès massif à l’éducation n’occulte-t-il pas des inégalités sociales importantes ?

Des écarts persistants

L’un des effets immédiats de l’expansion de l’école privée, surtout en milieux urbains, est l’écrémage de l’école publique qui, pour retenir ne serait-ce qu’une partie des élèves les plus doués, les sélectionne et les classe dans les programmes différenciés (ordinaires ou enrichis). Depuis trente ans, les analystes dénoncent ainsi l’instauration d’un système scolaire à trois vitesses, au sein duquel se forgent une segmentation et une hiérarchie sociale balisées par les pouvoirs publics.

Ainsi, le système éducatif mis en place à la suite du rapport Parent serait en train de perdre sa vocation de démocratisation, car il promeut la séparation au lieu du vivre-ensemble, pour reprendre l’expression du Conseil supérieur de l’éducation, l’élitisme au lieu de la cohésion sociale, la ségrégation au lieu de l’inclusion, l’évitement social au lieu de la solidarité et de la tolérance, la hiérarchie sociale au lieu de l’équité et de la justice.

Les pour et les contre du privé

Les avis autour de cette question sont à nouveau fortement divergents comme dans les années 1960 durant les travaux de la Commission Parent. Pour certains, l’école privée promeut l’excellence et représente un modèle que le secteur public doit suivre si l’on veut maintenir un système éducatif performant et compétitif. Elle représente aussi un avantage financier, car les frais de scolarité payés par les parents permettent au gouvernement de faire des économies.

Pour d’autres, l’école privée est la source de bien des maux, car c’est sa compétition avec le public qui alimente un système éducatif à plusieurs vitesses et élitiste. La solution serait alors de mettre fin au financement public, mais cette option est discutable.

Premièrement, rien ne garantit que ces économies réalisées seraient réinvesties dans le secteur public. Deuxièmement, comme les frais de scolarité des écoles privées augmenteraient forcément, cela ne ferait que légitimer et accentuer leur caractère ségrégatif, étant donné qu’elles ne seraient plus fréquentées que par les élèves de familles à revenu très élevé. Elles seraient beaucoup plus homogènes et plus élitistes qu’elles ne le sont actuellement, en raison de la double condition d’admission : la capacité de l’élève à réussir les tests de sélection et des parents à supporter les coûts.

Cela accentuerait aussi les inégalités d’accès à l’enseignement supérieur, surtout aux programmes universitaires contingentés et prestigieux tels que la médecine, la médecine dentaire, la pharmacologie et le droit, tous des programmes exigeant une cote de rendement collégial (CRC) élevée à l’admission. La fréquentation d’un établissement sélectif et homogène est garante de l’admission dans un cégep également sélectif et réputé. Or, la CRC est construite entre autres à partir de l’indice performance du groupe (classe) auquel appartient l’élève tant au secondaire qu’au collégial. Plus l’élève fait partie d’une classe forte et homogène, plus il a la chance d’avoir une CRC élevée.

Dans les faits, la source du mal n’est pas l’existence de l’école privée en soi, ni son financement partiel par l’État, mais plutôt ses pratiques de sélection qui contaminent de plus en plus l’école publique. La solution envisageable pour instaurer un système juste et équitable n’est pas de supprimer l’école privée, car l’école publique est aussi génératrice d’inégalités sociales lorsqu’elle opère une sélection précoce des élèves.

Harmoniser le réseau

Il faudrait plutôt mettre fin aux pratiques de sélection précoce des élèves et harmoniser le fonctionnement des établissements publics et privés, surtout en ce qui concerne l’admission des élèves, leur encadrement et l’offre de formation. Cela permettrait de mettre fin à la compétition entre les établissements et de créer les conditions pour que les élèves apprennent ensemble et se stimulent mutuellement. La différenciation des apprentissages et l’offre de programmes particuliers devraient commencer après le tronc commun (1er cycle) et, dans le meilleur des cas, être repoussées vers la fin du secondaire (4e et 5e années). Il existe bel et bien des systèmes scolaires justes et équitables dans le monde où les écoles privées et publiques cohabitent et sont toutes financées à 100 % par l’État, la seule différence étant la gestion interne (en particulier la Finlande, mais également les autres pays scandinaves de manière plus générale).

Au Québec, il faudrait tout simplement que les conditions d’admission dans une école privée ou publique soient les mêmes. En d’autres mots, comme cela avait été soutenu dans le rapport Parent, chaque établissement, public ou privé, devrait être dans l’obligation de scolariser tous les élèves résidant sur son territoire et aucune condition de renvoi ne devrait être admise. Il reviendrait alors aux centres de service scolaire de déterminer, selon la carte scolaire, les distances raisonnables entre l’école et le lieu de résidence familial afin de présenter aux parents la ou les écoles où ils peuvent choisir d’inscrire leurs enfants. Cela permettrait de préserver l’équilibre entre le principe de liberté des parents à choisir l’école pour leurs enfants et la cohésion sociale au sein d’un quartier.

Évidemment, des mesures supplémentaires s’avéreraient indispensables pour soutenir des établissements situés en milieux défavorisés et doter ces écoles des ressources permettant de combler les lacunes ou les difficultés d’apprentissage ou d’adaptation de certains élèves.

Une fois qu’il est prouvé que tous les établissements offrent une formation de qualité comparable, le droit de choisir l’établissement en dehors de leur quartier ne servirait plus de prétexte aux parents pour « magasiner » une école à des fins d’évitement social. Un système éducatif efficace et équitable en est un qui rehausse la qualité de formation pour tous les élèves et tire tout le monde vers le haut !

Le Plan pour un réseau scolaire commun publié en mai dernier par École ensemble va précisément dans ce sens. En proposant de mettre fin à la concurrence entre établissements, ce plan met les écoles publiques et les écoles privées conventionnées (financées publiquement à 100 %) à l’abri du marché scolaire et permet de considérer à nouveau l’éducation comme un bien commun. Et en complétant le dispositif par la création du statut d’écoles privées non conventionnées (sans financement public), il ouvre un potentiel terrain d’entente qui faisait défaut dans le débat politique. Soixante ans plus tard, le projet de la Commission Parent est mûr pour son parachèvement.

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Pierre Canisius Kamanzi
Pierre Canisius Kamanzi est professeur à la faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal et chercheur régulier au Centre interuniversitaire sur la science et la technologie (CIRST).

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