Alors que la crise de COVID-19 démontre l’importance de maintenir des services publics de qualité, certains rêvent à des changements structurels de politiques publiques qui puissent freiner la hausse des inégalités. Les crises économiques importantes ont souvent entraîné une augmentation marquée de la protection sociale : on associe la mise en place des premiers socles de l’État-providence à une réaction politique à la Grande Dépression des années 1930.

À l’opposé, d’autres avancent que l’augmentation stratosphérique des déficits budgétaires risque de forcer les gouvernements à imposer l’austérité budgétaire, limitant la mise en place de politiques sociales novatrices. Après une courte période de stimuli budgétaires, la crise de 2008 entraîna des mesures d’austérité visant à résorber les déficits en réduisant les dépenses publiques. Peu d’innovations de politiques sociales furent alors mises en place, et les inégalités ont continué de s’accroître. L’heure des choix approche : comment financer les dépenses liées à la crise actuelle ?

L’équipe du Centre pour l’étude de la citoyenneté démocratique (CÉCD) de l’Université McGill, chapeautée par Dietlind Stolle, a sondé 1 345 Canadiens sur leur perception de la crise actuelle et des politiques publiques à implanter. Une des questions portait sur les moyens que devrait utiliser le gouvernement pour payer les dépenses liées à la COVID-19. Elle offrait trois choix : augmenter la dette publique, diminuer les autres dépenses publiques ou augmenter les impôts. Les répondants ne pouvaient choisir qu’une des trois options.

Une expérience a été menée pour ce qui est de l’augmentation des impôts en proposant à un tiers des répondants, choisis au hasard, de hausser les impôts de tous ou alors seulement des citoyens à revenus élevés. La figure ci-dessous présente les résultats en divisant l’échantillon en deux : en bleu, ceux qui pouvaient choisir d’augmenter les impôts des plus riches, et, en orange, ceux qui n’avaient que l’option de l’augmentation des impôts en général.

Quand on offre l’option d’augmenter les impôts des plus riches, l’appui à la diminution des dépenses publiques chute de 59 à 44,6 % et celui à l’augmentation de la dette publique glisse de 28,4 à 17 %.

Le sondage montre qu’un grand nombre de répondants préfèrent une diminution des dépenses publiques à une augmentation de la dette ou des impôts. La hausse des impôts en général ne recueille l’appui que de 12,6 % des personnes sondées, alors que l’augmentation de l’impôt des plus riches est soutenue par 38,4 % des répondants. Et quand on offre l’option d’augmenter les impôts des plus riches, l’appui à la diminution des dépenses publiques chute de 59 à 44,6 % et celui à l’augmentation de la dette publique glisse de 28,4 à 17 %.

Il est probable que moins de répondants auraient opté pour une diminution des dépenses si la question avait mentionné des coupes dans certains programmes populaires qui touchent directement les citoyens, comme la santé ou l’éducation. Les répondants avaient peut-être l’impression que le gouvernement est en mesure de faire le ménage dans ses dépenses sans effectuer des compressions dans leurs programmes préférés. Or cette impression est généralement fausse : une réduction des dépenses publiques entraîne nécessairement une forme d’austérité budgétaire, alors que les gouvernements n’ont pas la marge de manœuvre nécessaire pour réduire leurs dépenses sans que les citoyens en souffrent.

Cela dit, il est démontré qu’une consolidation budgétaire qui repose sur une diminution des dépenses publiques contribue à augmenter les inégalités, tandis qu’une hausse de taxes et d’impôts peut les diminuer. La raison en est simple : presque partout, les dépenses publiques et les impôts sont progressifs ; les riches paient beaucoup plus d’impôts que les plus pauvres, alors que ces derniers bénéficient davantage des dépenses publiques. Une hausse des impôts a donc un effet négatif plus important pour les mieux nantis, tandis qu’une diminution des dépenses touche davantage les citoyens plus pauvres.

Sur le plan de la lutte aux inégalités, même une hausse des taxes à la consommation, que paient autant les riches que les pauvres, est préférable à une diminution des dépenses publiques. Au Québec, par exemple, plus de 86 % des dépenses de programmes sont alloués à la santé, à l’éducation et aux services sociaux, de sorte que des compressions touchent nécessairement les secteurs qui sont associés à la protection sociale et à la réduction des inégalités.

De plus, mes propres recherches montrent que les périodes d’austérité sont souvent accompagnées de coupes importantes dans les investissements à long terme en infrastructures et en recherche et développement, ce qui nuit à l’équité intergénérationnelle.

Il n’est pas surprenant que l’option qui consiste à augmenter les impôts des riches soit beaucoup plus populaire que celle de hausser les impôts en général. Les citoyens veulent prendre aux riches par le biais d’impôts plus élevés, ce qui leur procure un sentiment de justice tout en faisant porter le poids des dépenses publiques sur d’autres qu’eux-mêmes, puisque peu de gens se considèrent comme riches. Le sondage donne à penser que les plans de redressement des finances publiques bénéficieraient d’un appui public plus large s’ils comportaient des mesures visant à augmenter l’impôt des plus riches.

Les citoyens veulent prendre aux riches par le biais d’impôts plus élevés, ce qui leur procure un sentiment de justice tout en faisant porter le poids des dépenses publiques sur d’autres qu’eux-mêmes, puisque peu de gens se considèrent comme riches.

Toutefois, il est impossible que les gouvernements puissent financer l’ensemble des dépenses qu’entraîne la crise actuelle simplement en taxant quelques citoyens aisés qui, de surcroît, peuvent recourir à l’évasion fiscale pour éviter ces impôts supplémentaires. L’ensemble de la population devra donc être mise à contribution, puisque les dépenses publiques générées par la crise actuelle sont particulièrement élevées.

Il est intéressant de constater que l’augmentation de la dette publique n’est pas un choix populaire. Cette voie est pourtant préconisée par plusieurs experts, puisque les taux d’intérêt sont bas et que des mesures d’austérité risquent de nuire à la relance économique, tout en augmentant les inégalités.

Ces résultats rejoignent ceux d’une analyse réalisée par les politologues Kirk Bansak, Michael Bechtel et Yotam Margalit qui révèle que la majorité des citoyens de cinq pays européens préfère une réduction des dépenses publiques à un stimulus budgétaire qui financerait une hausse des dépenses publiques par une dette publique plus élevée. L’austérité est donc plus populaire qu’on pourrait le croire à première vue.

L’opinion des citoyens sur la question est toutefois fortement influencée par la manière dont chacune des options est présentée. Ainsi, les citoyens qui sont plus à droite et ceux qui sont exposés à des médias qui dépeignent les conséquences négatives de la dette publique appuient davantage l’austérité que ceux qui s’informent dans des médias vantant les mérites des stimuli budgétaires. De plus, les stratégies de communication des gouvernements influent fortement sur la perception que les gens ont d’un stimulus budgétaire ou d’un plan de redressement des finances publiques. Les électeurs d’un parti risquent donc de suivre celui-ci dans sa stratégie fiscale d’après-crise si celle-ci est bien communiquée.

Ainsi, à la suite de l’augmentation considérable des dépenses publiques pour limiter les effets de la pandémie de COVID-19, il semble que la réaction instinctive des citoyens soit de demander une réduction des autres dépenses publiques. Si les gouvernements décident de prendre cette direction, l’appui aux compressions risque toutefois de diminuer lorsque les effets de l’austérité se préciseront. Un gouvernement qui voudrait limiter l’impact de la crise sur les inégalités en contenant les réductions des dépenses publiques devrait augmenter l’impôt des plus riches et expliquer clairement les raisons qui le poussent à ralentir le remboursement de la dette publique.

Cet article fait partie du dossier La pandémie de coronavirus : la réponse du Canada.

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Olivier Jacques
Olivier Jacques is an assistant professor in the department of management, evaluation and health policy at the school of public Health at the Université de Montréal and a researcher at CIRANO. His research focuses on public finance, the welfare state and health policy. He can be reached on LinkedIn and Twitter @Olijacques89.

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