Le cadre commercial interprovincial du Canada est, au mieux, disparate. Si le Canada a signé des accords de libre-échange avec des pays du monde entier, il conserve d’importants obstacles à la libre circulation des biens et des services à l’intérieur de ses propres frontières. Selon certaines études, les contraintes commerciales interprovinciales coûtent jusqu’à 130 milliards de dollars par année à l’économie canadienne et peuvent avoir des répercussions négatives sur les relations commerciales internationales.

Bien que les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux aient signé l’Accord de libre-échange canadien (ALEC) en avril 2017 dans le but d’aplanir les obstacles interprovinciaux, près de la moitié des 345 pages de l’accord présentent des exceptions à l’accord et des mesures de retrait.

Les obstacles au commerce interprovincial ont-ils vraiment été renversés ? Quelles mesures devrait-on prendre pour écarter davantage les obstacles au commerce, à l’investissement et à la mobilité de la main-d’œuvre afin de maintenir la robustesse de l’économie canadienne ?

Lors d’un récent forum du caucus ouvert du Sénat sur le sujet, nous avons demandé l’avis des intervenants, qui n’ont pas hésité à se faire entendre. Une chose paraît claire dans tous les secteurs : le commerce interprovincial est une honte nationale.

Trop d’entreprises canadiennes trouvent, et c’est absurde, qu’il est plus facile d’importer des biens et des services de l’étranger que de commercer avec les provinces voisines. Par exemple, pourquoi est-il souvent plus facile au Canada d’acheter des vins d’un autre pays que des vins d’une autre province ?

Les obstacles au commerce interprovincial sont nombreux et complexes, mais ce ne sont pas des problèmes insolubles. Avec de la volonté politique et du leadership de la part du gouvernement fédéral, on peut les surmonter.

Perrin Beatty, président et chef de la direction de la Chambre de commerce du Canada, a déclaré au forum qu’il est maintenant plus que jamais important pour le Canada de « mettre de l’ordre dans ses affaires », vu les défis liés au commerce et à la compétitivité que doit relever notre économie. Nous sommes tout à fait d’accord.

Il a cité l’« optimisme prudent » des milieux d’affaires à l’égard de l’ALEC. La prudence est de mise, car bon nombre croient que l’accord dépend du succès de la nouvelle Table de conciliation et de coopération en matière de réglementation (TCCR) au cœur de l’accord, un organisme fédéral-provincial-territorial qui contribuera à l’harmonisation de la réglementation entre les administrations.

Selon M. Beatty, la plupart des obstacles au commerce reposent sur des différences réglementaires, « des ensembles divergents de règles et de processus entre les provinces qui ont créé une tyrannie de petites différences pour les entreprises ». L’harmonisation réglementaire serait cruciale. Malheureusement, les progrès réalisés dans le cadre de la TCCR ont été lents jusqu’à présent, a-t-il souligné au forum.

Monique Moreau, vice-présidente aux affaires nationales de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI), soutient qu’il devrait être « au moins aussi facile de commercer au sein du Canada qu’avec un autre pays », mais actuellement ce n’est souvent pas la réalité.

Un récent sondage mené par la FCEI auprès des entreprises canadiennes a révélé que les obstacles réglementaires et administratifs constituaient les « obstacles les plus importants au commerce ». Les différences dans les règles fiscales entre provinces suivent de près. Mme Moreau a fait remarquer que cela « peut représenter un investissement important en temps et en argent, surtout pour les plus petites entreprises ».

Imaginez la paperasserie liée aux différentes commissions des accidents du travail ou les différentes règles des commissions de santé et de sécurité au travail lorsqu’il s’agit de déplacer des employés d’une province à l’autre. Imaginez maintenant à quel point les échanges commerciaux seraient plus harmonieux si, à tout le moins, les mesures de sécurité et de transport étaient les mêmes à l’échelle du pays, a-t-on entendu durant le forum.

Ian Blue, avocat principal et conseiller chez Gardiner Roberts LLP, soutient que la question du commerce interprovincial n’est pas susceptible d’être débattue devant les tribunaux, mais relève des représentants élus.

Il fait remarquer que l’article 121 de la Loi constitutionnelle de 1867 stipule : « Tous articles du crû, de la provenance ou manufacture d’aucune des provinces seront, à dater de l’union, admis en franchise dans chacune des autres provinces. » En 1920, la Cour suprême a statué (Gold Seal Ltd. v. Alberta) que cela signifiait seulement que les provinces ne pouvaient pas imposer de droits de douane à leurs frontières.

Me Blue a récemment contesté cette décision (R. c. Comeau) devant la Cour suprême, arguant que les pères de la Confédération avaient souhaité un libre-échange intérieur sans restriction. Il a perdu. La Cour a conclu que l’expression « admis en franchise » était « ambiguë » et que les obstacles actuels au commerce interprovincial « n’enfreignent pas l’article 121 si leur objet principal n’est pas d’entraver le commerce, mais un autre objet valide ». Autrement dit, a mentionné Me Blue, la Cour a renforcé l’autonomie des provinces. Il conclut que « nous ne pouvons pas nous tourner vers les tribunaux pour obtenir de l’aide ». La volonté politique est la seule voie réaliste à suivre.

Alors, que faut-il faire maintenant pour que les choses s’améliorent ? Le rapport sénatorial de 2016 Des murs à démolir offre encore de nombreuses solutions, d’ailleurs les participants au forum ont repris plusieurs d’entre elles.

Beatty et Mme Moreau appellent à une harmonisation réglementaire par la « reconnaissance mutuelle », comme c’est actuellement le cas pour les marchés intérieurs dans l’Union européenne et en Australie. Avec la reconnaissance mutuelle, un bien ou un service légalement fourni dans une région est autorisé dans une autre, même si la réglementation diffère.

Mme Moreau appuie l’approche de la « liste négative », utilisée dans l’ALEC, qui permet tout commerce transfrontalier à moins d’une interdiction explicite. Et en cas de désaccord, elle revendique un règlement plus rationnel, plus rapide et plus efficace des différends avec l’organe directeur.

Me Blue a lancé une idée nouvelle : désigner un commissaire au commerce interprovincial qui aurait du mordant.

Une chose est claire, nous ne pouvons pas continuer sur la même voie. Le temps est venu de rendre l’économie canadienne compétitive, libre et robuste. M. Beatty avait raison lorsqu’il a insisté sur le fait que les responsables provinciaux et fédéraux du commerce doivent s’attaquer aux obstacles au commerce intérieur avec le « même acharnement » qu’ils ont démontré dans les négociations de l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM).

Comme l’a dit un participant au forum, nous devons donner une chance à l’ALEC, mais nous devons aussi « lui donner un coup de pouce ».

Photo : Shutterstock / riekephotos


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