Sur les 23 principaux accords économiques régionaux en existence recensés par la CNUCED, deux ont eu et ont toujours des effets intégrateurs significatifs, l’Union européenne (UE) et l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA). Dans ces deux cas, les échanges intérieurs entre les partenaires s’élé€vent aÌ€ plus de 60 p. 100 des échanges totaux, alors que dans le cas de l’Assocation des Nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN) et du Mercado CommuÌn del Sur (MERCOSUR), qui occupent les troisié€me et quatrié€me rangs, les échanges entre les partenaires dépassent aÌ€ peine 20 p. 100 des échanges totaux.
En Amérique du Nord, le commerce intra-zone par ori- gine et par destination a augmenté de 300 p. 100 entre 1990 et 2003. Les exportations mexicaines en direction des EÌtats- Unis d’Amérique (EUA) accaparaient 70,4 p. 100 des exportations totales en 1990, et 88,9 p. 100 en 2003. Pour le Canada, les chiffres correspondants sont de 75,8 p. 100 et 85,9 p.100 pour ces deux années. Les progressions sont encore plus impressionnantes quand on calcule la part du commerce bilatéral en pourcentage du PNB. Ainsi, au Mexique, le pourcentage passe de 7 p. 100 aÌ€ 23,9 p. 100 et au Canada, de 16,5 p. 100 aÌ€ 27,2 p. 100, alors que, dans le cas des EUA, il augmente de 1,9 p. 100 aÌ€ 2,5 p. 100 entre 1990 et 2003. Cette hausse est tout de mé‚me loin d’é‚tre négligeable quand on rappelle que, aÌ€ 6,7 p. 100, la part du commerce total dans le PNB aux EUA est une des plus bas- ses au monde comparée aÌ€ celle du Japon (10,4 p. 100), du Brésil (13,3 p. 100) ou de la Chine (25,7 p. 100).
Toutefois, si cette spécialisation dans le commerce intra-zone n’a pas empé‚ché le Mexique d’accroiÌ‚tre sa part du marché hors zone par rapport aux deux autres pays, cette croissance relative de son commerce extra-zone est essentiellement attribuable, comme c’est le cas pour le Canada d’ailleurs, aÌ€ la stratégie d’approvisionnement adoptée par les filiales des entreprises des EUA au Mexique. Car l’intégration économique en Amérique du Nord a ceci de particulier qu’elle est essentiellement tribu- taire du commerce intra-firme et intra-sectoriel, d’une part, des manœuvres des filiales étrangé€res des EUA (« majority owned foreign affiliates » ou MOFA), de l’autre.
Le graphique 1, qui met en lumié€re l’évolution des exportations du Mexique en direction des EUA et des grandes régions économiques du monde, tendrait aÌ€ conforter l’hypothé€se d’une continentalisation accrue de l’économie mexicaine con- sécutive aÌ€ la signature de l’ALENA, en 1994. Alors que les exportations en direction des EUA croissent de manié€re exponentielle et que celles en direction du Canada progressent notablement, celles destinées aÌ€ l’Amérique latine, la crise du peso aidant, chutent brutale- ment aÌ€ compter de 1996. Pour leur part, les exportations en direction de l’UE retrouvent et dépassent petit aÌ€ petit leur niveau de 1984, tandis que celles en direction de l’Asie ont plutoÌ‚t tendance aÌ€ diminuer.
Le graphique 2, qui met en lumié€re une décomposition similaire pour les exportations canadiennes, montre que leur répartition par région et par pays en dehors des EUA diffé€re sur un point en particulier : l’impor- tance croissante des marchés d’Asie et, dans une moindre mesure, du marché mexicain.
En définitive, comme il fallait s’y attendre, la superposition des deux encarts illustre bien que la continen- talisation de l’économie nord-améri- caine a eu moins d’impact sur la structure des échanges commerciaux au Canada qu’au Mexique. Pourtant, cette conclusion, aussi légitime soit-elle, n’est valide qu’aÌ€ un certain niveau de généralité, puisque nous aurons une vue d’ensemble assez différente si nous nous penchons sur le cas de l’économie québécoise.
La premié€re donnée aÌ€ rappeler aÌ€ ce propos concerne la baisse relative aÌ€ 16,7 p. 100 du poids des exportations du Québec dans l’ensemble canadien ; en 2006, celles-ci occupaient la troisié€me place derrié€re l’Ontario (45 p. 100) et l’Alberta (18,8 p. 100). Cependant si, comme pour le Canada, le principal marché d’exportation demeure celui des EUA, la part du Québec est légé€rement inférieure (77,6 p. 100 au lieu de 81,2 p. 100), ce qui est duÌ‚ aÌ€ la fois au ralentissement des livraisons aux EUA et aÌ€ la croissance des exportations destinées au reste du monde.
AÌ€ ce propos, il est intéressant de noter que la répartition géographique des exportations québécoises est dif- férente de celle des autres provinces, surtout aÌ€ cause du roÌ‚le que jouent les marchés européens et, dans une moindre mesure, les marchés d’Amérique latine (voir le graphique 3).
Or, ce qui retient notre attention, ce n’est pas la place occupée par le Mexique, puisque la part des exporta- tions québécoises (13 p. 100) se situe loin de celle de l’Ontario (46,5 p. 100) et derrié€re celle de l’Alberta (15,1 p. 100), mais l’importance qu’occupent d’autres marchés, comme celui du Brésil, ouÌ€ le Québec occupe le premier rang avec 27 p. 100 des exportations canadiennes, et le reste de l’Amérique latine, ouÌ€ il occupe le deuxié€me rang derrié€re l’Ontario. Cependant, l’évolution de ces exportations se déploie en dents de scie, ce qui montre bien la volatilité de ces marchés pour les produits du Québec.
Nous voyons, pour conclure ce bref tour d’horizon, que la conti- nentalisation de l’économie nord- américaine a des répercussions passablement différentes sur les trois partenaires impliqués selon les secteurs et les niveaux fédéral ou provincial de gouvernement. Si nous avons bel et bien affaire aÌ€ deux économies tré€s ouvertes, aÌ€ la fois sur le plan continen- tal et sur le plan extracontinental au nord et au sud, l’économie des EUA, quant aÌ€ elle, demeure beaucoup plus refermée sur elle-mé‚me. Cette fermeture est d’ailleurs considérablement renforcée par le recours aÌ€ des stratégies d’approvisionnement aupré€s de leur marché d’origine, que les filiales des EUA au Canada et au Mexique préfé€rent au marché d’accueil, contrairement aÌ€ l’approche non préféren- tielle adoptée par les entreprises canadiennes et mexicaines aux EUA.
Dans ces conditions, il n’est pas aisé d’établir un bilan univoque des 20 années de libre-échange et de l’état actuel de la continentalisation de l’économie nord-américaine. Sur le plan strictement commercial, en tout cas, la progression des échanges est notable et, sur cette seule base, les accords ont connu un succé€s certain. Par contre, sur le plan de la diversification des échanges au Mexique, au Canada ou au Québec, la question se pose de savoir si les différences que nous avons mises en lumié€re sont imputables aux stratégies poursuivies par les entreprises nationales et par les gouvernements, ou si elles ne répondent pas plutoÌ‚t aux stratégies menées par les grandes entre- prises issues des EUA dans chaque cas.
Cette question en soulé€ve une autre qui touche aÌ€ l’économie poli- tique et, plus spécifiquement, au niveau du controÌ‚le économique. Le bilan est plus mitigé dans la mesure ouÌ€ le Canada et le Mexique ne mettent pas aÌ€ profit une approche aussi stratégique aÌ€ l’intégration que le font le gouvernement des EUA, et tout par- ticulié€rement le bureau du United States Trade Representative, de mé‚me que leurs entreprises aÌ€ l’étranger. Il suf- fit de citer le résultat du moratoire appliqué par la Maison-Blanche, en mars 2002, aÌ€ la demande des organisations issues des trois pays regroupant quelque 33 producteurs d’acier en Amérique du Nord pour prendre la mesure de ce dont il est question ici. En effet, aÌ€ peine cinq années plus tard, la concentration dans le secteur s’est faite essentiellement aÌ€ l’avantage des EUA, alors que trois grandes entre- prises canadiennes ”” Dofasco, Ipsco et Algoma, auxquelles il faudra peut-être joindre Stelco ”” sont passées sous controÌ‚le étranger.
En ce sens, il reste encore beau- coup de chemin aÌ€ faire pour convain- cre les décideurs politiques en place aÌ€ Ottawa et aÌ€ Québec, de mé‚me que les gens d’affaires, de porter leur regard au-delaÌ€ des avantages commerciaux immédiats du libre-échange pour définir et mettre en pratique une approche moins complaisante face aÌ€ l’intégration continentale en cours. Une telle approche devrait reposer sur une stratégie définie et articulée aÌ€ partir d’une vision claire des besoins économiques, sociaux et environnementaux de la société canadienne à long terme. Le libre-échange ne peut pas dicter l’économie politique, au contraire, le libre-échange devrait servir de variable d’ajustement aÌ€ l’intérieur d’une véritable politique économique nationale.