
Le mouvement syndical et progressiste fait face, depuis quelque temps déjaÌ€, aÌ€ une offensive orchestrée par une intelli- gentsia néolibérale qui pré‚che une profonde remise en question du mo- dé€le québécois. Cette élite utilise le dénigrement systématique et le catastrophisme avec l’objectif avoué de sonner l’éveil du peuple. Un documentaire comme L’Illusion tranquille, pamphlet dogmatique antisyndical et antiprogressiste s’il en est, polarise plus qu’il ne convainc; faute d’argu- ments solides, il perpétue l’immobilisme qu’il dénonce.
D’ouÌ€ vient cette idée qu’un soi- disant monopole syndical soit devenu le nouveau clergé du Québec? Si c’était le cas, le moins qu’on puisse dire c’est que ce clergé a été défroqué au cours des dernié€res années : loi sur la sous-traitance et sur les PPP (partenariats public-privé), systé€me de santé aÌ€ deux vitesses, décret fixant les conditions de travail de 500 000 salariés de l’EÌtat, désyndicalisation de certains groupes de travailleurs, fusions forcées des accréditations syndicales dans le réseau de la santé. Et les syndicats auraient trop de pouvoir?
Soulignant le premier anniversaire du manifeste Pour un Québec lucide, Lucien Bouchard tentait l’automne dernier d’alerter le Québec sur la gravité de la situation. « Parce qu’elle est en panne de ré‚ve, notre collectivité se réfugie dans le déni et l’immobilisme », disait-il.
J’estime, au contraire, que les Québécoises et les Québécois ont de grands idéaux. Dans une récente enqué‚te, ils réaffirmaient encore leur attachement aÌ€ la social-démocratie. L’ancien premier ministre aurait-il une approche trop carrée? Lorsque vous invitez les gens aÌ€ ré‚ver et que vous leur dites en mé‚me temps qu’ils sont parmi les plus endettés et les plus taxés d’Amérique du Nord, qu’ils devront faire des concessions salariales pour faire face aÌ€ la mondialisation et aÌ€ la concurrence asiatique, qu’ils affichent un des plus faibles taux de natalité d’Occident, qu’ils ne travaillent pas assez, il y a de quoi tuer le ré‚ve dans l’œuf. Le problé€me, c’est que, dans leur offensive médiatique, les lucides pro- posent peu de solutions.
Prenons les questions une aÌ€ une. Lucien Bouchard a véritablement piqué au vif les Québécoises et les Québécois qui estiment travailler assez fort. Et si leur ré‚ve était de passer plus d’heures en famille? Le succé€s du nouveau Régime québécois d’assurance parentale, que le mouve- ment syndical, rappelons-le, a contribué aÌ€ mettre en place, montre leur attachement aux valeurs familiales. Avec pour conséquence qu’en 2006 le Québec a enregistré la plus forte hausse des naissances depuis 1909 ! Le taux de natalité a atteint 1,6 ; il est maintenant plus élevé que la moyenne canadienne. Ce baby-boom va-t-il engendrer de nouveaux problé€mes de productivité?
Toutes les études vous le diront : l’augmentation du temps de travail, la solution privilégiée des lucides, constitue la plus mauvaise avenue. Il faut regarder du coÌ‚té d’une meilleure organisation du travail, du développement de nouvelles technologies, de la recherche et de l’innovation, du perfectionnement et de la formation et de la mise en place de programmes de retraite progressive pour trouver de véritables solutions. Et les syndicats constituent justement une réponse, sinon un maillon essentiel pour y arriver. Plus les milieux de travail sont organisés et syndiqués, plus il y a de chances qu’une stratégie paritaire concertée donne des résultats, permettant des gains de productivité.
À l’encontre de la croyance fort répandue que le syndicalisme constitue un frein aÌ€ la productivité, l’exemple de la construction est éloquent. Cette industrie, dont le taux de syndicalisation est de 100 p. 100, a mis sur pied un systé€me de formation unique en Amérique et dans les grands pays industrialisés. Patrons et syndicats travaillent sur une base paritaire. Deux fonds de formation, alimentés par un prélé€vement de 20 cents pour chaque heure travaillée, permettent d’améliorer les compétences de quelque 15 000 travailleurs annuellement. Résultat : la productivité de l’industrie québécoise est nettement supérieure aÌ€ celle des autres provinces et mé‚me des EÌtats-Unis. En 2005, la valeur ajoutée par heure travaillée était supérieure de 34 p. 100 aÌ€ la moyenne canadienne. Depuis 1997, elle a cruÌ‚ de 3,8 p. 100 par année au Québec contre 2,5 p. 100 au Canada.
Et contrairement aÌ€ ce qu’on a laissé entendre, les syndicats ne sont pas des empé‚cheurs de tourner en rond. Nous avons, nous aussi, le Québec aÌ€ cœur et tentons de le faire évoluer, comme nous l’avons fait au cours des dernié€res décennies. Le mouvement syndical a été de toutes les grandes luttes et a certainement contribué aÌ€ faire du Québec un espace de vie différent. Par la mise en place des réseaux de santé et d’éducation et, plus récemment, par les centres de la petite enfance et le nouveau régime de congés parentaux, nous avons aussi favorisé une plus grande participation des femmes au marché du travail. Le Québec est en té‚te de peloton aÌ€ cet égard.
Par ailleurs, l’ex-premier ministre croit que le phénomé€ne des employeurs qui demandent de rouvrir les conventions collectives pour abais- ser leurs couÌ‚ts et affronter la concur- rence chinoise ira croissant. Difficile de concurrencer un salaire moyen chinois de 64 cents l’heure ! Faudra- t-il se mettre aÌ€ plat ventre pour combattre la concurrence asiatique?
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Pour relever le défi de la mondialisation, le Québec doit plutoÌ‚t revoir ses façons de faire et mettre en place une approche concertée, mais il ne pourra y arriver que s’il mobilise tout le monde, patrons et salariés. Encore une fois, le renouvellement de l’équipement, l’innovation et la formation de la main-d’œuvre constituent de meilleures pistes de solutions que les demandes de concessions salariales évoquées par Lucien Bouchard.
La CSN déplore le caracté€re peu objectif d’autres arguments utilisés par les lucides. Nous pensons qu’il est inexact de prétendre que les trois quarts de la dette ont servi aÌ€ payer l’épicerie. Avant la réforme comptable de 1997-1998, le gouvernement avait pour objectif d’équilibrer le solde des opérations courantes, les dépenses en capital pouvant alors é‚tre financées par des déficits. Une grande partie de la dette est due, rappelons-le, aux taux d’intéré‚t artificiellement élevés des années 1980 et 1990, conséquence de la politique anti-inflationniste de la Banque du Canada.
En fait, depuis 1997, le fardeau de la dette diminue au Québec. Il est clair que la stratégie actuelle, qui s’appuie sur la croissance du PIB nominal et l’équilibre budgétaire, permet de réduire progressivement la dette. Ainsi, le ratio dette nette / PIB passerait de 35,7 p. 100 en 2005-2006 aÌ€ 19,9 p. 100 en 2029-2030. Nous sommes, nous aussi, pour l’équité intergénérationnelle, mais nous croyons qu’il faut également transmettre aux générations futures des programmes sociaux et des infrastructures de qualité, des poli- tiques de développement de l’emploi, un environnement sain et viable.
J ‘ai faiblement entendu l’appel de Lucien Bouchard qui invitait toute la société civile aÌ€ s’activer. Cet appel, lancé dans son discours prononcé le 19 octobre dernier, ne s’est pas réper- cuté dans les médias. Pourtant, il soulignait « qu’au nombre des organisations qui animent notre vie collective, point n’est besoin de rappeler le roÌ‚le des syndicats. Irremplaçables facteurs d’équité et de stabilité sociale, ils sont devenus une force avec laquelle gouvernements et autres employeurs doivent compter. Dans toutes les hypothé€ses, l’édification du Québec de demain ne peut s’effectuer sans eux. Je dirai, poursuivait-il, que c’est graÌ‚ce aÌ€ leur concours qu’on pourra y arriver. »
Malheureusement, les sorties publiques répétées de l’ancien premier ministre prennent généralement de front les Québécois et les syndiqués. Le ton moralisateur ne passe pas.
Pourtant, sur le fond, nous ne sommes pas totalement en désaccord. Lucien Bouchard décrit une vision d’avenir d’un Québec généreux, créateur et dynamique, collé sur la réalité et affranchi des diktats idéologiques. Il ré‚ve d’un plan d’ensemble qui rallie en misant sur l’éducation et l’innovation, des mesures structurantes de création de richesse, de la pour- suite des objectifs de compassion sociale et de soutien aux démunis et d’une répartition équitable des efforts nécessaires pour y arriver. Nous en sommes. C’est sur les moyens que nos positions divergent.
Pareillement, L’Illusion tranquille dénonce l’universalité des programmes sociaux, notamment les services de garde et les frais de scolarité, les traitant comme de simples anachronismes. Pourtant, il s’agit de choix de société fondamentaux que les Québécoises et les Québécois ont faits. Invariablement, toutes les enqué‚tes d’opinion le disent : les Québécois préfé€rent payer plus d’impoÌ‚ts et de taxes pour s’offrir plus de services et de programmes sociaux qui rehaussent fortement leur qualité de vie. Les partisans de la droite veulent relancer le débat de société sur cette question. Une chose est certaine, cette discussion ne pourra se faire sans les Québécois ni en s’appuyant sur une fausse prémisse, soit que le syndicalisme représenterait le nouveau clergé du Québec. À notre avis, c’est plutoÌ‚t l’idéologie dominante néolibérale, proÌ‚nant l’individualisme économique et social, qui serait devenue le nouveau dogme.
Ce n’est pas en polarisant le débat que le nouveau courant idéologique de droite réussira aÌ€ poser la premié€re pierre pour baÌ‚tir le Québec de demain. Le dénigrement, les procé€s d’inten- tion, les scénarios catastrophe, les arguments sans fondement, les solu- tions simplistes et la stratégie de l’af- frontement sont loin de favoriser la résurgence de l’élément essentiel qui a fait le succé€s du modé€le québécois : la concertation. C’est pourtant sur cette base que nous devrions commencer aÌ€ penser le Québec différemment.