Parmi les provinces canadiennes, le Québec se distingue d’au moins deux manières au chapitre des enjeux climaenergtiques. D’une part, il est la province qui a les plus faibles émissions de gaz à effet de serre (GES) par habitant, et d’autre part, celle qui a le plan le plus ambitieux pour réduire ses GES d’ici 2030. Ayant émis 9,8 tonnes de GES par habitant en 2018 alors que la moyenne canadienne était de 19,7 tonnes, le Québec met la barre très haut en voulant réduire ses émissions de 37,5 % en 2030 par rapport à leur niveau de 1990. La cible canadienne est plutôt de 30 % en 2030 par rapport à 2005, ce qui correspond à une réduction de seulement 15 % comparativement aux émissions de 1990. C’est un peu comme si le plus maigre voulait perdre le plus de poids : pour y arriver, il lui faut un plan particulièrement solide.

Le 16 novembre dernier, le gouvernement de François Legault a déposé son Plan pour une économie verte 2030 (PEV), qui constitue sa politique-cadre d’électrification et de lutte contre les changements climatiques en vue d’atteindre sa cible de réduction des GES en 2030. Ce plan est-il à la hauteur du défi que le Québec s’est donné ? L’aidera-t-il vraiment à atteindre sa cible de 2030 et à devenir carboneutre à l’horizon 2050 ? Pour répondre à ces questions, nous comparerons ce plan au précédent — qui a échoué — et aux principes du plan de l’un des pays les plus engagés dans la transition énergétique, l’Allemagne et sa Energiewende.

Continuité entre le Plan pour une économie verte 2030 et le Plan d’action 2013-2020

En 2012, lorsque le gouvernement de Jean Charest a présenté son Plan d’action 2013-2020 sur les changements climatiques (PACC), il a fixé 30 priorités qui devaient lui permettre de réduire les GES de 20 % en 2020 par rapport au niveau de 1990. Ces priorités allaient de la promotion du transport collectif (auquel il consacrait 57 % du budget de 2,7 milliards de dollars sur huit ans) au rayonnement du Québec au Canada et sur la scène internationale. Plusieurs programmes de subventions étaient prévus pour favoriser l’efficacité énergétique, par exemple, des rabais à l’achat de véhicules électriques. Le gouvernement aspirait à une coordination, un suivi et une reddition de comptes exemplaire qui prévoyait notamment la présentation d’un bilan annuel des actions mises en œuvre en fonction des 30 priorités.

En 2018, les émissions de GES du Québec avaient baissé de 4,8 % par rapport à celles de 1990 (selon l’inventaire des émissions de GES du gouvernement fédéral pour le Québec). Le Québec se trouvait donc très loin de sa cible de réduction de 20 %. Comme les ventes de produits pétroliers et l’économie se portaient très bien en 2019 et au début de 2020 jusqu’à ce que la pandémie de COVID-19 survienne, le PACC n’a certainement pas permis au Québec de réduire ses émissions de GES comme il l’envisageait.

On pourrait penser que, fort de l’expérience non concluante du PACC et du fait qu’il ait raté sa cible, le PEV proposerait de faire les choses différemment. Malheureusement, les 128 pages de cette politique-cadre reprennent les mêmes mesures qui ont caractérisé le PACC.

On pourrait penser que, fort de l’expérience non concluante du PACC et du fait qu’il ait raté sa cible, le PEV proposerait de faire les choses différemment. Malheureusement, les 128 pages de cette politique-cadre reprennent les mêmes mesures qui ont caractérisé le PACC : financement du transport collectif, subventions pour l’efficacité énergétique et encore des rabais pour l’achat de véhicules électriques. Le plan vise encore une reddition de comptes exemplaire assurant qu’un « bilan présentant l’évolution de la transition climatique sera publié annuellement ». Rien de très différent n’a cependant été mis en place pour cette reddition de comptes : un autre comité consultatif et le vérificateur général s’occuperont de la gouvernance. Enfin, tout comme le PACC, qui n’avait réduit qu’une fraction des émissions durant sa mise en œuvre — 6,1 des 11,7 millions de tonnes (Mt) visées pour 2020 (52 %) —, le PEV annonce une portion encore plus petite de l’effort de réduction, soit 12,4 des 29 Mt visées par rapport à 1990 (43 %).

Si l’on compare le Plan d’action 2013-2020 sur les changements climatiques au Plan pour une économie verte 2030, on constate que la principale différence réside dans l’usage du mot « électrification » : alors qu’il apparaissait à deux reprises dans les 66 pages du PACC, il surgit dans presque chaque paragraphe des 128 pages du PEV, comme si les surplus électriques que connaît le Québec l’autorisaient à utiliser ce mot sans restriction. Le PEV est très clair quant à sa priorité : « électrifier au maximum l’économie québécoise ». Étrange, pour un plan de réduction des émissions de GES dont on pourrait penser que celles-ci figureraient en tête de liste. En priorisant l’électrification, le PEV perd de vue son objectif réel, qui est de réduire les émissions de GES. Bien sûr, lorsque l’électricité provient de sources renouvelables, l’électrification représente une alternative par rapport à l’usage de combustibles fossiles et aux GES dont ils sont responsables, mais ce n’est pas l’unique approche pour réduire les émissions. Les biocarburants et, avant tout, l’efficacité énergétique sont aussi des solutions qui devraient être envisagées. Or ils ont été relégués à l’arrière-plan du PEV.

Bien sûr, lorsque l’électricité provient de sources renouvelables, l’électrification représente une alternative par rapport à l’usage de combustibles fossiles et aux GES dont ils sont responsables, mais ce n’est pas l’unique approche pour réduire les émissions.

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L’autre changement qui pourrait paraître positif à première vue est l’augmentation du budget : il était de 2,7 milliards de dollars pour le PACC et passe à 6,6 milliards pour le PEV. Cependant, le budget du PACC couvrait huit années et visait des réductions de 6,1 Mt pour 2020, alors que les 6,6 milliards du PEV seront investis au cours des cinq premières années et qu’un montant semblable est prévu pour les années suivantes, jusqu’en 2030. On pense donc éliminer deux fois plus de GES avec le PEV qu’avec le PACC (12,4 Mt au lieu de 6,1), mais en déboursant environ quatre fois plus d’argent. Cela signifie que les dépenses par tonne de réduction seront près de deux fois plus élevées, en raison notamment des subventions très importantes accordées à l’électrification (1,3 milliard au cours des cinq premières années).

Cette approche pour la réduction des émissions de GES dans les transports ne tient absolument pas compte de l’évolution récente des dépenses en mobilité au Québec. Les dépenses des Québécois pour l’achat de « camions légers » (VUS, camionnettes, etc.) ont en effet plus que doublé, passant de 6 milliards en 2008 à 13 milliards en 2018. On se retrouve donc dans une situation paradoxale où les consommateurs sont de plus en plus disposés à payer pour émettre des GES : ils achètent davantage de véhicules plus gros et plus chers qui consomment davantage de carburants. Cette situation témoigne d’une propension croissante à payer pour polluer, et le PEV ne s’y opposera en rien. Plutôt que de dépenser encore plus d’argent en espérant que les véhicules électriques remplaceront les camions légers, il serait plus logique de commencer par décourager l’utilisation de véhicules polluants.

On peut donc conclure que le PEV comporte trois erreurs. Tout d’abord, il s’inscrit dans une très grande continuité avec le plan précédent, qui s’est soldé par un échec. Ensuite, il confond le moyen que représente l’électrification avec un objectif. Enfin, il présume que la lutte contre les changements climatiques entraîne forcément des dépenses, alors qu’elle pourrait être une occasion de les contenir, particulièrement dans les transports.

Les principes de la transition énergétique en Allemagne

Dans sa revue 2020 de la politique énergétique allemande, l’Agence internationale de l’énergie rappelle les trois principes qui guident la transition énergétique dans laquelle ce pays s’est engagé : 1) réduire la consommation d’énergie dans tous les secteurs (primauté de l’efficacité énergétique) ; 2) utiliser les énergies renouvelables directement, quand cela a du sens sur les plans économique et environnemental ; 3) couvrir les besoins restants en énergie avec de l’électricité de source renouvelable.

Le gouvernement québécois ne semble pas avoir compris ces principes pourtant assez simples et ne les a pas inscrits dans sa lutte contre les changements climatiques. Ainsi, au lieu de réduire la consommation et d’utiliser directement des énergies renouvelables, il priorise plutôt l’électrification. Cette approche pourrait s’avérer très coûteuse et largement inefficace dans un contexte de forte consommation énergétique comme c’est le cas au Québec, où l’on consomme environ 70 % plus d’énergie par habitant qu’en Allemagne. Et c’est l’Allemagne, moins grande consommatrice d’énergie, qui vise d’abord à réduire sa consommation !

Puisque le Québec semble aimer relever des défis du type « perdre le plus de poids quand on est le plus maigre », il aurait sans doute beaucoup à gagner à adopter les meilleures pratiques, plutôt que de s’inspirer d’expériences ratées.

Photo : Trafic sur le pont Jacques-Cartier, Montréal. Shutterstock / Marc Bruxelle

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