Au début de cet ouvrage, nous avons reconnu que la performance économique du Québec et les chemins à emprunter pour assurer un avenir prospère sont source de discorde.

Nous avons présenté un ensemble de repères, d’analyses et de statistiques qui permettent de sonner l’alarme sans être alarmistes ! Bien que la situation socioéconomique du Québec soit enviable dans l’ensemble des pays et nations, sa situation au sein de l’Amérique du Nord accuse un retard troublant de développement économique, qui exige une actualisation raisonnée et courageuse des objectifs et des moyens susceptibles de le sortir de l’enlisement graduel dans le sillon de la marginalisation. Cette marginalisation relative se poursuit depuis trois décennies, et ce, malgré une performance absolue intéressante.

Notre analyse est structurelle plutôt que conjoncturelle, car elle repose sur une évolution de plusieurs années, voire de plusieurs décennies. Les diverses séries statistiques présentées dans cet ouvrage sont celles qui, à notre avis, témoignent le mieux et de façon particulièrement révélatrice de la performance économique du Québec depuis plus de trente ans. Elles permettent de bien mesurer les enjeux qui nous interpellent à ce moment-ci de notre histoire collective et, à ce titre, favoriseront une meilleure perception des exigences que nous impose la poursuite d’un mieux-être collectif, tant pour les générations actuelles que pour les générations futures.

Les gains absolus et relatifs considérables du Québec sur le plan du développement économique durant les vingt premières années qui ont suivi la Révolution tranquille se sont depuis fortement ralentis. La transformation sociale et économique à laquelle la Révolution tranquille a donné lieu s’est stabilisée et rapidement figée dans des pouvoirs nouveaux, mais non moins réfractaires aux changements. L’effervescence de la Révolution tranquille a laissé la place à une poursuite et à une capture de rentes corporatistes de plusieurs types à plusieurs niveaux.

L’ensemble des douze chantiers des chapitres 11, 12 et 13 permettront au Québec d’enrayer ce développement corporatiste, de renverser le cheminement actuel du Québec vers une marginalisation regrettable sinon désastreuse, d’entreprendre son rattrapage et de le faire grimper vers le sommet dans l’échelle des économies régionales en Amérique du Nord, et ce, pour le plus grand bénéfice de ses citoyens d’aujourd’hui et de demain. Ces grands chantiers, ces politiques et ces programmes portent sur les fondements de la création à long terme de richesse, et sont ainsi immunisés contre les soubresauts conjoncturels, tant politiques qu’économiques, plus axés sur les symptômes. À ce titre, ils sont plus que des vœux pieux au goût du jour ou des politiques et programmes censés résoudre les problèmes du moment. Ils commandent une véritable nouvelle révolution tranquille, qui devrait s’appuyer sur les grands acquis du dernier demi-siècle ici et ailleurs pour modifier considérablement les modes de réalisation ou d’implémentation des objectifs d’une social-démocratie moderne.

L’effervescence de la Révolution tranquille a laissé la place à une poursuite et à une capture de rentes corporatistes de plusieurs types à plusieurs niveaux.

La tâche sera exigeante, voire herculéenne, mais si nous ne nous y attaquons pas dès maintenant, nous laisserons à nos enfants un Québec fermé et meurtri, car de moins en moins capable de concurrencer les sociétés et économies régionales du bassin nord-américain. Non seulement ce Québec se sentira incapable de réaliser son potentiel, mais ce potentiel même sera à jamais diminué, faute de l’avoir entretenu et développé.

Atermoiements et palabres au sommet ne rejouant que les mêmes rengaines usées, dépassées et non crédibles ou n’apportant que des palliatifs de court terme inefficaces et coûteux (sauf pour les groupes de pression qui les défendent et en profitent aux dépens de l’ensemble des citoyens) ne feraient qu’empirer la situation et reporter des décisions qui deviendront encore plus douloureuses parce qu’elles seront imposées plutôt que choisies.

Il faut que nos dirigeants politiques montrent dès maintenant qu’ils ont l’intellection des objectifs et des moyens pour établir les programmes, politiques, modalités et mécanismes spécifiques nécessaires à la réalisation de nos ambitions et à l’atteinte de nos objectifs et idéaux sociaux-démocrates. Ils doivent avoir le courage de les mettre résolument en œuvre, sans craindre de mettre au rancart les institutions et les politiques qui ont pu être efficaces et utiles dans le passé, mais qui sont mal adaptées au monde actuel et freinent aujourd’hui notre développement collectif.

Photo: Shutterstock


Extrait de Réinventer le Québec : douze chantiers à entreprendre, par Marcel Boyer et Nathalie Elgrably-Lévy, © Éditions Stanké, 2014. Avec l’aimable autorisation de l’éditeur.

 

Marcel Boyer
Marcel Boyer est professeur émérite de sciences économiques de l’Université de Montréal et cofondateur du CIRANO. Spécialiste en économie industrielle, en évaluation d’investissements et en droits d’auteur, il est l’auteur du Manifeste pour une social-démocratie concurrentielle (CIRANO, 2009).
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Nathalie Elgrably-Lévy est maître d'enseignement à HEC Montréal. Elle a également enseigné l'économie à l'Université de Montréal et à l'UQAM, en plus d'agir à titre d'économiste principale à l'Institut économique de Montréal et à l'Institut Fraser.

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