La problématique des changements climatiques suscite des débats de plus en plus soutenus au sein des opinions publiques, mais aussi au sein des ca- binets gouvernementaux. AÌ€ mesure que les impacts envi- ronnementaux de ces changements se précisent, que l’on commence aÌ€ prendre la mesure des altérations rapides des équilibres écosystémiques qui pourraient en résulter, les chancelleries doivent envisager de définir des poli- tiques afin d’é‚tre en mesure de réagir aux risques économiques, sociaux et politiques que pourraient apporter ces changements climatiques aux contours encore incertains.
Parmi ceux-ci, un changement majeur est tré€s certaine- ment la fonte des glaces dans l’Arctique, ouÌ€ les glaces mar- quent un retrait réel depuis une dizaine d’années, que ce soit dans l’archipel canadien ou au nord de la Sibérie russe. La fonte des glaces arctiques laisse entrevoir la possibilité de l’ouverture des passages du Nord-Ouest et du Nord-Est entre l’Atlantique et l’Asie. Routes beaucoup plus courtes que celles de Suez ou de Panama, elles offriraient des possibili- tés commerciales et industrielles nota- bles, tout en permettant l’exploitation de gisements de pétrole et de minerais considérables. Mais ces routes cons- tituent aussi des enjeux stratégiques majeurs pour le Canada, les EÌtats-Unis, l’Union européenne. Pour Washington, la liberté de navigation de la marine américaine est fondamentale ; mais pour Ottawa, les eaux des détroits arc- tiques font partie des eaux intérieures canadiennes, relé€vent de sa seule sou- veraineté, et ne seraient pas soumises aux droits de passage inoffensif et de transit. La pression américaine, mo- dérée jusqu’aÌ€ présent, se fera-t-elle plus précise alors que les changements cli- matiques modifient le portrait géopoli- tique de la région?
Une certaine incertitude demeure sur la pérennité du phénomé€ne de fonte des glaces et sur sa vitesse réelle ; les changements en cours semblent d’autant plus complexes qu’il semble que, parallé€lement au réchauffement des eaux, l’atmos- phé€re au-dessus de l’océan Arctique se soit refroidie depuis 50 ans. Mais les scientifiques sont maintenant glo- balement d’accord sur ce point : avec les changements climatiques, la ban- quise permanente de l’océan Arctique, du moins dans le secteur de l’archipel canadien, devrait dis- paraiÌ‚tre d’ici vingt ans environ. Seule subsisterait une banquise d’hiver, dont l’étendue et le calendrier demeurent encore inconnus. Depuis 1960, la surface globale de la ban- quise permanente a diminué de 14 p.100, et de 6 p.100 depuis 1978; son épaisseur s’est réduite de 42 p. 100 depuis 1958. En 1997, lors de l’étude des glaces permanentes de la mer de Beaufort, dans le cadre du programme canado-américain SHEBA (Surface Heat Budget of the Arctic), les données recueillies ont montré aÌ€ la fois que l’eau y était plus chaude qu’en 1975 et beaucoup moins salée : deux indices d’un réchauffement extré‚mement rapide et de la fonte conséquente. AÌ€ Iqaluit, la capitale du Nunavut, les glaces disparaissent de plus en plus toÌ‚t, allongeant ainsi la saison navigable pour tous les navires de deux mois et demi aÌ€ désormais trois aÌ€ cinq mois. Les pilotes des brise-glaces canadiens confirment ces observations empiriques d’une réduc- tion drastique de la couverture de glace des eaux en été. Les climato- logues prévoient que l’océan Arctique canadien pourrait é‚tre libre de glaces durant l’été d’ici 2050.
AÌ€ Churchill, dans la baie d’Hudson, l’embaÌ‚cle, habituelle aÌ€ la fin d’octobre, ne se produit plus aujourd’hui que vers la mi-novembre, allongeant d’autant la saison naviga- ble. Les autorités portuaires ont déjaÌ€ investi plus de 35 millions de dollars pour moderniser les infrastructures de chargement de céréales et pouvoir accueillir le trafic supplémentaire ; la société américaine OmniTRAX, pro- priétaire du port et de la voie ferrée de Churchill aÌ€ la gare du Pas (Manitoba), étudie sérieusement la possibilité d’ac- croiÌ‚tre significativement la capacité du port, et ce d’autant plus que les compagnies pétrolié€res russes ont investi plus de 5 milliards $ pour aug- menter la capacité du port de Mourmansk. Dans l’Arctique russe, la saison de navigation d’été (soit avec une escorte minimale ou nulle), tradi- tionnellement de juillet aÌ€ octobre, s’étend de plus en plus souvent jusqu’au mois de novembre, voire au début décembre. La route maritime entre Mourmansk et Churchill serait le chemin le plus court pour ache- miner l’abondant pétrole russe vers les marchés canadien et américain (voir le tableau 1).
Cette nouvelle donne climatique entraiÌ‚ne d’importantes répercus- sions au niveau du passage du Nord- Ouest, notamment en regard de la navigation commerciale (Figure 2). Jusqu’aÌ€ présent, malgré des technolo- gies de construction navale modernes, les rigueurs polaires fermaient cette route aÌ€ tout trafic commercial. Si les glaces pérennes disparaissent au cours des prochaines années, cette route ma- ritime deviendra praticable pendant plusieurs mois, et permettra de réduire de façon considérable la distance entre l’Europe et l’Asie par rapport au trajet du canal de Panama, avec une réduc- tion majeure des couÌ‚ts associés au transport maritime (voir le tableau 2).
Par le passage du Nord-Ouest, le trajet entre Londres et Tokyo n’est plus que de 15 700 kilomé€tres, con- tre 23 300 par Panama et 21 200 par Suez, la principale route entre l’Europe et l’Asie, ce qui présente une route plus courte de 5 500 km (26 p. 100). De plus, aÌ€ la différence de Suez, et surtout de Panama, le passage du Nord-Ouest n’impose aucune limite de gabarit ni de tirant d’eau aux navires qui voudraient l’emprunter. Avec la fonte de la ban- quise arctique canadienne, il est pos- sible que cette route devienne, aÌ€ moyen terme, un chemin tré€s fréquenté pour relier l’Europe aÌ€ l’Asie. GraÌ‚ce aÌ€ la baisse des couÌ‚ts des technologies de construction navale comme la double coque renforcée, il est possible pour des cargos de na- viguer dans des eaux ouÌ€ flotte une banquise résiduelle.
Un autre des intéré‚ts majeurs de la région de l’archipel arctique canadien est celui des ressources naturelles qu’elle renferme dans une quantité fort importante et pouvant jouer un roÌ‚le considérable dans le futur, par exemple pour l’approvi- sionnement en pétrole et en gaz naturel. En outre, on retrouve toute une gamme de minerais, tels que le plomb, le zinc, l’or, le tungsté€ne, l’uranium et l’argent. Certes, les gise- ments prouvés aÌ€ ce jour sont sans commune mesure avec ceux de l’Arctique russe ; mais leur pauvreté apparente s’explique en bonne part par la méconnaissance de la géologie de la région. Jusqu’aÌ€ présent, du fait des conditions climatiques difficiles (pergélisol, navigation difficile pour acheminer le matériel et mettre la production en marché), l’exploita- tion de ces richesses minié€res suppo- sait des couÌ‚ts élevés. En 1969, une compagnie américaine, Humble Oil, avait construit un pétrolier de 155 000 tonnes aÌ€ coque renforcée, le Manhattan, pour aller chercher le pé- trole de l’Alaska destiné aux marchés de la coÌ‚te est américaine, en transi- tant par le passage du Nord-Ouest, sans en demander la permission offi- cielle au gouvernement canadien. L’objectif était de démontrer le roÌ‚le commercial stratégique que pouvait jouer cette route maritime nordique. Mais le pétrolier s’était retrouvé blo- qué dans les glaces aÌ€ huit reprises : s’il était possible de franchir le pas- sage avec une importante cargaison marchande, l’expédition constituait néanmoins un échec commercial retentissant. Avec la fonte des glaces que l’on observe actuellement, le développement de l’exploitation de ces ressources pourra é‚tre favorisé, étant donné que le transport ma- ritime des ressources est envisageable pendant une plus longue période, ce qui permettra d’allonger la période annuelle d’exploitation et de dimi- nuer les couÌ‚ts d’acheminement des équipements.
Un important effort de prospec- tion a été entrepris par les gouverne- ments canadien et du territoire du Nunavut. La publication de chaque nouvelle carte suscite l’intéré‚t mar- qué des compagnies minié€res. Des explorations minié€res majeures sont en cours sur les iÌ‚les Melville et Somerset sur des filons diaman- tifé€res, tandis que d’autres sociétés sondent activement les iÌ‚les Baffin, Devon et Petite Cornwallis suite aÌ€ des indices de gisements de charbon, de molybdé€ne, de tantale, d’argent, de platine et d’or.
Aujourd’hui, tant la confirmation de l’existence de ces gisements promet- teurs d’hydrocarbures et de minerais dans l’Arctique canadien que la con- joncture de retrait des glaces, suscitent l’intéré‚t actif d’Ottawa comme du secteur privé. Des projets de construc- tion de ports en eau profonde sont envisagés aÌ€ Kugluktuk (ex-Cambridge Bay), sur le détroit Union, ainsi qu’aÌ€ Bathurst Inlet : leur conception est directement reliée aux nouveaux pro- jets miniers ainsi qu’aÌ€ la perspective de navigation plus libre sur un passage du Nord-Ouest moins englacé. Le 7 mai 2004, le ministre des Affaires du Nord, Andy Mitchell, a dévoilé un projet évalué aÌ€ 85 millions de dollars pour construire un port capable d’accueillir des navires de 45 000 tpl et un aéro- drome. Les prévisions de marché tablent sur une durée de navigation de 110 jours par an, ce qui permettrait de rentabiliser de nombreux gisements actuellement connus mais non exploités.
En effet, en Russie comme au Canada, des mers navigables cinq ou six mois par an permettraient aux sociétés minié€res et pétrolié€res de rentabiliser l’exploitation commerciale d’un plus grand nombre de gisements et de diversifier leurs clients : le pétrole et le gaz, par exemple, pourrait tran- siter tant vers l’Asie que vers l’Europe ou l’Amérique du Nord. La compagnie maritime canadienne Fednav, notam- ment, suit, avec un intéré‚t non dissimulé, la frénésie d’exploration minié€re qui se déploie actuellement dans l’archipel arctique, tant pour les hydrocarbures que pour les gisements métalliques ou diamantifé€res. Fednav assure déjaÌ€ la desserte des mines du nord graÌ‚ce aÌ€ six cargos spéciaux pour les mers polaires, soit cinq cargos de classe 1A (29 500 et 43 700 tpl) et un de classe 1A Super (28 400 tpl).
Si la mise en exploitation du potentiel minier russe et canadien, tel qu’il est pressenti aÌ€ l’heure actuelle, se confirmait, c’est un important tra- fic qui en résulterait, tant pour le transport des pondéreux par vraquiers que pour assurer la logis- tique des mines. Cette hypothé€se de développement de la navigation dans l’Arctique, soit un trafic engendré par la mise en exploitation des ressources du Nord, semble plus crédible aÌ€ moyen terme. Outre que les ressources doivent é‚tre transportées et induisent de fait une demande en transport, les compagnies maritimes qui exploitent des vraquiers, aÌ€ la dif- férence des porte-conteneurs, n’ont pas besoin de consolider des lignes dont la régularité et la fiabilité des délais d’acheminement sont un élé- ment marchand central. Les navires qui assurent le transport des vracs établissent leur itinéraire en fonction de la demande ponctuelle, et non afin d’assurer des dessertes régulié€res.
En aouÌ‚t 1985, le brise-glace Polar Sea, qui relé€ve comme tous les BG américains de la marine militaire, avait traversé l’archipel arctique par le pas- sage du Nord-Ouest, en refusant de demander l’autorisation au gouvernement canadien : Washington estimait que le passage du Nord-Ouest était un détroit international, de fait ouvert aÌ€ tout navire. L’incident avait provoqué la colé€re d’Ottawa et contribué aÌ€ la détérioration des relations canado- américaines. Puis, la tension était retombée, et l’incident classé.
Les changements climatiques me- nacent de changer cette situation. Corollaire de l’ouverture possible du passage du Nord-Ouest, la souveraineté canadienne sur ces eaux pourrait aÌ€ nouveau é‚tre remise en cause par Wash- ington. Ce n’est pas sur le territoire des iÌ‚les de l’archipel que porte le différend : la souveraineté canadienne semble bel et bien acquise. Par contre, en ce qui con- cerne les espaces maritimes, le Canada tente d’affirmer sa souveraineté en avançant que le passage du Nord-Ouest relé€ve des eaux intérieures canadiennes et que, de fait, le Canada peut exercer son controÌ‚le sur toute activité dans ce secteur, selon les dispositions de la Convention de Montego Bay sur le droit de la mer, opportunément ratifiée par le Canada le 6 novembre 2003. Le gouvernement canadien souhaite affirmer et protéger la souveraineté qu’il revendique sur le Grand Nord, l’archipel arctique et ses eaux, un vaste espace dont les terres émergées représentent 40 p. 100 du territoire canadien, soit 3,9 millions de kilo- mé€tres. En réponse aÌ€ l’épisode du Polar Sea et au manque de respect perçu de la souveraineté canadienne, il avait été projeté, en 1985, de construire deux bases aériennes dans le Grand Nord et d’y stationner un grand brise-glace, véritable porte-drapeau canadien, capa- ble de demeurer en mer dans l’Arctique une année durant, le Polar 8. Face aÌ€ la présence des submersibles étrangers, américains, soviétiques puis russes, et vraisembla- blement français (comme en 1999 aÌ€ Pangnirtung), le gouverne- ment envisagea également, en 1987, d’acheter aÌ€ la France ou aÌ€ la Grande- Bretagne des sous-marins nucléaires d’attaque (SSNA) et de mettre sur pied une puissante marine « dans trois océans ». Mais ces projets d’équi- pement et d’infrastructures ont sombré en avril 1989 avec la croissance du déficit budgétaire.
Sur le plan juridique, afin d’appuyer sa position, le Canada a proclamé une ligne de base qui englobe l’ensemble de l’archipel arc- tique, ligne de base qui transforme les eaux en deçaÌ€ de son tracé en eaux intérieures, selon la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982.
Afin de démontrer que ces eaux sont historiquement canadiennes, le Canada doit non seulement faire la démonstration d’un controÌ‚le exclusif et d’un usage de longue date, mais aussi du fait que les EÌtats étrangers, et plus particulié€rement ceux touchés par la revendication, ont acquiescé aÌ€ la reconnaissance de souveraineté. Or, la position canadienne est réfutée par les EÌtats-Unis et l’Union européenne, qui affirment que le tracé des lignes de base est invalide au regard mé‚me de la Convention de Montego Bay, et que le passage du Nord-Ouest serait plutoÌ‚t un détroit international, dans lequel s’applique la liberté de transit. Le libre passage des navires devient alors la norme lorsqu’il y a respect des ré€gles internationales.
Si le passage du Nord-Ouest est reconnu comme un détroit interna- tional, le Canada ne peut plus alors prétendre aÌ€ un controÌ‚le unilatéral et exclusif sur le transport maritime dans la région ; il ne pourrait donc plus y empé‚cher le passage de navires. En controÌ‚lant les entrées du passage du Nord-Ouest, le Canada pourrait pourtant organiser une meilleure veille de sa sécurité environnementale et économique : prévenir le passage de navires marchands non sécuritaires ou mal adaptés aÌ€ la navigation arctique, dont le naufrage provoquerait des catastrophes importantes pour le fra- gile environnement nordique ; pré- venir le trafic illicite d’or et de diamants qui risque de se développer avec la mise en exploitation de nou- velles mines dans la région, tout comme d’éventuels attentats contre ses intéré‚ts économiques. Mais tous ces avantages ne sont possibles qu’avec des moyens, navires, systé€mes de communication, et couverture aérienne adéquate.
Il importe donc au gouvernement fédéral, pour prouver ses prétentions, non seulement de revendiquer une sou- veraineté canadienne sur ce secteur, mais aussi de démontrer qu’elle est effective. Ceci afin d’empé‚cher l’inter- nationalisation du passage du Nord-Ouest qui est perceptible par l’accroisse- ment du nombre de transits et de leur importance, du nombre de pavillons et des pays, surtout si ces transits ne sont pas au préalable autorisés par le gou- vernement canadien. Or, la présence et les activités canadiennes dans le passage du Nord-Ouest ont diminué : le nom- bre de patrouilles maritimes a diminué et aucun brise-glace canadien ne peut naviguer dans les eaux arctiques en hiver, aÌ€ la différence des baÌ‚timents russes et américains. Les pro- jets d’acquisitions de sous- marins, de patrouilleurs et de brise-glaces modernes et puissants (le plus puissant brise-glace canadien est trois fois moins puissant que ses homologues américains de la classe Polar Sea ; voir le tableau 3) ont sombré aÌ€ la fin des années 1989 avec l’explosion du déficit budgétaire. Les patrouilles aériennes se font de plus en plus rares : dans les années 1980, 26 patrouilles de souveraineté étaient organisées en moyenne par année ; en 2000, on n’en a compté que quatre pour tout le territoire nordique. Une aussi faible couverture aérienne implique que la dimension de surveil- lance est nulle : les vols ont une utilité purement symbolique. Le 19 février 2001, le ministé€re de la Défense annonçait la réduction des effectifs des avions de chasse de 125 aÌ€ 80, des avions de patrouille de 21 aÌ€ 16 et des heures de vol totales de ces derniers, de 11 000 aÌ€ 8 000 pour l’ensemble du territoire.
La présence civile est des plus faibles également : on peut déplorer le manque de financement pour la recherche sur l’Arctique canadien. Tout récemment, le 30 avril 2001, lors d’une conférence sur l’Arctique cana- dien, les chiffres suivants ont été divulgués sur les sommes consacrées par divers pays aÌ€ la recherche polaire : EÌtats-Unis, 463 millions de dollars canadiens par année ; Sué€de, 11 millions de dollars canadiens par année ; Canada, moins de 3 millions de dollars canadiens par année. La somme consacrée aux sciences sociales dans cette région est si dérisoire que les participants n’en ont mé‚me pas parlé. L’auteur de ses lignes, apré€s avoir déposé une demande de subvention au Centre canadien pour le développe- ment de la politique étrangé€re (CCDPE) sur l’impact géopolitique des changements climatiques dans l’Arc- tique canadien, en janvier 2003, s’est vu répondre que ce sujet « ne concer- nait pas suffisamment la politique étrangé€re du Canada ».
La présence officielle canadienne se limite en fait aÌ€ peu de choses : une garnison militaire, éparpillée aÌ€ travers le territoire, qui ne dépasse pas 150 hommes ; un seul poste fixe de la Garde coÌ‚tié€re, situé aÌ€ Iqaluit ; des bases militaires vides, dont celle d’Iqaluit, construite en 1993 mais qui reste inoccupée ; des compagnies de Rangers dans les villages inuits. Les Rangers (1 500 hommes) sont des mi- lices paramilitaires locales, recrutées aÌ€ temps partiel parmi la population civile, et chargées, du temps de la guerre froide, de patrouiller le Grand Nord pour y signaler toute activité anormale. Outre qu’elle est un facteur puissant d’intégration des Inuits aÌ€ la structure gouvernementale cana- dienne, l’institution des Rangers a été conservée apré€s la fin de la guerre froide, car, pour symbolique qu’il soit, c’est encore l’outil le plus efficace pour assurer la présence officielle du Canada sur le Grand Nord.
Afin de compenser sa faible présence effective, le Canada a adopté diverses mesures juridiques pour renforcer sa position aÌ€ chaque fois qu’un événement se produisait sur son territoire arctique, toujours dans le but d’affirmer sa souveraineté. Par exemple, le Canada s’est efforcé d’ex- ercer un controÌ‚le sur le transit des navires, par le biais de la Loi sur la prévention de la pollution dans les eaux arctiques, en invoquant un danger de pollution qui serait une menace aÌ€ sa sécurité nationale : la loi permet, en théorie, de dénier un droit de passage inoffensif aÌ€ un navire qui présenterait des risques de pollution pour l’envi- ronnement arctique, particulié€rement fragile, mais ce, de façon temporaire. Mais ces artifices juridiques risquent d’é‚tre de peu de poids si la commu- nauté internationale décide de ne pas reconnaiÌ‚tre, sur le fond, les prétentions canadiennes.
Conscient de la faiblesse inhérente aux seuls outils juridiques en l’absence de moyens de faire appli- quer le droit canadien sur le territoire arctique, Ottawa commence aÌ€ accroiÌ‚tre peu aÌ€ peu sa présence mili- taire et civile dans cette région. Depuis 2002, des patrouilles de sou- veraineté en motoneige, regroupant une vingtaine de soldats, sillonnent les iÌ‚les de l’archipel arctique, mais au rythme d’une par an, car ces patrouilles couÌ‚tent cher aÌ€ une armée en mal de financement : 500 000 $. Une autre démonstration de la présence effective canadienne con- siste en la tenue en aouÌ‚t 2004 d’un exercice militaire, l’Exercice Narwhal (5 millions de dollars), qui compren- dra la frégate HMCS Montréal, cinq hélicopté€res, quatre avions Twin Otter, 220 marins et 200 soldats d’in- fanterie. Pour la surveillance, l’armée envisage de recourir aÌ€ des drones, avions sans pilote. Et le projet de sur- veillance par satellite Polar Epsilon devrait é‚tre opérationnel en 2008.
Au cours des prochaines années, il importera au gouvernement du Canada de mettre en œuvre des actions et des politiques afin d’assurer un con- troÌ‚le effectif de la région de l’archipel arctique canadien, empé‚cher l’interna- tionalisation du passage du Nord- Ouest, et se voir reconnaiÌ‚tre la souveraineté canadienne sur cette région. Cette reconnaissance importe d’autant plus qu’une fois que ce pas- sage serait considéré comme interna- tional, Ottawa ne pourra plus réglementer le trafic selon les disposi- tions de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer. Mais de tels objectifs paraissent ambitieux eu égard aÌ€ la montée en puissance des pressions européennes et américaines pour ouvrir l’accé€s aÌ€ ces eaux, et du caracté€re symbolique de la présence militaire et civile canadienne dans la région.
Afin de faire valoir sa position, le gouvernement canadien n’a pas d’autre choix que d’augmenter la présence réelle du Canada dans la région : un éventuel arbitrage juridique de la Cour internationale ne saurait manquer de souligner le faible investissement du pays dans cette région, faible investisse- ment contradictoire avec les préten- tions canadiennes aÌ€ la régir:en particulier, les Américains souligneront sans doute le manque d’infrastructure d’aide aÌ€ la navigation (balises, couver- ture aérienne, systé€mes de communica- tion, ports, brise-glaces). Ottawa pourrait donc réinvestir l’Arctique par le biais de brise-glaces, d’octroi de licences d’exploration et d’exploitation minié€re et donc d’incitatifs aÌ€ ces entre- prises, d’un financement accru de la recherche dans cette région, aÌ€ défaut d’une forte présence militaire tré€s couÌ‚- teuse. Par ailleurs, Ottawa pourrait coordonner ses positions sur sa sou- veraineté sur le passage du Nord-Ouest avec Moscou, qui se trouve face aux mé‚mes objections américaines quant aÌ€ la souveraineté russe sur les eaux du passage du Nord-Est, ou route maritime du Nord.