Il était facile de connaître Jack Layton. Il menait une vie très publique, à la fin de laquelle il s’est éteint avec discrétion, courage et dignité. « Je me battrai jusqu’à mon dernier souffle », avait-il d’ailleurs confié à notre collaborateur Robin Sears.

C’est par le bel hommage de celui-ci que nous ouvrons ce numéro sur la « nouvelle normalité » d’un gouvernement majoritaire à Ottawa. Une réalité très différente de celle qui nous était devenue familière après trois Chambres minoritaires et un Parlement de plus en plus dysfonctionnel.

La triste disparition de Jack Layton, qui nous a quittés sans quitter nos pensées, est l’un des aspects saisissants de cette nouvelle réalité politique.

L’homme était mon contemporain. Nous sommes en effet du même lieu et de la même époque, le Montréal anglophone des années 1960, mais nos vies ont ensuite emprunté des parcours divergents dans des villes différentes.

Ce n’est que quelques décennies plus tard que nous avons lié connaissance, lorsqu’il a pris la tête du NPD, et nos origines communes ont aussitôt facilité nos échanges.

Fin 2009, nous avons tous deux eu l’occasion d’engager avec Sheila Fraser, alors vérificatrice générale, une discussion que seuls peuvent avoir des Québécois anglophones. Fille de Ken Fraser, un fermier de Huntington qui sera élu à l’Assemblée nationale du Québec sous Robert Bourassa, Sheila avait étudié tout comme Jack à l’Université McGill, alors que j’avais passé en cette fin des années 1960 le plus clair de mon temps dans la salle de presse étudiante du collège Loyola, plus tard intégré à l’Université Concordia. C’était l’époque des cheveux longs et de l’agitation universitaire, des manifestes étudiants et des sit-ins dans les bureaux de la direction.

Nous étions tous trois accoudés au bar Zoe du Château Laurier, et ce même ADN qui nous unissait donnait à notre conversation des airs de retrouvailles scolaires.

J’ai revu Jack Layton cette même année à Ottawa, dans les locaux de la CBC, après la sortie d’un numéro d’Options politiques où il apparaissait en page couverture aux côtés des autres chefs de parti. « Ma mère a aimé la photo », m’a-t-il dit. Jusqu’au dernier moment, Doris Steeves, sa mère, aura joué un rôle décisif dans sa vie. Tout comme son père, Bob Layton, ministre puis président de caucus du gouvernement Mulroney.

Je n’étais pas un intime du père du temps où je travaillais au Cabinet du premier ministre, mais juste le fait de l’avoir connu a simplifié mes liens avec le fils. En deux mots, disons que ce père était le héros de Jack Layton, qui ne l’appelait jamais autrement que Dad.

Notre dernière vraie conversation remonte au printemps 2010, après qu’il eut annoncé qu’il souffrait du cancer de la prostate, la maladie qui avait emporté son père. C’était lors d’une entrevue où il a parlé de sa détermination à surmonter l’épreuve et de sa préparation au combat qui l’attendait.

Une fois le magnétophone fermé, nous avons parlé des nouvelles merveilles de nos vies, ma propre fille Zara et sa petite-fille d’un an, Beatrice.

Son visage s’est aussitôt illuminé. Et j’ai pu lire sur ses traits quelque chose qu’une caméra ne peut capter avec autant de vérité : la totale authenticité de l’homme.

Pour ce qui est de son héritage, il est limpide. Jack Layton a hissé le NPD de la quatrième à la deuxième place, il a fait d’un parti qui évoluait en marge de la vie politique canadienne un parti majeur susceptible de prendre le pouvoir. Avec 103 députés, le NPD forme l’opposition officielle la plus forte depuis 1980. Et que dire des 59 députés du Québec qui lui doivent leur siège, sinon qu’il s’agit d’une percée historique. C’est à la mesure de cet exploit que seront jugés tous ses successeurs à la tête du parti.

Au passage, il aura laminé le Bloc québécois, dont la déroute a provoqué de sérieux dommages collatéraux au Parti québécois, aujourd’hui en chute libre dans les sondages.

Bloquer la route au Bloc : tel est le grand service rendu par Jack Layton au Canada, aidé de tous les électeurs qui ont apprécié son message positif « Travaillons ensemble » et adopté comme un des leurs ce « bon Jack », dont le destin personnel les a émus.

Parlons aussi du ton plus civilisé qu’il a imprimé aux délibérations à la Chambre des communes dans la courte session où il en a été le chef de l’opposition. Et de son vif désir de rafler la mise au lieu de se satisfaire des victoires morales auxquelles les néodémocrates étaient habitués. D’un parti de perdants, il a fait du NPD un parti gagnant.

Pour ces raisons et bien d’autres, il a touché les Canadiens comme peu de leaders l’ont fait.

Avait-il droit à des funérailles nationales? Aucunement, selon le protocole. Les méritait-il? Les Canadiens y ont répondu d’une seule voix.

Une décision dont on peut créditer le premier ministre, qui a téléphoné à Olivia Chow sitôt informé de la mort de son mari pour lui proposer une exposition funéraire et des obsèques d’État. Stephen Harper s’est ainsi montré sensible aux circonstances, faisant preuve de générosité et manifestant une vraie compréhension de son rôle qui, au-delà de bien gouverner le pays, est de rassembler les Canadiens.

Nul besoin de partager les idées politiques de Jack Layton pour admirer ses états de service et son évolution en tant que leader. Car c’était justement un rassembleur et, tout simplement, un grand Canadien.

Photo: meunierd / Shutterstock

L. Ian MacDonald
L. Ian MacDonald is a former editor-in-chief of Policy Options (2002-12) and is currently an editor and publisher of Policy Magazine.

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