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Les personnes trans sont présentement dans le collimateur de certains Canadiens qui ont adopté la méthode de la droite américaine : des commentateurs extrémistes et des politiciens opportunistes déforment et amplifient des anecdotes afin de dépeindre les personnes trans comme des menaces pour nos enfants, et d’autres emboîtent le mouvement.

Fin août, au Québec, on apprenait qu’une enseignante trans avait demandé de se faire appeler « Mx », plutôt que madame ou monsieur. En même temps, on rapportait qu’une école d’Iberville, en Abitibi, allait rénover ses toilettes pour les rendre mixtes.

Sur les médias sociaux, plusieurs ont réagi comme si la transidentité était une maladie contagieuse, et comme si les écoles allaient changer de force le sexe des enfants et à l’insu des parents. Dans les médias du Québec, des commentateurs ont renchéri.

La réponse du ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, a été d’interdire les toilettes mixtes, même si le cas d’Iberville n’avait rien à voir avec l’identité de genre. Le fait que des toilettes de ce type existent déjà dans plusieurs écoles au Québec et certains arénas – et même des vestiaires mixtes dans des piscines publiques – n’a pas pesé lourd. Les directives sur les toilettes mixtes émises en 2021 par le ministère de M. Drainville non plus. Quand on l’a questionné, le ministre a dit s’être fié à son « expertise d’intimité ».

Le feu ne brûle pas qu’au Québec. Le 20 septembre, des manifestations ont eu lieu à travers le pays, incluant Montréal, où des groupes de parents, des militants de la droite radicale et certains membres de communautés religieuses ont trouvé un terrain d’entente pour demander une répression des droits et, dans certains cas, vomir leur haine des trans, gais et autres minorités sexuelles, parfois par la bouche de leurs propres enfants.

Nos dirigeants devraient apaiser cet environnement hostile, non seulement par des appels au calme, mais en refusant de courtiser les extrémistes avec des gestes dommageables et qui ne font qu’encourager les intolérants.

Qui doit se calmer?

Le premier ministre du Québec, François Legault, a lancé un « appel au calme des deux côtés », et dit comprendre « les parents qui sont inquiets », même si les parents anxieux sont très minoritaires, comme l’a montré un sondage Angus Reid.

Il y a en effet deux groupes qui sont moins « calmes » ces temps-ci. D’abord les personnes trans, qui servent malgré eux de carburant médiatique à des opposants qui incluent des agitateurs, des politiciens et des chroniqueurs opportunistes. On peut les comprendre d’être contrariés.

L’autre groupe qui n’est pas calme inclut des gens qui croient que les droits des parents supplantent ceux de leurs enfants jusqu’à la majorité de ces derniers, de même que des intégristes qui détestent – ou craignent – ceux qui ne correspondent pas à leur vision selon laquelle « un homme est un homme, et une femme est une femme ». La science a montré que même la réalité biologique est plus complexe.

Nos dirigeants ne doivent rien céder à ce groupe, et M. Legault aurait pu le dire clairement. Il a plutôt refusé d’exclure que des droits des personnes trans et non binaires soient modifiés. Et il a réitéré la position de son gouvernement contre les toilettes unisexes.

Legault aurait pu dire que les droits fondamentaux des personnes trans sont inaliénables. Marwah Rizqy, au PLQ, l’a fait. M. Legault aurait pu dire à quel point les enfants trans sont vulnérables, souffrent, et sont huit fois susceptibles de se suicider, comme l’a rappelé Gabriel Nadeau-Dubois, de Québec solidaire.

L’Assemblée nationale a adopté une motion déplorant les propos haineux contre la communauté LGBTQ, mais on ne sent pas – une fois de plus – une grande sensibilité du premier ministre aux droits fondamentaux.

Peut-être que parce que M. Legault craint de se faire dépasser sur sa droite (sociale) par le Parti Québécois ou le Parti conservateur du Québec. Peut-être aussi parce qu’il pense que la question des droits fondamentaux est un enjeu qui, comme d’autres, n’intéresse que les « intellectuels ». Ou peut-être un peu des deux.

Le nom du parti au pouvoir a beau être la Coalition avenir Québec, on a l’impression de reculer de quelques décennies, comme si les minorités sexuelles devaient, en 2023, se réapproprier des droits qui leur ont été garantis.

Et dans le ROC

François Legault n’est pas le seul à penser restreindre les droits d’une minorité vulnérable. Partout au pays, les partis conservateurs ont senti le filon politique, et les personnes transgenres et non binaires – qui représentent moins de 1 % de la population du pays – sont des victimes collatérales de la guerre culturelle importée des États-Unis.

La façon dont les questions de genre sont enseignées et gérées à l’école doit faire l’objet d’un débat rationnel, de préférence entre éducateurs et experts, avec la contribution des parents et de leurs points de vue divers. Cette contribution ne doit pas représenter un veto, ni servir de prétexte à des réactions impulsives des politiciens.

Pourtant, des deux côtés de la frontière, le soi-disant « gros bon sens » légitime les tirs contre une petite minorité de nos citoyens, certains parmi les plus vulnérables, et qui n’ont qu’une modeste requête dans une société de droit : pouvoir être eux-mêmes.

La première attaque provinciale contre les droits des personnes transgenres et non binaires a eu lieu en juin au Nouveau-Brunswick. Sous la direction du premier ministre Blaine Higgs, la province a obligé les enseignants à obtenir le consentement des parents pour utiliser les pronoms et noms préférés des élèves de moins de 16 ans. Le défenseur des enfants et des jeunes du Nouveau-Brunswick a qualifié cette politique de « bâclée » et de violation des droits protégés par la Charte canadienne des droits et libertés.

En Saskatchewan, le premier ministre Scott Moe a aussi imposé une politique obligeant les enseignants à informer les parents lorsqu’un élève demande à changer de nom ou de pronom.

M. Moe s’est dit prêt à utiliser la clause dérogatoire contre toute contestation judiciaire lancée au début du mois. Au Québec, François Legault a eu recours à la même tactique pour restreindre le droit au travail des minorités religieuses et prévenir l’annulation de la loi 21, qui interdit le port de signes religieux à certains employés de l’État.

Le premier ministre de l’Ontario, Doug Ford, a de son côté accusé les commissions scolaires d’« endoctriner » les élèves à propos de la non-conformité au genre, même s’il s’est abstenu jusqu’à présent d’en faire une politique officielle.

Pour couronner le tout, le Parti conservateur du Canada, qui pourrait former le prochain gouvernement fédéral, a adopté lors d’un récent congrès des résolutions s’opposant aux soins d’affirmation de genre pour les jeunes, défini une femme comme une « personne de sexe féminin » – afin d’exclure les femmes transgenres –, et appuyé en même temps l’interdiction des pratiques d’embauche qui favorisent les populations marginalisées.

Toutes ces mesures, combinées aux manifestations organisées ces derniers jours sous la bannière des « droits parentaux », mais qui ont parfois bifurqué en terrain anti-LGBTQ, se sont ajoutées à un environnement déjà hostile envers les personnes trans, qui étaient déjà l’une des minorités les plus vulnérables du pays bien avant que les pronoms des enfants ne deviennent un combat politique.

On le répète : les enfants trans ont cinq fois plus de chances d’avoir des pensées suicidaires, et huit fois plus de passer à l’acte. L’exclusion sociale – le refus d’accepter une personne pour qui elle est – peut tuer. Les crimes haineux liés à l’orientation sexuelle sont également en hausse, ayant plus que doublé depuis 2018.

Les dirigeants politiques et les partis à tous les niveaux, ainsi que les commentateurs qui influencent les lecteurs, les auditeurs et les téléspectateurs, doivent le réaffirmer haut et fort : l’État n’a pas à pas rogner les droits fondamentaux des personnes vulnérables simplement parce qu’elles sont tombées sous le radar d’acteurs radicaux et bruyants. L’histoire récente montre que ceux qui s’en prennent aux minorités fragiles ne s’arrêteront pas là.

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Patrick Déry
Patrick Déry est rédacteur adjoint à Options politiques, ainsi que chroniqueur et analyste de politiques publiques. Il s'intéresse notamment aux enjeux touchant la santé et les institutions démocratiques. On peut le suivre sur Twitter @patrickdery.
Les Perreaux
Les Perreaux est rédacteur en chef d’Options politiques, le magazine numérique de l’Institut de recherche en politiques publiques. En 25 ans de journalisme, il a couvert l’actualité nationale et internationale, y compris des catastrophes naturelles. Il étudie actuellement la gestion des urgences et des catastrophes à l’Université Wilfrid-Laurier.

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