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Lors du récent congrès du Parti conservateur du Canada (PCC), Pierre Poilièvre a cherché à se concentrer sur le coût de la vie, soulignant les besoins économiques des Canadiennes et Canadiens partout au pays. Son parti a toutefois décidé d’emprunter une autre voie, beaucoup plus sombre, en ignorant la science, en foulant aux pieds la Charte canadienne des droits et libertés et en important diverses théories du complot touchant au tissu même de la politique canadienne.

Une proposition censée « protéger la santé physique et mentale des enfants » a été adoptée à 69 % par les délégués conservateurs. Si cette proposition devait être retenue par un éventuel gouvernement conservateur, elle pourrait entraîner l’interdiction des soins d’affirmation de genre aux jeunes trans. En effet, malgré les appels des médecins, de plusieurs parents et des personnes trans elles-mêmes, le parti qui prétend défendre l’idée de « liberté » au Canada tente aujourd’hui de violer la confidentialité et la confiance sur lesquelles reposent la relation entre médecin et patient. De plus, cette proposition du PCC contredit toutes les grandes associations médicales aux États-Unis et au Canada en imposant ce qui représente en fait un point de vue marginal sur les personnes 2ELGBTQ+.

Ce n’est pas tout. Une proposition visant à redéfinir la femme comme une « personne de sexe féminin » – et ce, dans le but d’exclure les personnes trans – a également été adoptée, tout comme une autre accusant les formations sur la diversité, l’équité et l’inclusion d’être « idéologiquement motivées », dans le but de les interdire au sein du secteur public. Une proposition cherchant à bannir les pratiques d’embauche conçues pour accroître l’inclusion des populations marginalisées en milieu de travail a aussi été adoptée avec une majorité écrasante. Quelles que soient les intentions réelles de Pierre Poilièvre, les membres du PCC souhaitent manifestement que le parti suive les traces du Parti républicain des États-Unis en ciblant certaines des personnes les plus sous-représentées et marginalisées dans notre société.

Il n’y a pas si longtemps, le Canada devenait l’un des premiers pays à légaliser le mariage gai. Depuis, le gouvernement fédéral et l’ensemble des juridictions provinciales et territoriales ont élargi la protection des droits de la personne pour y comprendre l’identité et l’expression de genre. Plus récemment, à l’automne 2021, le gouvernement du Canada interdisait les thérapies de conversion, avec le soutien unanime de tous les partis. Pourtant, voilà que la capacité des personnes trans d’accéder à des soins de santé et de voir leurs droits fondamentaux protégés se trouve soudainement et profondément menacée.

Le congrès du PCC a conclu un été où des gouvernements provinciaux n’ont cessé de cibler les personnes trans. Tout récemment, le Nouveau-Brunswick et la Saskatchewan ont introduit des politiques restreignant la capacité des élèves trans d’être appelés par leurs nom et pronom choisis à l’école. Les gouvernements du Manitoba et de l’Ontario pourraient bien leur emboîter le pas. Le cas échéant, près de la moitié des élèves trans canadiens qui ne sont pas soutenus par leurs parents devront faire un choix désastreux : voir leur transidentité révélée à leurs parents par leurs enseignants contre leur gré avec des conséquences (comme l’itinérance) susceptibles de mettre à risque en danger, ou subir la douleur quotidienne du mégenrage, simplement parce que le gouvernement l’a décidé.

Une étude de 2019 menée auprès de quelque 1500 jeunes Canadiennes et Canadiens trans révèle que 6 % d’entre eux ne se sentent jamais ou presque jamais en sécurité chez eux. Cette insécurité a de graves conséquences : des décennies de recherche montrent en effet que jusqu’à 40 % des jeunes trans et queer se retrouvent dans la rue ou en famille d’accueil. Les jeunes dont les parents ne les appuient pas sont en outre beaucoup plus susceptibles d’éprouver des idées suicidaires et de commettre une tentative de suicide.

Aujourd’hui, la plupart des Canadiennes et Canadiens n’accepteraient jamais qu’un enseignant révèle à des parents l’orientation sexuelle de leur enfant sans son consentement. Pourquoi donc en est-il autrement du genre? Qu’est-ce qui justifie d’accorder aux parents un droit absolu sur l’identité de genre de leurs enfants, comme s’il s’agissait d’un droit de propriété? Et pourquoi permettre au gouvernement d’ignorer le meilleur intérêt des jeunes, des parents qui les soutiennent et de leurs médecins afin d’imposer une vision selon laquelle « protéger la santé physique et mentale des enfants » se fasse aux dépens de leur bien-être – et même de leur vie – en leur refusant les soins dont ils ont besoin?

Un sondage de 2013 montre que pour plus de 90 % des Canadiennes et des Canadiens, la Charte canadienne des droits et libertés est l’un des plus importants symboles de l’identité du pays. En dédaignant la science, en bafouant la Charte et en s’attaquant aux droits des minorités, on compromet par conséquent la nature même de ce qui fait de nous des Canadiens.

Que les conservateurs le sachent : ceci n’est pas le Canada.

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Celeste Trianon
Céleste Trianon est une juriste transféminine primée, gestionnaire de clinique juridique et défenseure des droits de la personne basée à Montréal. Elle intervient régulièrement dans les médias à propos des personnes transgenres au Québec et au Canada.
Kimberley Manning
Kimberley Manning est directrice de l’Institut Simone de Beauvoir et professeure au département de science politique de l’Université Concordia. Elle fait partie d'une équipe nationale de chercheurs financés par le CRSH qui étudient les parents de jeunes trans et non-binaires.

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