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La plus haute fonctionnaire du Canada a récemment annoncé ses couleurs quant à l’avenir du travail dans la fonction publique fédérale. Elle a demandé aux employés du puissant Bureau du Conseil privé (BCP) d’être présents au bureau deux jours par semaine, et de ne plus travailler à distance à temps plein, à moins de « circonstances exceptionnelles ».

Dans une note de service datée du 13 septembre, la greffière du Conseil privé, Janice Charette, a énoncé les principes directeurs du passage au travail hybride. Elle s’attend à ce que les cadres de son ministère les mettent en œuvre d’ici la fin septembre.

Le Bureau du Conseil privé est le centre nerveux du gouvernement ainsi que le ministère du premier ministre. Mme Charette, en tant que patronne de la fonction publique, montre donc la voie à suivre aux sous-ministres de tous les ministères en ce qui concerne ce retour au travail retardé tant de fois – et envoie en même temps un signal fort de s’y mettre.

« Nous avons maintenant l’occasion de définir et de façonner notre nouvel environnement de travail – un environnement qui facilite la collaboration, qui attire et retient les talents, qui est équitable pour tous, et riche en expériences et en possibilités d’apprentissage », écrit-elle dans sa note de service.

« Nous avons besoin d’une approche hybride qui soit transparente et flexible, qui reconnaisse la nature et les exigences uniques du BCP, et qui adopte et équilibre les meilleurs aspects de la présence au bureau avec les avantages du télétravail ».

Un « sport d’équipe » fondé sur la collaboration

Mme Charette, qui a signé la note avec la greffière adjointe Nathalie Drouin, a qualifié les efforts du BCP pour soutenir le Cabinet et le premier ministre de « sport d’équipe » fondé sur la collaboration et le travail en personne. Les nouvelles lignes directrices marquent le début de la « prochaine phase » pour l’avenir du travail au BCP.

En entrevue à Options politiques, Mme Charette a étendu sa vision au reste de la fonction publique, et dit croire que la formule hybride est la voie de l’avenir pour le travail au gouvernement.

« Je crois à cent pour cent que pour le futur de la fonction publique, nous devons penser à un certain degré de présence en personne. Sinon, je crains sérieusement que nous ne négligions nos employés », a dit Mme Charette.

« Est-ce que tout doit se passer au bureau ? Je ne le pense pas. Est-ce que tout le monde doit travailler de la maison ? Je ne le pense pas. Qu’est-ce que ce sera ? Ça reste à construire. »

Télétravail : Ottawa refuse d’imposer des règles pour l’ensemble des ministères

Les directives de Mme Charette ne concernent que le BCP. Bien qu’elle dirige la fonction publique, le pouvoir décisionnel quant à la façon dont les fonctionnaires sont gérés appartient au Conseil du Trésor, en tant qu’employeur. Le Conseil a adopté une approche non interventionniste, laissant aux ministères le soin de décider comment rendre leur effectif hybride. Les approches qui en ont découlé ont donc varié grandement.

Les employés du BCP sont retournés au bureau en juin pour tenter de jauger pendant l’été le type de présence en personne qui est requis pour leur travail. Cet essai estival, suivi d’une enquête auprès des employés pour recueillir leurs commentaires, a conduit à l’élaboration des nouvelles directives.

Les gestionnaires ont décidé que la nature du travail du BCP exigeait que les employés soient présents au bureau au moins deux fois par semaine. En pratique, tous les employés viendront au bureau pour l’« équivalent » de deux jours par semaine. Les directions générales sont encouragées à avoir toutes leurs unités de travail au bureau en même temps, mais elles peuvent s’arranger autrement.

Mme Charette a demandé aux gestionnaires de faire preuve de souplesse et de tenir compte de la situation personnelle des employés lorsqu’ils appliquent le taux de présence minimal, afin de « préserver les éléments de l’équilibre entre le travail et la vie personnelle que tant d’entre vous ont appris à apprécier ».

Vers une « nouvelle normalité » ou une rébellion ?

Le gouvernement a tenté de ramener les fonctionnaires au bureau à plusieurs reprises depuis plus d’un an, mais les plans ont été retardés. Au printemps, beaucoup d’entre eux rechignaient à l’idée d’y retourner et se préparaient à monter au front pour continuer à travailler de la maison.

Mme Charette a redoublé ses efforts pour remettre le retour au bureau sur les rails, et demandé aux sous-ministres de prendre l’été pour faire des tests afin d’être prêts à lancer les plans en septembre. La fête du Travail est devenue la cible pour un retour à grande échelle. Plusieurs ministères sont partis du mauvais pied lors de rencontres avec leurs employés, ce qui a entraîné la résistance en ligne du « Subwaygate ».

Maintenant que la fête du Travail est passée, il reste à savoir si les fonctionnaires vont revenir à la « nouvelle normalité » ou si une rébellion des travailleurs se prépare.

Plusieurs s’attendent à ce que la saison de la grippe et une autre vague de sous-variants d’Omicron retardent à nouveau les plans de retour au bureau. D’autres se préparent à une résistance silencieuse – plutôt qu’à une rébellion pure et simple. Ils pensent que certains travailleurs vont étirer, voire défier les directives, et attendre la réaction des gestionnaires. Parmi ces derniers, beaucoup sont aussi attachés au télétravail que leur personnel, et seront donc réticents à prendre des mesures disciplinaires à l’égard de leurs employés.

« Notez bien ce que je dis, nous serons dans la même situation à Noël, et probablement au printemps », a soutenu un haut fonctionnaire qui n’est pas autorisé à s’exprimer publiquement.

Incohérence, confusion et ressentiment

Les syndicats se sont plaints dès le début que l’approche du Conseil du Trésor était trop floue. Elle a engendré de l’incohérence, de la confusion, de l’inertie et, maintenant, le ressentiment des travailleurs qui pensent avoir prouvé qu’ils pouvaient travailler à distance et qui veulent que les choses restent ainsi.

Mais Mme Charette tient bon. Elle reconnaît qu’il ne sera pas facile de trouver un modèle hybride pour le gouvernement. Il faudra beaucoup d’expérimentation. On devra aussi tout repenser – la sécurité, la conception des bureaux, l’espace et la mise à niveau de l’infrastructure.

Elle estime cependant que le modèle hybride est essentiel pour conserver la « capacité institutionnelle » de la fonction publique. Les fonctionnaires ont pu réagir rapidement à la pandémie parce qu’ils ont puisé dans une énorme réserve de compétences, de relations et de confiance bâties par des années de travail en personne.

Selon Mme Charrette, les ministères doivent investir dans la constitution d’équipes et la collaboration, car cette réserve s’épuise à mesure que les gens partent, déménagent ou embauchent de nouvelles recrues. Comment reconstruire les relations et la confiance si les gens ne se rencontrent jamais en personne ?

Il y aura beaucoup de problèmes. Tous les bâtiments fédéraux ne disposent pas du wi-fi. Il n’y a pas assez de salles de réunions avec la bande passante nécessaire pour gérer des réunions en hybride, avec des personnes dans la salle et d’autres un peu partout à travers le pays.

Mme Charrette est d’avis qu’une directive obligeant tout le monde à revenir deux ou trois jours par semaine serait l’approche la plus simple, mais cela n’aidera pas davantage les ministères à trouver la combinaison idéale de travail en personne et à distance pour mener à bien leurs activités.

Elle a aussi dit qu’elle s’attendait à ce que les gestionnaires fassent venir les employés au bureau pour une « raison » et pour une durée qui ait un peu de sens. On s’attend généralement à ce que le travail à distance soit réservé au travail plus difficile et qui nécessite plus de concentration. Le bureau sera réservé aux tâches plus légères, comme la collaboration et les remue-méninges.

« Est-il logique que les gens viennent au bureau pour s’asseoir devant un écran d’ordinateur et passer toute la journée sur des appels Teams ? Absolument pas, a dit Mme Charette. Les gestionnaires devront réfléchir aux raisons pour lesquelles ils font venir les gens au bureau. »

Elle comprend que les employés se soient attachés à la flexibilité du travail à domicile. Ils ont réorganisé leur vie. Ils se sentent plus productifs et ne veulent pas revenir aux déplacements quotidiens et aux restrictions de la vie de bureau de 9 à 5.

Un retour au bureau sur fond de négociations

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Mais Mme Charette a rappelé que la première tâche de la fonction publique est de « fournir de la valeur aux contribuables ». Cela signifie qu’il faut trouver la meilleure combinaison entre le travail en personne et à distance afin d’atteindre cet objectif, tout en équilibrant la responsabilité et les préoccupations des employés.

Au-delà des outils virtuels

Les employés de bureau représentent environ la moitié de la fonction publique. Les travailleurs de première ligne – des gardes-frontières aux gardiens de prison, en passant par les inspecteurs – se sont rendus au bureau et dans d’autres lieux de travail tout au long de la pandémie. Le gouvernement a également embauché des milliers de nouveaux employés, dont beaucoup n’ont pas encore mis les pieds au bureau.

La pandémie a accéléré le passage du gouvernement au numérique. Les appels sur Zoom, l’utilisation de nouveaux outils de collaboration comme Teams et les autres améliorations permettant de gagner du temps, comme les signatures électroniques, sont désormais monnaie courante.

Mme Charette veut s’appuyer sur ces succès, mais elle ne pense pas que les outils virtuels soient suffisants pour fournir tous les services dont les Canadiens ont besoin. Ils contribueront toutefois à briser l’emprise d’Ottawa sur les emplois dans la fonction publique et à ouvrir des postes convoités en politique publique aux Canadiens vivant à l’extérieur de la capitale.

« La façon dont une solution fonctionne à l’Île-du-Prince-Édouard peut être très différente à Calgary. Cette perspective et cette compréhension régionales doivent également influencer notre réflexion en matière de politiques publiques. »

L’autrice a bénéficié d’une bourse de journalisme Accenture sur l’avenir de la fonction publique. Découvrez ici les autres chroniques de Kathryn May. 

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Kathryn May
Kathryn May est la boursière Accenture en journalisme sur l'avenir de la fonction publique. Dans les pages d'Options politiques, elle examine les défis complexes auxquels font face les fonctionnaires canadiens. Elle a couvert la fonction publique fédérale pendant 25 ans pour le Ottawa Citizen, Postmedia et iPolitics. Gagnante d'un prix du Concours canadien de journalisme, elle a aussi mené des recherches sur la fonction publique pour le compte du gouvernement fédéral et d'instituts de recherches.

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