L’année 2020 marquera les esprits en raison de la pandémie de COVID-19, mais elle est aussi importante pour d’autres raisons : on y souligne les 40e et 25e anniversaires des deux référendums portant sur la souveraineté du Québec. Elle offre donc une occasion de mesurer l’appui à la souveraineté et, de façon plus générale, la force du nationalisme québécois, qui a façonné en grande partie la politique québécoise et influencé la politique canadienne de la deuxième moitié du 20e siècle.

Notons que les Québécois qui étaient en âge de voter lors de ces deux référendums représentent aujourd’hui une minorité, le quart de la population québécoise étant né après 1995 et la moitié après 1980. Seulement une personne sur deux de la population actuelle a donc pu participer au référendum de 1995. Pour la majorité des Québécois, les référendums font partie de l’histoire.

Cela signifie-t-il que le rêve souverainiste est chose du passé pour les plus jeunes générations de Québécois ? Depuis le premier référendum, le débat resurgit périodiquement et on se demande si le passage du temps rendra une victoire du oui ou du non inévitable. Les jeunes Québécois francophones sont-ils plus attachés ou moins attachés au Canada que leurs aînés ? Ont-ils plus tendance à appuyer le nationalisme québécois ou le délaissent-ils ? S’en soucient-ils même ?

Les sondages du projet Confédération de demain, menés en 2019 et en 2020 par l’Environics Institute for Survey Research, en collaboration avec la Canada West Foundation, le Centre d’analyse politique – Constitution et fédéralisme, l’Institut de recherche en politiques publiques et le Brian Mulroney Institute of Government, nous fournissent quelques réponses à ces questions. Certaines peuvent nous sembler familières, d’autres, plus surprenantes. Prises ensemble, elles permettent de conclure que le clivage politique entre souverainistes et fédéralistes, qui a dominé au Québec pendant plusieurs décennies, ne représente plus nécessairement le meilleur angle pour analyser la politique québécoise.

L’identité

Nous avons posé aux répondants plusieurs questions sur leur identité et nous reproduisons dans les figures qui suivent les principaux résultats obtenus. Pour le Québec, nous nous concentrons sur les opinions des Québécois francophones, soit ceux qui ont déclaré que le français est la langue la plus souvent parlée à la maison. Notre échantillon comptait peu de Québécois non francophones.

Au fil des ans, les Québécois francophones se définissent de plus en plus comme Québécois et de moins en moins comme Canadiens : la proportion de ceux qui se considèrent uniquement ou d’abord comme Québécois est passée de 57 % en 2003 à 67 % en 2020 (figure 1). Mais ce changement est attribuable aux générations plus âgées. De fait, 61 % des jeunes Québécois francophones de 18 à 34 ans se disent uniquement ou d’abord Québécois, ce que font 68 % des 40 à 54 ans et 71 % des 55 ans et plus. Dans ce dernier groupe, la proportion de ceux qui se disent uniquement ou d’abord Canadiens a baissé de 32 % en 2003 à 10 % en 2020.

Lorsqu’il est question des facteurs contribuant à leur identité personnelle, les Québécois francophones, toutes générations confondues, nomment la langue comme facteur prépondérant, suivie de l’appartenance à la province (figure 2). L’écart entre le Québec et les autres provinces est particulièrement grand à cet égard. Notre sondage nous a montré par ailleurs que seulement 14 % des Québécois francophones de moins de 40 ans considèrent que leur langue est un aspect de leur identité qui n’est pas très important ou n’est pas du tout important. Il n’en demeure pas moins que la prépondérance de certains des éléments fondateurs de l’identité nationale au Québec ― le sentiment d’appartenance à la province, l’origine canadienne-française, la langue française ― est plus faible parmi les plus jeunes générations.

L’inquiétude par rapport à la situation de la langue française augmente avec le temps : en 2020, 68 % des Québécois francophones estiment que la langue française est menacée au Québec, comparativement à 59 % en 2003. Mais, ici encore, comme le montre la figure 3, ce sont avant tout les Québécois plus âgés qui se montrent très préoccupés : 52 % des francophones de moins de 35 ans considèrent que la situation du français est inquiétante, alors que 75 % des personnes de 55 ans et plus sont de cet avis. Il s’agit d’un renversement de tendance par rapport à 2003, puisque les Québécois plus âgés se montraient alors beaucoup moins préoccupés que les plus jeunes de l’avenir de la langue française dans la province.

Depuis toujours, l’inquiétude par rapport à la situation du français est liée à l’appui à la souveraineté. Quant aux Québécois francophones de 18 à 39 ans, même s’ils se disent moins souverainistes que leurs aînés, ils ne sont pas devenus plus fédéralistes pour autant. Il serait plus juste de dire qu’ils sont moins enclins que leurs prédécesseurs à prendre parti dans le débat traditionnel. Quand on leur demande s’ils se considèrent principalement comme fédéralistes ou comme souverainistes (figure 4), 53 % se situent entre les deux (29 %) ou ne sont ni l’un ni l’autre (24 %), et seulement le tiers ont choisi leur camp et s’affirment comme principalement fédéralistes (15 %) ou principalement souverainistes (17 %). Environ la moitié des Québécois de 55 ans et plus se prononce pour l’une ou l’autre option : 22 % se considèrent comme fédéralistes et 27 % se disent d’abord souverainistes. Par contre, 40 % des moins de 40 ans estiment qu’ils ne sont ni l’un ni l’autre ou disent ne pas savoir ; ils sont donc près de deux fois plus nombreux que les personnes de 55 ans et plus (23 %) à s’inscrire dans ces catégories.

 La représentation

C’est cependant au chapitre des attentes envers les différents gouvernements que l’on observe le plus grand écart entre l’opinion des jeunes Québécois francophones et celle des Québécois plus âgés.

Notre sondage de 2020 demandait aux Canadiens de désigner l’ordre de gouvernement ― fédéral, provincial ou territorial, municipal ― qui représente le mieux leurs intérêts. Selon nos résultats (non montrés dans les figures), les Canadiens sont deux fois plus nombreux à nommer le gouvernement provincial ou territorial (31 %) plutôt que le gouvernement fédéral (16 %) ou l’administration municipale (16 %). Bien entendu, il y a une différence entre les francophones du Québec et les résidents des autres provinces : un Québécois francophone sur deux (51 %) se prononce en faveur du gouvernement provincial, comparativement à un Canadien sur quatre (26 %) à l’extérieur du Québec.

Le plus surprenant dans ces résultats, c’est la différence marquée entre les générations de Québécois francophones : les babyboomers sont deux fois plus nombreux que les millénariaux à répondre que le gouvernement provincial représente le mieux leurs intérêts. Plus précisément, c’est le cas de 31 % des francophones de 18 à 39 ans, contre 50 % des personnes de 40 à 54 ans et 65 % des 55 ans et plus. Une telle différence générationnelle n’existe pas ailleurs au pays (figure 5).

Pour autant, on ne peut en conclure que les jeunes Québécois francophones seraient plus enclins à favoriser le gouvernement fédéral. En fait, ils ont plutôt tendance à se détourner des gouvernements. Ainsi, 46 % des personnes de 18 à 39 ans n’ont pas d’opinion sur le sujet ou estiment qu’aucun gouvernement ne représente leurs intérêts, alors que seulement 24 % des 55 ans et plus sont de cet avis.

On peut observer des différences semblables lorsqu’il est question du gouvernement qui est le plus digne de confiance pour prendre les bonnes décisions dans différents domaines. Pour ce qui est de la gestion du système de santé (figure 6), les Québécois francophones de 55 ans et plus sont deux fois plus nombreux à désigner le gouvernement provincial (54 %) que ceux de 18 à 39 ans (25 %). À ce chapitre, le choix des Canadiens des autres provinces est beaucoup plus homogène : on ne note aucune différence marquée entre les générations ni, non plus, à l’endroit des divers ordres de gouvernement.

De même, sur la question de la gestion de l’immigration et des réfugiés (figure 7), les personnes de 55 ans et plus (38 %) font beaucoup plus confiance au gouvernement provincial que les 18 à 39 ans (18 %) pour prendre les bonnes décisions dans ces domaines. Encore une fois, les résultats entre les différents groupes d’âge sont beaucoup plus homogènes dans le reste du Canada.

 

En résumé, il y a des différences importantes entre les générations de Québécois francophones en ce qui concerne leur propension à se tourner vers le gouvernement provincial. Les babyboomers sont nés et ont grandi durant la Révolution tranquille ; ils sont devenus des adultes à une époque marquée par la première élection d’un gouvernement souverainiste en 1976, le référendum de 1980 et le rapatriement de la Constitution en 1982. Ils sont beaucoup plus nombreux à considérer que leur gouvernement provincial représente le mieux leurs intérêts et aussi à faire plus confiance à Québec qu’à Ottawa pour ce qui est de la gestion de services importants comme la santé et l’immigration. Les millénariaux ont atteint l’âge adulte après les débats constitutionnels du lac Meech et de Charlottetown, et après le deuxième référendum de 1995. S’ils ne sont pas plus fédéralistes que leurs aînés, ils ne sont pas pour autant tournés vers l’État québécois.

L’un des principaux constats de nos sondages est la similarité croissante entre les opinions des jeunes Québécois francophones et celles des jeunes des autres provinces pour ce qui est de la question de la représentation de leurs intérêts. Parmi les personnes de 55 ans et plus, 38 points de pourcentage séparent les Québécois francophones des Canadiens des autres provinces en ce qui a trait au choix du gouvernement qui s’acquitte le mieux de cette tâche : au Québec, 65 % des personnes de ce groupe d’âge choisissent le gouvernement provincial, alors que ce sont 17 % chez les Canadiens des autres provinces. Chez les moins de 40 ans, l’écart est réduit à deux points de pourcentage.

Mise en perspective

Chacun des référendums sur la souveraineté a forcé les Québécois à faire un choix historique. Certains partisans de l’un ou de l’autre camp ont pu trouver que ce choix était facile à faire, mais d’autres l’ont jugé plutôt difficile. Les citoyens ont chaudement débattu de la question, non seulement durant les campagnes référendaires, mais aussi durant les années qui ont précédé et suivi le vote. Le jour du référendum, il n’y avait pas d’entre-deux. Le bulletin de vote n’offrait pas les options « ni l’un ni l’autre », « ça dépend » ou « ne sais pas ». Les citoyens devaient choisir entre le oui et le non.

Cette façon dichotomique de poser la question trouve moins d’écho chez les générations nées après les périodes référendaires. Toutefois, pour ce qui est de l’interprétation de cette tendance, les fédéralistes doivent se montrer prudents et éviter de prendre leurs désirs pour la réalité. Si les jeunes Québécois francophones ont des liens plus ténus avec le mouvement nationaliste, ils ne sont pas pour autant plus attachés au fédéralisme ou au Canada. Il est vrai que, d’une certaine façon, leur opinion sur plusieurs questions se rapproche davantage de celle des autres jeunes Canadiens, alors qu’un fossé sépare les Québécois de 55 ans et plus des autres Canadiens du même groupe d’âge. Cependant, quand seulement 17 % des Québécois francophones de moins de 40 ans disent se considérer d’abord ou uniquement comme Canadiens plutôt que comme Québécois et que seulement 15 % des représentants de ce groupe se définissent comme principalement fédéralistes, il est difficile de conclure que les questions existentielles sur l’unité canadienne ont disparu pour de bon.

Cela dit, dans la manière de regarder les débats sur l’appartenance et l’identité, il y a une différence marquée entre les générations de Québécois francophones qui ont construit l’État québécois à l’époque de la Révolution tranquille et de la quête d’autonomie provinciale, et ceux qui sont devenus des adultes après les référendums et les grands débats constitutionnels. Plusieurs jeunes Québécois semblent avoir délaissé les grandes discussions traitant des enjeux référendaires, sans doute parce que cela leur donne l’espace nécessaire pour poursuivre les rêves qui leur sont propres, lesquels sont non moins nobles ou ambitieux.

Les auteurs remercient Colleen Collins (Canada West Foundation) et Donald Abelson (Brian Mulroney Institute of Government) pour leur collaboration aux sondages du projet Confédération de demain. 

Le sondage de 2019 a été mené entre le 14 décembre 2018 et le 16 janvier 2019 auprès de 5 732 Canadiens âgés de plus de 18 ans, dont 1 021 au Québec. Il a été effectué en ligne dans les provinces et au téléphone dans les territoires. Le sondage de 2020 a été mené de la même façon entre le 13 janvier et le 20 février 2020 auprès de 5 152 Canadiens de plus de 18 ans, dont 1 000 au Québec. Certains rapports détaillés, y compris des données, peuvent être consultés sur le site Web https://www.environicsinstitute.org/projects. D’autres rapports seront publiés sous peu.

Dans certains cas, les résultats des sondages ont été comparés à ceux des études Portraits of Canada menées par le Centre for Research and Information on Canada (CRIC) au début des années 2000. Plusieurs de ces rapports et questionnaires se trouvent en ligne sur le site Web de la bibliothèque de l’Université Carleton, à https://library.carleton.ca/find/data/centre-research-and-information-canada-cric.

Photo : Manifestation sur l’avenue du Parc, devant le monument de sir George-Étienne Cartier, Montréal, septembre 2019. Shutterstock / Catherine Zibo.

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Charles Breton
Charles Breton est le directeur du Centre d’excellence sur la fédération canadienne à l’IRPP, et l'ancien directeur de la recherche à Vox Pop Labs. Il détient un doctorat en science politique de l’Université de la Colombie-Britannique.
Alain-G. Gagnon
Alain-G. Gagnon est professeur au Département de science politique de l’Université du Québec à Montréal, titulaire de la Chaire de recherche du Canada en études québécoises et canadiennes (CREQC). Il est aussi directeur du Centre d’analyse politique – Constitution et fédéralisme (CAP-CF) et codirecteur de l’axe de recherche Nations et diversité du Centre de recherche interdisciplinaire sur la diversité et la démocratie (CRIDAQ).
Andrew Parkin
Andrew Parkin est directeur général de l’Institut Environics. @parkinac

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