En campagne électorale, Justin Trudeau s’est engagé à investir 6 milliards de dollars dans les soins de longue durée et à ajouter un autre montant de 9 milliards pour éliminer les listes d’attente et embaucher 7 500 nouveaux médecins de famille et infirmières. Ces investissements seraient assortis de « normes nationales » plus strictes, afin d’exiger des « résultats concrets » des gouvernements provinciaux. Se disant à l’aise avec l’idée de normes nationales renforcées, Jagmeet Singh a renchéri, affirmant que le respect des compétences provinciales ne devrait « pas être une excuse » pour empêcher Ottawa d’intervenir en santé. « Les gens, observait-il, ne se préoccupent pas des compétences : ils veulent des résultats. »

« Cela fait des années qu’au Canada, on parle d’investissements en santé, expliquait Justin Trudeau. Un milliard de plus ici, 100 millions de plus là, plusieurs milliards ailleurs… On parle toujours de l’argent qu’on investit en santé, mais on ne parle pas assez souvent des résultats en santé. » 

On parle beaucoup d’investissements, en effet, mais surtout pour déplorer leur insuffisance.

On parle beaucoup d’investissements, en effet, mais surtout pour déplorer leur insuffisance. Au départ, dans les années 1950, la contribution du fédéral devait en principe s’approcher de 50 % des coûts, mais elle a diminué avec le temps et oscille entre 20 et 23 % depuis une quinzaine d’années. Et la tendance est toujours à la baisse, parce que les coûts des soins de santé augmentent plus vite que la contribution d’Ottawa. En offrant un milliard par-ci, un milliard par-là, le gouvernement fédéral fait de moins en moins sa part.

Les conservateurs, qui sont en général plus respectueux de la nature fédéraliste du régime politique canadien, proposent de leur côté de revenir à la hausse prévisible de 6 % par année instaurée par Paul Martin en 2004, ce qui représenterait une augmentation d’à peu près deux points de pourcentage par rapport au statu quo. En dix ans, selon une estimation des économistes Ayaka Behro et Trevor Tombe, la contribution du fédéral pourrait passer de 23 à 27 %. Une telle hausse ne serait pas insignifiante, mais le problème demeurerait entier. Comme l’a montré à plusieurs reprises le directeur parlementaire du budget, les finances fédérales sont viables à long terme et comportent des surplus récurrents en perspective, alors que les budgets des provinces sont presque tous condamnés à être déficitaires, principalement à cause du poids des dépenses de santé. Pour corriger véritablement ce déséquilibre fiscal, les gouvernements provinciaux estiment que la contribution du fédéral dans le secteur de la santé devrait augmenter substantiellement, pour atteindre 35 % des coûts engagés.

Une telle hausse, qui représenterait 27,6 milliards de dollars en 2021-2022 seulement, semble fort improbable. C’est pourtant une bonne mesure du déséquilibre fiscal qui existe entre les deux ordres de gouvernement.

C’est d’ailleurs ce qui explique pourquoi les partis politiques font largement campagne dans la cour des provinces. Les ressources sont à Ottawa, mais ce sont les provinces qui éprouvent des besoins. Les chefs des partis ont tout simplement les moyens de proposer un milliard par-ci, un milliard par-là, et de donner aux provinces des leçons de bonne gouvernance.

Moins interventionnistes, les conservateurs ont aussi leurs préférences en ce qui concerne ce que font ou ne font pas les gouvernements provinciaux. Par exemple, ils élimineraient les ententes fédérales-provinciales sur les services de garde pour instaurer plutôt un nouveau crédit d’impôt pour la garde d’enfants. Nous avons déjà joué dans ce film quand les conservateurs de Stephen Harper ont succédé aux libéraux de Paul Martin, en 2006, et les résultats n’ont pas été concluants.

Si jamais Ottawa acceptait de hausser ses transferts au niveau demandé par les provinces, il y aurait cependant des effets politiques. Les provinces deviendraient en effet moins autonomes financièrement, et la capacité du fédéral d’imposer des normes nationales s’en trouverait renforcée. La règle d’or du fédéralisme fiscal, disait l’économiste Thomas Joseph Courchene, c’est que celui qui a l’or fait la règle.

La solution viable à un tel déséquilibre qui met en péril le bon fonctionnement de la fédération consisterait à revoir la répartition des ressources financières entre les deux ordres de gouvernement, pour transférer une partie des champs d’imposition du fédéral aux provinces. C’est ce que recommandait la Commission sur le déséquilibre fiscal (la Commission Séguin, dont je faisais partie) en 2002.

Le gouvernement fédéral n’a jamais manifesté d’ouverture pour un tel scénario et il est peu probable qu’il le fasse, parce qu’une bonne partie des Canadiens considère le gouvernement fédéral comme une sorte d’instance nationale qui devrait être responsable de tout ce qui importe. Le gouvernement du Québec aurait tout de même intérêt à mettre à jour ses travaux sur le déséquilibre fiscal, ne serait-ce que pour mieux rendre compte des incohérences qui minent le fonctionnement de la fédération. Ce serait un début de réponse à ces politiciens qui font campagne comme si le gouvernement fédéral, qui a de la difficulté à administrer la paie de ses propres fonctionnaires, savait mieux que les provinces comment gérer les soins de longue durée, l’embauche des infirmières et les services de garde.

En principe, le Bloc québécois pourrait aussi faire la promotion d’un tel rééquilibrage des finances de la fédération. Mais le parti d’Yves-François Blanchet est tellement collé aux volontés du gouvernement du Québec qu’il ne fait que reproduire les demandes de celui-ci, même les plus absurdes. Au sujet du troisième lien, notamment, le Bloc souhaite que le gouvernement fédéral se contente d’ouvrir la caisse, et appuie sans réfléchir un projet qui consacrerait près de 10 milliards de dollars à la réduction temporaire du temps de transport de quelques banlieusards. Or, en vertu de quel principe fédéral Ottawa devrait-il abandonner son obligation d’être imputable pour des dépenses de 4 milliards de dollars qui ne serviraient qu’à une région et qui mineraient une stratégie déjà déficiente de lutte contre les changements climatiques ?

Condamné à rester dans l’opposition, le Bloc pourrait au moins offrir aux électeurs québécois préoccupés par l’environnement une voix à la Chambre des communes. De toute évidence, ce sera pour une autre fois. Comme les autres partis, le Bloc se dit « vert », pourvu que cela ne demande aucun effort. On peut alors s’arroger le droit de critiquer les pipelines des autres tout en quémandant des fonds pour nos tunnels à nous.

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Alain Noël
Alain Noël est professeur de science politique à l’Université de Montréal ; il est l’auteur du livre Utopies provisoires : essais de politique sociale (Québec Amérique, 2019)

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