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Le Québec dispose de l’un des programmes d’indemnisation des victimes d’actes criminels violents les plus complets au Canada. Mais une réduction importante de la durée des prestations, il y a trois ans, plongera bientôt de nombreuses victimes dans la pauvreté.
La possibilité de recevoir des paiements à vie a été supprimée avec l’adoption du projet de loi 84, Loi visant à aider et à favoriser le rétablissement des victimes d’actes criminels. Depuis 2021, les victimes d’actes criminels graves ne disposent plus que de trois ans pour se remettre sur pied. L’impact de cette limite se fera sentir à partir du 13 octobre prochain. De nombreuses victimes qui n’auront pas réussi à respecter cette échéance de trois ans seront réduites à l’aide sociale.
La victimisation violente peut être traumatisante et changer une vie. Les devoirs de la société envers les victimes ne se limitent pas à poursuivre les délinquants. Le fait de ne pas investir de manière adéquate dans les ressources pour les victimes ne fait que contribuer à augmenter l’impact à long terme des traumatismes.
Il n’existe aucune preuve que trois ans suffisent pour qu’une personne se remette d’une victimisation violente et puisse reprendre son travail.
Une intervention rapide favorise la guérison. Plus une personne vit longtemps avec un traumatisme, plus il lui est difficile de se rétablir complètement. Pourtant, au Québec, de nombreuses victimes attendent pendant des mois pour obtenir des services de base en première ligne, et encore plus longtemps pour consulter un psychologue ou d’autres experts.
Les provinces ne devraient pas être laissées à elles-mêmes. Le gouvernement fédéral doit reconnaître sa responsabilité dans la promotion de la guérison et de la sécurité publique. Il devrait rétablir le modèle de partage des coûts des programmes d’indemnisation des victimes dans tout le pays, auquel il a mis fin en 1992.
Les origines du partage des coûts
La nouvelle loi québécoise a remplacé un programme qui était en vigueur depuis 1972. L’ancien programme n’était pas parfait, mais il offrait la possibilité d’une indemnisation financière à vie aux victimes d’actes criminels graves qui n’étaient pas en mesure de retourner au travail.
Le programme s’est fait connaître petit à petit, et le nombre de victimes qui ont demandé une indemnisation a augmenté. Les hausses de la population et du coût de la vie ont aussi mis de la pression sur les coûts. En 1980, l’indemnisation des victimes coûtait 7 millions $. En 2019, elle avait grimpé à 154 millions $.
Le Québec souhaitait éliminer les paiements à vie depuis 1992, quand Ottawa a mis fin au partage des coûts avec les provinces et les territoires. Le programme fédéral visait à encourager la mise en place de programmes d’indemnisation des victimes dans tout le pays, et il a fonctionné. En 1990, toutes les provinces et tous les territoires avaient leur propre programme.
Les conservateurs avaient alors décidé que le partage des coûts n’était plus nécessaire. Les libéraux ont promis de rétablir le programme une fois élus, mais ils ne l’ont jamais fait.
La perte du financement fédéral a été un coup dur. Terre-Neuve et les territoires ont aboli leurs programmes, tandis que d’autres provinces les ont modifiés pour en réduire les coûts. En conséquence, l’indemnisation varie considérablement d’une province à l’autre : La Nouvelle-Écosse n’offre que des consultations psychologiques; la Colombie-Britannique dispense une variété de services, y compris une compensation financière pour la perte de salaire; le programme du Québec reconnaît les effets de la violence sur les proches et les témoins.
Les conséquences de la revictimisation
Lorsque les victimes sont soutenues dans leur processus de guérison et qu’elles reçoivent l’aide dont elles ont besoin, elles se rétablissent plus rapidement et sont moins vulnérables à une nouvelle victimisation. Les enquêtes sur la victimisation révèlent invariablement que le fait d’avoir été victime d’une agression tend à accroître le risque de revictimisation. La société en général et les gouvernements, en particulier, ont le devoir de la prévenir.
Mettre fin à la revictimisation améliorerait considérablement la sécurité publique. C’est le point de départ d’une stratégie efficace de prévention de la criminalité. Chaque dollar dépensé pour les services aux victimes réduit le coût d’un crime et son impact émotionnel.
Toutes les victimes de crimes violents au Canada devraient avoir accès aux programmes d’indemnisation. Le manque d’accès à ces programmes est une violation flagrante des normes et standards des Nations Unies. Le risque de revictimisation ne se limite pas aux crimes violents. Il est aussi présent dans les cas de crimes contre les biens.
La notion de polyvictimisation a été introduite par David Finkelhor et ses collègues en 2011. Elle décrit le fait d’avoir subi plusieurs types de crimes (souvent trois ou plus). La recherche ne met pas seulement en évidence la prévalence de la victimisation, elle attire également notre attention sur l’impact des traumatismes, tels que le stress post-traumatique, la dépression et l’anxiété, qui rendent une personne vulnérable et susceptible d’être à nouveau victime d’un acte criminel.
En 1985, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté la Déclaration des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité et aux victimes d’abus de pouvoir. Ironiquement, le Canada avait joué un rôle clé dans l’adoption de cette Magna Carta pour les victimes de la criminalité, et été l’hôte d’une rencontre d’experts qui ont rédigé une version préliminaire de la déclaration.
Aujourd’hui, le Canada ne reconnaît plus sa responsabilité envers la communauté internationale ni ses obligations envers les victimes. Cela doit changer.