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Que devrait faire un gouvernement avec les surplus de congés parentaux? La récente baisse des naissances au Québec à son plus bas niveau depuis 20 ans a fait gonfler les excès de liquidités du Fonds d’assurance parentale. D’ici quatre ans, la cagnotte pourrait dépasser les 900 millions $.

Certains suggèrent un allongement des prestations qui ciblerait les familles incapables de trouver une place en service de garde. Une telle mesure, appliquée sans aucune autre balise, risquerait cependant de renforcer le rôle traditionnel des femmes comme principales dispensatrices des soins aux enfants.

Le Québec pourrait plutôt s’inspirer du programme suédois de prestations parentales, tout en évitant certains de ses écueils. La Suède propose en effet un programme qui vise à promouvoir l’égalité entre les parents, par la participation des pères aux soins. Depuis quelques semaines, elle offre aussi aux grands-parents et aux proches la possibilité d’utiliser une partie des prestations parentales.

Les congés parentaux au Québec

Le Régime québécois de prestations parentales est accessible aux parents ayant gagné un revenu minimum de 2000 $ au cours de l’année précédant la demande. Il existe deux régimes, celui de base et un régime particulier, chacun offrant des options de flexibilité en termes de durée et de taux de remplacement du revenu. Dans les deux cas, le salaire maximum assurable est de 94 000 $.

Le régime de base prévoit un congé pour grossesse et accouchement de 18 semaines avec un taux de remplacement de 70 % du revenu. Le parent qui n’a pas donné naissance bénéficie pour sa part d’un congé de 5 semaines (aussi à 70 %). Les parents peuvent aussi partager 32 semaines avec un taux de remplacement de 70 % pour les 7 premières semaines, et de 55 % pour les 25 semaines suivantes.

Le régime particulier offre une plus courte période de prestations avec un taux de remplacement du salaire plus élevé aux parents qui souhaitent maximiser leur revenu sur une période plus brève. Ce régime offre 15 semaines de congé aux mères, 3 semaines au second parent et 25 semaines à partager, dans tous les cas avec un taux de remplacement du salaire de 75 %.

Pour chacun des régimes, le Québec incite aussi au partage des prestations parentales en offrant des semaines supplémentaires de congé payé si les deux parents prennent chacun un nombre minimum de semaines de prestations. L’objectif est de favoriser une utilisation accrue et prolongée des prestations par les pères ou le second parent et, ultimement, une plus grande égalité.

Même si les parents québécois ont un meilleur accès aux prestations parentales qu’ailleurs au pays, certaines inégalités persistent. En moyenne, 84 % des mères et 74 % des pères ayant accueilli un nouvel enfant perçoivent des prestations. Les mères se retirent du marché du travail bien plus longtemps (45,9 semaines) que les pères (9,7 semaines). De plus, seulement 83 % des familles québécoises utilisent pleinement leurs prestations.

S’inspirer de la Suède pour mieux impliquer les pères

En Suède, les prestations parentales sont calculées en jours plutôt qu’en semaines. Chaque parent dispose de 240 jours de congé, pour un total de 480 jours (environ 69 semaines) pour le couple. Les familles soloparentales ont aussi droit à 480 jours.

Sur les 240 jours accordés à chaque parent en prestations, 150 peuvent être transférés à l’autre, tandis que 90 jours (environ 13 semaines) sont exclusifs, et non transférables. La Suède limite aussi les jours de congé pris simultanément par les deux parents à 60 jours. Les autres jours doivent être utilisés par un seul parent à la fois, ce qui permet à chacun de passer du temps seul avec l’enfant et de développer ses compétences parentales.

Le Québec pourrait ainsi prolonger la durée des prestations pour le deuxième parent – généralement le père –, tout en introduisant des incitatifs pour limiter la prise simultanée de congé. En favorisant une plus grande implication des pères, une telle approche serait plus égalitaire, en plus de contribuer à réduire la « pénalité à la maternité ».

Des congés parentaux pour les grands-parents… et les amis?

Depuis juillet 2024, la Suède permet de transférer 300 jours de congés parentaux payés, en tout ou en partie, à une personne autre que les parents, comme un grand-parent, un beau-parent, ou même un proche de la famille qui n’est pas apparenté. Cette décision part du constat qu’environ un couple suédois sur deux n’utilise pas la totalité des 480 jours de congé parental dont il bénéficie, une observation qui s’applique dans une moindre mesure au Québec.

Le transfert d’une partie des prestations parentales offre une flexibilité accrue pour les familles soloparentales ou celles confrontées à des défis qui empêchent les parents de profiter pleinement de leur congé parental.

Le Québec pourrait envisager une telle mesure, mais avec prudence. Le transfert de congés à des membres de la famille élargie pourrait créer une pression sur les grands-parents, dans un contexte où plusieurs sont encore actifs sur le marché du travail. De plus, cette possibilité pourrait accroître les inégalités entre les familles disposant de solides réseaux de soutien et celles qui sont plus isolées, comme les familles immigrantes.

Quand les pères se désengagent des soins

Un autre enjeu concerne le désengagement potentiel des pères face aux tâches parentales. Il existe un lien entre l’utilisation des prestations par les pères et l’existence de prestations réservées. En Suède, 90 jours de congé (ou 13 semaines) sont réservés au père ou au deuxième parent. Au Québec, ce congé exclusif ne dure que de 3 à 5 semaines. Si le Québec devait autoriser le partage des congés avec des tiers, il serait essentiel d’ajouter des semaines supplémentaires de prestations pour le parent qui n’a pas donné naissance, afin d’encourager la participation des pères.

L’introduction de la possibilité de transférer des congés à des tiers pourrait cependant compliquer l’administration du Régime québécois d’assurance parentale (RQAP). Les démarches bureaucratiques pourraient s’alourdir pour les familles, et les employeurs pourraient être confrontés à une gestion plus complexe des congés. En Suède, les personnes qui désirent se prévaloir de prestations parentales doivent prévenir leur employeur deux mois à l’avance.

La réforme suédoise offre donc des pistes intéressantes pour le Québec, notamment en matière de flexibilité et d’implication des pères dans les soins aux enfants. En adoptant un modèle inspiré de la Suède, mais adapté aux réalités québécoises, le Québec pourrait renforcer l’égalité parentale et offrir aux familles une plus grande flexibilité dans l’utilisation des prestations. Le reste du Canada devrait aussi prendre des notes.

Les opinions exprimées par l’autrice sont à titre personnel et ne reflètent pas nécessairement celles de son employeur.

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Sophie Mathieu
Sophie Mathieu est docteure en sociologie; ses recherches sont axées sur la politique familiale québécoise. Elle occupe le poste de spécialiste principale des programmes à l'Institut Vanier de la famille et siège sur le Conseil consultatif national sur l'apprentissage et la garde des jeunes enfants.

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