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Le taux de participation aux élections municipales au Québec est très bas. Il n’était que de 39 % lors des plus récentes élections, en 2021.

Avec une minorité de citoyens qui votent, il est essentiel de poser la question : comment rendre la démocratie municipale plus dynamique et légitime? Pour renouveler la démocratie, on doit penser à des réformes électorales et des innovations démocratiques, mais les discussions politiques à ce sujet sont souvent plombées par des intérêts partisans. Comment éviter ce piège et s’assurer d’entendre les voix citoyennes?

Une expérience citoyenne à Longueuil

Afin de mieux comprendre l’opinion publique sur des réformes démocratiques au niveau municipal, nous avons organisé une assemblée citoyenne à Longueuil en juin 2023. L’assemblée, à laquelle une centaine de personnes ont participé, s’est déroulée à l’hôtel de ville, ce qui conférait à l’exercice une certaine solennité. Les participants ont énormément apprécié l’exercice de délibération et se sont montrés ouverts à des propositions de réforme.

L’événement s’est déroulé sur deux jours, pendant une fin de semaine. Ceci correspond à la durée des assemblées délibératives organisées dans plusieurs pays par les politologues James Fishkin et Robert Luskin. C’est aussi le laps de temps qui fut consacré à la plupart des sujets par l’assemblée citoyenne irlandaise entre 2016 et 2018.

L’assemblée de Longueuil portait sur quatre réformes potentielles : le vote par internet, le vote obligatoire, le droit de vote aux résidents permanents (qui n’ont pas encore leur citoyenneté) et la tenue des élections municipales en même temps que les élections provinciales. Notre décision de couvrir ces quatre réformes impliquait que la délibération sur chacune d’elles était limitée à une demi-journée, soit un peu plus de trois heures.

Le recrutement s’est avéré l’aspect le plus difficile de notre projet. Nous demandions aux gens de consacrer toute une fin de semaine à cette activité en échange d’une compensation financière de 250 $. Nous avons commencé le recrutement par envoi postal, mais nous avons finalement dû recourir aux réseaux sociaux pour atteindre notre objectif d’une centaine de personnes. Au final, le groupe était représentatif sur les plans du genre et de l’âge, mais ne comptait pas beaucoup de personnes peu scolarisées.

La délibération a procédé en quatre temps pour chacun des quatre thèmes.

Premièrement, un expert expliquait la réforme proposée, mentionnait à quels endroits on l’avait adoptée, détaillait son fonctionnement concret et, enfin, les arguments avancés pour et contre, le tout suivi par une période de questions. Nous avons invité les experts à préparer des présentations simples, claires et équilibrées.

Nous avons rappelé plusieurs fois aux participants qu’il n’y avait pas de bonne ou de mauvaise réponse, qu’il y avait de bons arguments pour et contre chaque réforme, et que nous voulions qu’ils se forment une opinion personnelle et éclairée, fondée sur l’information qui leur était fournie, mais aussi sur leurs propres valeurs.

La présentation était suivie d’un échange en petits groupes d’une dizaine de participants chacun et dirigés par un animateur, puis d’une séance plénière où les participants pouvaient demander des éclaircissements supplémentaires ou exprimer leurs opinions. La quatrième et dernière étape consistait en un vote secret sur chacune des réformes.

La figure 1 présente les résultats des votes. On peut observer un appui nettement majoritaire au vote par internet, à l’octroi du droit de vote aux résidents permanents, ainsi qu’à la tenue simultanée des élections municipales et provinciales. On trouve également une forte opposition au vote obligatoire.

Une expérience à répéter

Presque tous les participantes et participants ont beaucoup apprécié l’expérience. Parmi les 101 répondants au sondage qui a suivi l’assemblée, 75 personnes ont indiqué qu’elles étaient « très satisfaites » du déroulement général, 17 se sont dites « assez satisfaites » et seulement deux n’étaient « pas très satisfaites »; personne n’a répondu « pas du tout satisfait ». Les citoyennes et citoyens ont écouté attentivement les présentations des experts, posé des questions pertinentes, échangé avec leurs collègues, réfléchi, et finalement voté – nous avons toutes les raisons de le croire – de façon raisonnée.

Notre choix de ne consacrer qu’une demi-journée à chaque sujet a évidemment limité la délibération. Nous estimons toutefois que les gens ont eu suffisamment de temps pour s’informer et réfléchir à propos des réformes spécifiques qui leur ont été présentées. Il faut souligner que nous avions choisi des questions simples et précises. Notre approche pourrait difficilement s’appliquer à des enjeux très techniques ou complexes.

Le principal obstacle au recrutement a été l’investissement considérable de temps demandé, soit une fin de semaine complète. Cet obstacle est inhérent à l’assemblée citoyenne, qui exige de prendre le temps de s’informer, de réfléchir et d’échanger, si l’on veut se former une opinion éclairée. Nous croyons toutefois que le recrutement aurait été beaucoup plus facile si l’événement n’avait duré qu’une journée.

En somme, un tel exercice de délibération citoyenne nous semble hautement souhaitable. La délibération citoyenne est un précieux instrument de démocratie qui devrait prendre plus de place dans les processus de consultation et de prise de décision – en particulier lorsqu’il s’agit de réformes démocratiques. Les citoyens peuvent s’exprimer aux élections, dans les sondages, à travers les pétitions et les manifestations.

Pourquoi ne pas les inviter aussi à s’exprimer dans un cadre où l’on encourage chacun à écouter les autres et à s’informer sur les arguments pour et contre avant de prendre position?

Le rapport complet peut être consulté sur le site de Discutons démocratie à Longueuil.

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André Blais
André Blais est professeur émérite au Département de science politique de l’Université de Montréal.
Jean-François Daoust
Jean-François Daoust est professeur adjoint à l’Université de Sherbrooke (École de politique appliquée) et professeur honoraire à l’Université d’Edimbourg.
Ruth Dassonneville
Ruth Dassonneville est professeure agrégée au Département de science politique à l’Université de Montréal. Elle est titulaire d’une Chaire de recherche du Canada en démocratie électorale.
Patrick Fournier
Patrick Fournier est professeur titulaire au Département de science politique à l’Université de Montréal.

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