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Les partis politiques sont devenus des machines à centraliser le pouvoir et à contrôler le message. Imprégnés par une logique de marketing, ils se vendent comme un produit et sont en campagne permanente. Ce phénomène n’est pas nouveau, mais il a un revers. Le simple député, écrasé par le contrôle des communications et la ligne de parti, perd de plus en plus de pouvoirs dans notre démocratie.

Ça devrait nous inquiéter.

Les députés représentent le cœur de la démocratie canadienne, à Ottawa et dans les parlements provinciaux. En tant que législateurs, ce sont eux qui votent les lois qui régissent notre société.

Si tous les députés doivent composer avec la ligne de parti, les députés d’arrière-ban en sont les premières victimes. Dans notre régime parlementaire britannique comme le nôtre, un député d’arrière-ban est un élu à la Chambre des Communes ou dans une assemblée législative provinciale – au Québec, l’Assemblée nationale – qui n’est ni ministre, ni officier (leader, whip), ni responsable d’un dossier pour l’opposition. Essentiellement, il s’agit donc le plus souvent des députés du parti au pouvoir qui ne sont ni ministres, ni officiers.

Dans un réflexe de protection et de volonté de contrôle de l’agenda médiatique, la centralisation du pouvoir autour du chef et le strict contrôle des communications pour la cohésion du message deviennent la norme. C’est encore plus vrai pour les partis au pouvoir, qui peuvent se faire attaquer de toutes parts.

Cette centralisation et ce contrôle passent par la ligne de parti, qui imprègne toutes les sphères du gouvernement. Elle a aussi des répercussions sur les députés d’arrière-ban dans les quatre endroits où ils exercent leur travail : en chambre, en commission parlementaire (ou comités), au caucus et au bureau de circonscription.

Les interventions en chambre et en commission parlementaire passent généralement à travers le filtre des messages clés des cabinets des ministres et du bureau du premier ministre. Les bureaux de recherche du whip accompagnent les députés pour préparer leurs interventions au Parlement, par exemple lors de l’adoption d’un projet de loi ou à l’occasion de questions posées lors de consultations publiques. Le personnel de recherche des cabinets doit effectuer son travail avec un doigté exceptionnel, manœuvrant entre la liberté des députés de s’exprimer en tant que législateurs et les désirs de centralisation des messages par les ministères et le bureau du chef.

La théorie et la réalité

En théorie, les parlementaires peuvent exprimer librement leur opinion au sein du caucus, élaborer les positions stratégiques et, dans le cas du parti au gouvernement, les propositions législatives du gouvernement. Dans la réalité, cet idéal est entravé par des obstacles variant d’un gouvernement à l’autre, en fonction du style de leadership du chef et de sa garde rapprochée.

À Ottawa et dans les provinces, les caucus en présence du chef et des élus, sans aucun membre du personnel politique non élu, demeurent une exception. Cet état de fait peut freiner la libre expression des députés, qui peuvent craindre – non sans justification – d’être jugés et catalogués lorsqu’ils expriment des opinions contraires aux messages clés mis de l’avant publiquement par le gouvernement.

La gestion du contenu du caucus est un autre enjeu. Certains partis présentent la position de la direction comme un fait accompli; d’autres exigent des consultations internes avant qu’une question ne soit soumise au vote. Ainsi, un chef peut laisser s’exprimer ses députés en caucus, mais il peut aussi décider d’en orienter le contenu en réduisant les échanges à quelques thèmes prédéfinis et en transmettant les grandes lignes des messages clés de la semaine. Dans la seconde hypothèse, les députés n’oseront peut-être pas soulever des problèmes délicats ou des enjeux de fonds.

Dans sa circonscription, le rôle du député est de défendre ses commettants. Le défi est d’autant plus important pour un député du gouvernement qu’il doit aussi défendre des décisions qui ne sont pas toujours en phase avec la volonté de la population de sa propre circonscription. La façon dont les députés gèrent ce genre de situation varie en fonction de leur personnalité et leur expérience, mais les décisions gouvernementales ont toujours un impact au niveau de la relation entre le député et ses commettants.

La ligne de parti affecte toutes les facettes du travail des députés. Certes, la population vote plus souvent pour une formation politique que pour la personne qui le représente dans une circonscription donnée. Mais la solidarité au sein d’un parti signifie souvent le silence complet du côté des députés d’arrière-ban.

Les partis doivent se rappeler qu’ils font de la politique, pas du marketing. Les débats sont sains, nécessaires et doivent être encouragés, même si cela signifie de perdre quelques votes à la prochaine élection. Il importe également de mettre en perspective l’environnement médiatique dans lequel les partis politiques évoluent.

Quand les médias favorisent le mutisme

Les médias ont leur part de responsabilité dans cette culture d’unanimité. Alors que la dissension des députés est tolérée et même célébrée dans d’autres démocraties, un seul soupçon de rébellion de la part des députés d’arrière-ban est couvert négativement dans les médias canadiens. Dans un environnement médiatique marqué par l’instantanéité, l’omniprésence des réseaux sociaux et une loyauté partisane qui s’effrite, il ne faut pas s’étonner de voir la classe politique obsédée par le maintien de son image et la peur du scandale.

Les médias devraient cesser de considérer le point de vue divergent d’un député comme une trahison, apprendre à mieux connaître les députés d’arrière-ban et en assurer une couverture positive. Le rôle de la peur des médias dans la classe politique est un facteur peu étudié à ce jour. La population n’aime généralement pas les chicanes. Mais elle sait assurément apprécier un député qui est plus qu’un simple porte-voix de la ligne de parti.

Il existe plusieurs moyens de renforcer le pouvoir des députés dans leur caucus, comme les réformes parlementaires ou l’adoption d’une gestion novatrice des relations entre l’exécutif et le groupe parlementaire du gouvernement, comme les comités consultatifs du groupe ministériel (MCAC) sous le gouvernement Harper, qui obligeaient les ministres à consulter les députés avant de présenter des propositions politiques ou législatives.

On doit aussi se pencher sur la visibilité médiatique des députés et sur la relation entre les médias, le personnel politique et les élus. À l’heure où les institutions et mécanismes de la démocratie représentative – incluant les médias – sont critiqués de toute part, l’amélioration de nos démocraties passe obligatoirement par l’examen de ces enjeux.

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Émilie Foster
Émilie Foster est professeure associée au Clayton H. Riddell Graduate Program in Political Management de l’Université Carleton. Elle a été vice-présidente de la Coalition avenir Québec, puis conseillère politique et députée à l’Assemblée nationale de 2018 à 2022. Twitter @Milie_Foster

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