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La pratique du changement d’heure est un legs historique qui n’a plus raison d’être. Ce n’est pas une question d’opinion ou de préférence personnelle, mais de santé publique et de faits scientifiques.
À la lueur des consultations publiques sur le changement d’heure qui se déroulent jusqu’au 1er décembre, les Québécois ont la responsabilité de s’informer sur les données probantes pour bien comprendre les impacts multiples du changement d’heure. Le consensus scientifique est clair : il est dans l’intérêt supérieur de notre santé à tous d’abolir le changement d’heure et d’adopter l’heure normale permanente. Nous avons le devoir d’appuyer notre position sur les faits et de prioriser le bien-être et la santé de tous nos concitoyens.
Les impacts du changement d’heure
Le changement d’heure engendre des perturbations brusques pour notre cycle éveil-sommeil qui amplifient le manque de sommeil chronique affectant plusieurs d’entre nous.
Au printemps, lorsque nous avançons l’heure, nous perdons une heure de sommeil. Parce que l’heure avancée augmente la lumière en fin de journée tout l’été, nous avons tendance à nous coucher plus tard, tout en nous levant à la même heure. Nous perdons ainsi en moyenne 20 à 30 minutes de sommeil. Compte tenu du rôle actif que joue le sommeil dans le bon fonctionnement du corps et du cerveau, le changement d’heure a des conséquences néfastes sur plusieurs aspects de notre santé. Néanmoins, les effets du changement d’heure ne se limitent pas à la perte ou au gain de sommeil.
L’horloge biologique, un système complexe et délicat qui régule la majeure partie des fonctions du corps, est synchronisée principalement par le cycle lumière-obscurité. Cette horloge coordonne la sécrétion des hormones, la régulation de l’insuline), le rythme cardiaque, la tension artérielle, le métabolisme, la température corporelle et même l’expression des gènes, pour donner quelques exemples. Tous ces mécanismes, essentiels au bon fonctionnement du corps et du cerveau, sont fortement modulés par les heures durant lesquelles nous sommes exposés à la lumière.
Pour la majorité des humains, le cycle de l’horloge biologique couvre une période d’un peu plus de 24 heures. Conséquemment, la régulation de nos rythmes circadiens (les variations biologiques quotidiennes qui permettent le bon fonctionnement du corps) tend à se faire en retard. La lumière du matin et l’obscurité en fin de journée engendrent une cascade de réactions physiologiques qui resynchronisent constamment l’horloge biologique, réalignant ainsi nos rythmes circadiens avec la durée réelle d’une journée pour que notre corps et notre cerveau fonctionnent optimalement.
Or, le changement d’heure crée un décalage entre l’horloge biologique, l’horaire dicté par les contraintes sociales et le cycle lumière-obscurité. Les données probantes montrent que ce décalage persiste jusqu’au retour à l’heure normale, l’horloge biologique ne parvenant pas à s’ajuster à l’heure avancée.
Les études contrôlées en laboratoire ont montré que ce type de décalage entraîne notamment une augmentation du rythme cardiaque, de la tension artérielle et de l’inflammation, tout en perturbant le métabolisme, le système immunitaire, l’humeur et plusieurs fonctions intellectuelles. Il n’est donc pas surprenant de voir, à l’échelle de la population, une augmentation des crises cardiaques, des accidents vasculaires cérébraux, des infections et maladies immunitaires, des problèmes digestifs, des complications liées à la grossesse et à l’accouchement, ainsi qu’une détérioration de la santé mentale suite au changement d’heure.
Le passage à l’heure avancée a également été associé à une augmentation de 6 à 30 % des risques d’accidents routiers, ainsi qu’à une hausse des accidents de travail et des blessures graves. Bon nombre de ces effets persistent jusqu’à plusieurs semaines, voire plusieurs mois après le jour du changement d’heure. Enfin, le décalage créé par l’avancement de l’heure au printemps s’ajoute à la diminution naturelle des heures d’ensoleillement, qui commence bien avant le retour à l’heure normale au début novembre, ce qui creuse encore plus l’écart entre l’heure solaire et celle de la société.
Des effets parfois invisibles et souvent inégaux
Certains individus ne ressentent pas consciemment les effets physiologiques du changement d’heure. Bien que ces effets ne soient pas tous perceptibles, ils n’en altèrent pas moins le fonctionnement du corps et du cerveau, ce qui augmente les risques pour la santé.
De plus, il est crucial de noter que le changement d’heure ne nous affecte pas tous de la même manière. Les impacts sont plus importants pour les personnes âgées, les enfants et les adolescents, les personnes atteintes de maladies chroniques et celles vivant à l’ouest de leur fuseau horaire. Des prédispositions génétiques font aussi en sorte que certaines personnes peinent davantage à surmonter les effets du changement d’heure. Les décisions concernant la pratique du changement d’heure devraient donc viser l’équité en matière de santé et de bien-être pour tous les Québécois.
Pourquoi l’heure normale, et non l’heure avancée permanente?
Conserver l’heure avancée en permanence pourrait avoir des impacts encore plus graves que le maintien de la pratique du changement d’heure. L’hiver, lorsque le soleil se lève plus tard, notre horloge biologique est aussi retardée. Cela nous force à nous lever avant que notre corps soit prêt à le faire. Si nous adoptions l’heure avancée permanente, ce serait encore pire : la plupart d’entre nous devraient commencer l’école ou le travail avant le lever du soleil pendant le tiers de l’année.
En élargissant l’écart entre notre horloge biologique et les horloges sociale et environnementale, le passage à l’heure avancée permanente risquerait d’augmenter le manque de sommeil, les infections, l’hypertension artérielle, les complications liées aux maladies cardiovasculaires, le diabète, les problèmes de cholestérol, les troubles neurologiques, les problèmes de santé mentale et les accidents, en plus de causer une baisse générale de performance.
Après être passés à l’heure avancée permanente, les États-Unis et la Russie ont observé un mécontentement de la population dès le premier hiver, ainsi qu’une hausse du stress, des problèmes de santé et d’accidents qui les ont poussés à faire marche arrière. Notamment, le maintien de l’heure avancée à l’année a aggravé la dépression hivernale chez les adolescents, une situation qui s’est considérablement atténuée après l’adoption de l’heure normale permanente.
D’ailleurs, ce à quoi la consultation publique du gouvernement du Québec réfère comme étant l’« heure d’hiver » est en fait l’heure normale, celle qui est naturellement définie par le Soleil. Maintenir de façon permanente l’heure normale maximiserait la synchronisation entre l’horloge biologique et le cycle lumière-obscurité. C’est donc la meilleure option pour la santé, la sécurité et la productivité. Si, malgré tout, le gouvernement décidait de conserver le changement d’heure, ses impacts négatifs pourraient être atténués en effectuant les transitions : 1) plus près des équinoxes pour limiter le décalage avec le cycle solaire; et 2) dans la nuit du vendredi au samedi pour allonger la période d’ajustement avant le retour à l’école et au travail.
Le consensus scientifique est clair : l’abolition du changement d’heure et l’adoption permanente de l’heure normale n’aurait que des effets positifs sur notre santé à tous. Le Québec a l’occasion de montrer au reste du monde que nous osons questionner et innover pour améliorer notre qualité de vie et protéger la santé de notre collectivité.